70 Cinéma & DVD - mai 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 29 mai 2013

L'homosexualité en tête d'affiche


Dimanche soir la palme d'or était attribuée au film d'Abdellatif Kechiche et, au même instant, des militants d'extrême-droite contre le mariage pour tous tentaient de renouer avec les sinistres évènements de 1934. Les films de fiction qui abordent de biais ou de front l'homosexualité ne sont pas rares dans l'histoire du cinéma. Des festivals leur sont consacrés et comme le révélait Mark Rappoport dans ses astucieux Rock Hudson"s Home Movies (1992) ou The Silver Screen: Color Me Lavender (1997) nombreux films camouflent une homosexualité sous couvert d'amitié virile.
Il y a peu j'évoquais dans cette colonne le passionnant Les garçons de la bande (The Boys in the Band, 1970) de William Friedkin. Depuis, nous avons eu l'occasion de découvrir les films de deux grands maîtres que nous n'avions jamais vus.


Dans Faut-il tuer Sister George ? (The Killing of Sister George, 1968) Robert Aldrich met en scène la dépendance, au sexe, au pouvoir, à la télévision... Les facéties grossières de la vie domestique d'une vieille actrice toxicomane irritent le public chrétien d'un soap-opera où elle joue le rôle d'une vertueuse religieuse, sa jeune et naïve amie se laisse tyranniser tandis que la productrice de la série ne révèle ses intentions cachées que lors d'une scène qui valut à Aldrich une interdiction aux mineurs fatale au succès de son film. Le lesbianisme explicite l'empêcha de connaître la gloire de Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (What Ever Happened to Baby Jane?, 1962), chef d'œuvre d'une encore plus grande cruauté psychologique, ou de Chut... chut, chère Charlotte (Hush… Hush, Sweet Charlotte, 1964) qui forment tryptique de ces duels féminins féroces dont le réalisateur indépendant a le secret, terminant sa carrière avec le trop méconnu Deux filles au tapis (All the marbles..., 1981) où Peter Falk interprète le manager de deux catcheuses en pleine déconfiture.


Tea and Sympathy (1956) de Vincente Minnelli se déroule dans l'univers mâle et machiste d'une université américaine (photo 1) où un jeune étudiant sympathise avec la femme de son prof de sport. Surnommé Sister Boy parce qu'il ne partage pas le goût des ses condisciples, le jeune homme cache évidemment un secret inavouable dans une atmosphère pesante où les différents protagonistes sont confrontés aux préjugés, au doute et à la lâcheté. Le film montre aussi une desesperate housewife que sa sensibilité isole tout autant dans ce monde où les hommes refoulent leurs pulsions et renversent leur impuissance en imposant une mythologie qui se perpétue depuis la nuit des temps. Le réalisateur est plus connu en France pour ses comédies musicales, mais ses mélodrames le rapprochent de Douglas Sirk et de leurs héritiers, Fassbinder, Haynes, Almodovar ou Ozon.
Chez Aldrich, plus que chez Minnelli, l'étude de caractères va au delà de la chronique psychologique en nous offrant des scénarios d'une puissante originalité pleins de rebondissements inattendus, interprétés par des comédiennes exceptionnelles, Bette Davis, Joan Crawford, Olivia de Havilland, Agnes Moorehead, et quantité d'acteurs fidèles que l'on retrouve au fil des ans.

lundi 27 mai 2013

Borgen, saison 3


La série politique danoise Borgen, sous-titrée en français une femme au pouvoir, vaut largement les référents américains, proche de Mad Men par l'importance du sexe dans la vie professionnelle et surtout son approche très fine d'un milieu social façonnant notre quotidien.
Dans la troisième saison, l'ancienne Première Ministre qui a perdu les élections pense reprendre du service après deux ans et demi dans le privé. Si elle ne se revendiquait centriste, ses Nouveaux Démocrates développent pourtant un programme qui ressemble plus à celui de notre Front de Gauche, imaginatif et plein de bon sens, qu'à celui des Modérés, auxquels elle appartenait jusque là et qui flirtent honteusement avec la Droite façon PS. On est souvent étonné par une proposition intelligente au détour d'une phrase comme on pouvait être séduit par la tentative utopiste de la saison 4 de The Wire, sauf qu'ici ne règne nul désespoir, la société danoise ayant plutôt montré une exceptionnelle ouverture d'esprit parmi les pays sociaux-démocrates. La question de l'immigration, de l'éducation ou du financement des partis peut ainsi servir de toile de fond à un épisode pendant que l'on suit les aventures des principaux protagonistes, animaux politiques ou meneurs du jeu télévisuel, tous soumis aux pressions du pouvoir et de l'Audimat. Il faut reconnaître que la comédienne Sidse Babett Knudsen qui joue Birgitte Nyborg est un Stradivarius dont les réalisateurs de la série crée par Adam Price jouent avec délectation.
On a rarement l'occasion de voir une série aussi intelligente dont les rebondissements nous aspirent au gré des associations et des trahisons, montrant sans manichéisme "ce dont sont faits les rêves" et comment chacune et chacun y répond. Notons y enfin la force des femmes face à la lâcheté et l'infantilisme des hommes, tendance qui se retrouve, entre autres, dans la série heroic-fantasy à succès Game of Thrones (Le trône de fer). Vivement la programmation de cette troisième saison que l'on devrait retrouver sur Arte comme les deux précédentes !

mercredi 22 mai 2013

Piranhas, pamphlet mordant anti-US


Pour une fois, le bonus DVD d'un film me permet de me rafraîchir la mémoire sans avoir besoin de le revoir pour écrire ma chronique. Un an est passé depuis la projection de Piranhas (1978) qui nous avait fortement impressionnés, pas seulement pour son suspense gore, mais aussi pour sa charge politique contre le gouvernement américain et son humour noir. En général j'ai du mal avec les entretiens qui citent d'abondants extraits du film que l'on vient de regarder, aussi suis-je ravi d'écouter Joe Dante évoquer le tournage de son second long métrage dans la nouvelle édition publiée par Carlotta (sortie le 5 juin). Pour commencer, il rend évidemment hommage à son producteur, le prolifique Roger Corman qui donna leur chance à nombreux réalisateurs prometteurs tels Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Joe Dante, Peter Bogdanovich ou Jonathan Demme.


Joe Dante préfère comparer Piranhas à un film de guerre plutôt qu'à Hitchcock, son scénario dénonçant en sous-main les méthodes des États Unis pendant la guerre du Vietnam, chimie criminelle et manipulations génétiques à la clef. Il est probable que personne n'oserait aujourd'hui aller aussi loin dans le "politiquement incorrect", particulièrement dans les scènes où quantité d'enfants se font dévorer par les vilains poissons mutants. Dante insiste d'ailleurs sur la responsabilité du lobby des armes dans la violence qui s'est multipliée dans son pays plutôt que celle que véhicule le cinématographe. Lointain pastiche des Dents de la mer, Piranhas est un film fascinant qui loin de se complaire dans une horreur confortable et spectaculaire dénonce la bêtise humaine avec un humour saignant et ravageur.

lundi 20 mai 2013

Gangs de Wasseypur


À première vue Gangs de Wasseypur est une saga violente où trois familles de malfrats s'entretuent pour le contrôle d'un tout petit territoire, sur trois générations de 1941 à 2009. Si le film de Anurag Kashyap est avant tout un film populaire, il a su séduire la critique internationale pour son arrière-fond politique, le contrôle des mines de charbon, son réalisme local, une petite ville du Bengale aujourd'hui le Jharkhand, ses clins d'œil à Bollywood, une partition musicale entraînante, et sa critique sous-jacente de la violence masculine que le pouvoir des femmes ne saura pas contenir. Comme souvent lorsque l'étude est sincère et le sujet épineux, les protagonistes sont essentiellement musulmans bien qu'en conflit avec le pouvoir hindou, les interprétations politiques sont allées d'un extrême à l'autre. Pourtant, malgré la succession incessante de meurtres qui finit par me faire perdre mes repères la plus grande violence est généralement cadrée hors-champ, renforçant sa puissance et censée favoriser son rejet par les spectateurs.


Les 5 heures 20 minutes en deux parties font évidemment penser à Coppola, Scorsese ou Tarantino, mais Kashyap préfère se référer à des films de réalisateurs sud-américains comme par exemple Children of Men d'Alfonso Cuarón pour les plans séquences de tueries. Si vous n'êtes pas allergique à l'hémoglobine Gangs de Wasseypur vous immergera dans un univers fascinant qui peut rappeler la série à succès Game of Thrones, forme que le long métrage fleuve aurait pu très bien adopter, par ses ressorts dramatiques dictés essentiellement par la vengeance et par le déséquilibre de maturité entre les hommes et les femmes. Tout de même un peu démoralisant sur l'avenir de l'humanité ! (double DVD Blaq Out, sortie le 4 juin).

jeudi 16 mai 2013

À la conquête des démons


Est-ce d'avoir vu Journey to the West: Conquering the Demons, le dernier film de Stephen Chow et Derek Kok (Derek Kwok Chi-Kin), mais les fleurs qui ont fait leur apparition sur le palmier planté il y a douze ans au milieu du jardin ressemblent bigrement à un horrible dragon à la langue râpeuse ? Comme si le monstre vomissait des grappes de chacune de ses trois têtes menaçantes ! Si j'ignore totalement ce qui va suivre de cette mutation du végétal vers l'animal, je me suis bien amusé avec le pastiche cinématographique hong-kongais du Voyage en Occident de Wu Cheng'en, l'un des quatre romans chinois les plus célèbres, écrit au XVIe siècle à l'époque Ming. Stephen Chow est l'auteur de Shaolin Soccer et Crazy Kung Fu, deux films burlesques délirants dont celui-ci est le digne héritier.


J'aurais préféré glisser ici le making of plutôt que la bande-annonce, mais sa recopie est techniquement interdite et il vous faudra donc cliquer sur le lien pour comprendre comment l'imposante équipe chargée des effets spéciaux a donné vie aux monstres peuplant cette comédie échevelée qui rencontre en Asie un succès inégalé...