70 Cinéma & DVD - novembre 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 19 novembre 2012

Deux chefs d'œuvre de Brian de Palma en DVD


On répétait alors que Brian de Palma était une pâle copie d'Alfred Hitchcock. Comment avons-nous pu passer à côté de cet auteur dont les références ont le mérite d'être explicites, mais qui sut toujours se projeter corps et âme dans ses fictions palpitantes avec un style inimitable ? Les meilleurs artistes ont souvent forgé leur art en tentant de copier leurs aînés sans y arriver. Les bons élèves sont académiques. Les cancres accouchent de joyaux. Cette constatation ne se vérifie hélas qu'après coup. Combien de petits maîtres, d'artisans zélés, de ringards arrogants, de Kleenex à la mode passagère et de simplement mauvais pour un véritable auteur, avec un monde si personnel qu'il l'étoufferait s'il ne pouvait le partager ?

Carlotta publie deux DVD regorgeant de bonus passionnants autour des films Pulsions (Dressed To Kill) et Blow Out, deux bijoux cruels enchaînés coup sur coup en 1980 et 1981. Brian de Palma tourne avec la précision maniaque d'un assassin, suffisamment tordue pour canaliser créativement ses pulsions névrotiques. Prenant son temps il sait jouir du suspense, l'attente est palpitante, la virtuosité toujours au service de l'émotion. S'il est macabre et pervers l'humour offre une distance critique variant l'angle d'attaque. Les provocations sexuelles dynamitent le politiquement correct. Ces deux thrillers sont exemplaires. Ils flanquent la chair de poule en nous faisant tourner la tête. La quadrature du cercle n'a rien de factice, elle bétonne les indices, renvoie le crime chez le psychanalyste en interrogeant la société qui l'a généré.

Pulsions réfléchit celles d'un tueur en série en quête d'identité comme celles d'une desesperate housewife sexuellement insatisfaite (magnifiquement jouée par Angie Dickinson), mais c'est encore le désir qui pousse à agir la jeune prostituée ou l'adolescent lunetteux. Même s'il s'agit d'un complot d'état comme dans Blow Out, Freud est tapi dans un coin. Si la musique de Pulsions est insupportable, le travail du son de Blow Out est le sublime moteur du récit. On pourra toujours citer Blow Up d'Antonioni et The Conversation de Coppola, le micro canon de John Travolta désigne l'apport inestimable du son au cinéma. Le casque sur les oreilles, l'ingénieur du son connaît la magie de l'espace. Comme un voyant, il déchiffre, il interprète, il révèle.

Ces deux films, travail d'orfèvre d'une inventivité rare et à l'élégance brutale, m'ont donné envie de me plonger dans la filmographie de Brian de Palma, de revoir certains films, d'aller à la pêche pour découvrir ceux que j'ai manqués. J'avais apprécié les récents Le dahlia noir et Redacted. Snake Eyes est palpitant, Raising Cain bien délirant, Body Double et Femme fatale de bons polars manipulateurs, Hi, Mom m'a un peu barbé, presqu'autant que les récents Go Go Tales (2007, dvd Capricci) et 4:44 - Last Day on Earth (2012) d'Abel Ferrara dont l'intérêt m'échappe totalement. Peut-être me faudra-t-il aussi du temps, mais ils m'apparaissent aujourd'hui improvisations fatiguées et désabusées. Retour à de Palma : le poussif Obsession justifie les critiques de pâle copie hitchcockienne. Comme je n'ai jamais accroché au Phantom of the Paradise et que je me souviens bien de Scarface j'ai sous le coude Greetings, Home Movies, Carrie, The Fury, mais aucun n'égale jusqu'ici les deux DVD (également en Blu-ray) qui sortent mercredi prochain...

mercredi 7 novembre 2012

The Queen of Versailles


The Queen of Versailles, prix du meilleur documentaire cette année au Sundance Festival 2012, est une formidable parabole du rêve américain, une démonstration de son arrogance, une apothéose de sa ringardise, une illustration prophétique de sa décadence et de son déclin, avec le panache, la fantaisie et l'auto-dérision qui lui sont propres. La poupée Barbie épouse un milliardaire aux rêves de grandeur plus délirants que nature, mais la crise financière d'octobre 2008 les ruinera.


Lorsque Lauren Greenfield commence à tourner son film, l'ex Miss Floride a 43 ans et son mari, qui revendique la responsabilité de l'élection de George Bush par des méthodes peu légales, 74 ans. Jackie et David Siegel se font construire la plus grande maison des États-Unis, un palais de près de 90 000 m² inspiré du Château de Versailles que certains prononcent Ver-size ! Mais, deux ans plus tard, la crise spéculative pousse le milliardaire, qui est à la tête de Westgate Resorts mais a manqué de prévoyance, à la faillite. Versailles, mise en vente 75 millions de dollars encore à l'état de chantier, ne trouve pas d'acquéreur. L'orgueil ruine l'entrepreneur encore plus vite qu'il l'avait enrichi. Le couple et ses huit enfants n'en perdent pas pour autant leur sens de l'humour. La réalisatrice montre cette famille aussi sympathique et barjo que celle de tous les soaps américains, avec python en liberté dans les appartements et chiots qui chient sur les tapis anciens. Du botox au feu d'artifice, tout est bon pour la parade. Mais la façade se craquèle et l'Amérique révèle son vrai visage sous le fard. Le capitalisme est un ballon de baudruche qui finira par nous exploser à la figure. Au rayon des farces et attrapes certaines font très mal.

Photo © Lauren Greenfield

jeudi 1 novembre 2012

Fatih Akin, cinéaste de l'immigration


De l'autre côté (Auf der anderen Seite) fut une telle révélation que nous avons eu envie de voir les sept autres longs métrages de Fatih Akin. Et les entendre tant la musique qu'il y distille nous emporte, jusqu'au documentaire de 2005, Crossing the bridge - the sound of Istanbul, ou guidé par Alexander Hacke, le bassiste d'Einstürzende Neubauten, nous voyageons dans tous les styles qui se pratiquent à Istambul. De l'autre côté reste à mes yeux probablement le plus réussi de Fatih Akin qui filme chaque fois un drame de l'immigration, souvent avec beaucoup d'humour et de tendresse, comédies amères, tragédies pleines d'espoir, face au carcans que représentent les cultures des pays d'origine et d'accueil.
Cinéaste allemand d'origine turque, Fatih Akin met en scène ces aller et retours avec une aisance aussi grave que légère. Si l'intégration ne fait pas de doute, la manière d'y répondre, entre le moule et la déviance, y est représentée par les deux frères italiens de la romance Solino (2002), le couple improbable de l'éprouvant Head-On (Gegen die Wand) (2004), les amantes du plus politique De l'autre côté (Auf der anderen Seite) (2007), les frères grecs de la comédie Soul Kitchen (2009). Ses deux premiers films, L'engrenage (Kurz und schmerzlos) (1998) où sévit "l'amitié virile" de trois machos et la charmante comédie Julie en juillet (Im Juli) (2000), sont les moins intéressants. Il vaut mieux cela que le contraire ! Il est réconfortant de découvrir l'équipe d'excellents comédiens qui suit Akin depuis ses débuts et l'on appréciera la légèreté de sa direction dans un pays dont ce n'est pas la spécialité depuis l'extermination systématique de ses minorités ethniques. Preuve ici que les temps ont changé. Une nouvelle Allemagne se relève grâce à ses nouvelles hybridations quand la Turquie replonge dans la ségrégation.