Mais qui est Jean-Denis Bonan ? Un provocateur ? Un humoriste ? Un héraut de son temps (y aurait-il aussi un os dans l'air ?) ? Certainement tout cela et bien d'autres, mais d'abord cinéaste et plasticien dont les points d'interrogation trouvent leurs réponses dans le bonus En marge, entretien palpitant avec le réalisateur de La femme-bourreau figurant sur le DVD que publie enfin Luna Park Films accompagné de trois courts métrages aussi sulfureux que ce film mythique tourné au printemps 1968 et pendant les événements de mai. Là encore les questions se bousculent, les qualificatifs allant de thriller à surréaliste en passant par expressionniste et nouvelle vague. Ajoutons que sa réputation de film maudit précède cette sortie qui aura attendu 45 ans dans le noir.
Pourtant Jean-Denis Bonan est l'opposé d'un triste sire. Lutin facétieux, il tourna ces films un peu potaches de 1966 à 1968 avant de fonder le collectif Cinélutte en 1973, de créer Métropolis avec Pierre-André Boutang sur Arte, également en charge de divers magazines sur France 2 et France 3 dont Aléas, ainsi que Histoires d’Amour, Les Moments de la Folie et Traces qu'il initie.
Ma compagne, Françoise Romand, fut son assistante, et il fut mon professeur de montage et le responsable des études pour la première année lorsque je suis entré à l'Idhec en 1971 (il formait un triumvirat avec Richard Copans et Jean-André Fieschi à l'appel de Louis Daquin). Chaque matin, le sourire aux lèvres, il nous racontait le rêve incroyable qui avait meublé sa nuit, courts métrages imaginaires qui l'inspiraient probablement ensuite. Avec quelques années de décalage les coïncidences s'accumulent. Mon camarade Bernard Vitet compose la musique de La femme-bourreau et Daniel Laloux (qui sera le narrateur de notre K et de Jeune fille qui tombe... tombe pour Un drame musical instantané) les chansons ; il est l'ami de Jean Rollin, le pape du porno-vampire que j'assistai sur Lèvres de sang (vous n'êtes pas au bout de vos surprises !) et Nicolas Devil, l'illustrateur de Saga de Xam, bande dessinée culte et fondatrice qu'ils réalisèrent ensemble et dans laquelle figure Bonan, éclairant mon adolescence et m'initiant au genre, dessine l'affiche et le générique de son court métrage Tristesse des anthropophages.
C'est avec ce court métrage que les ennuis ont commencé ! Cette farce politique et sociale, plus scatologique qu'anthropophage, est interdite en 1966 par la censure gaulliste. Le film sera projeté au cinéma Les 3 Luxembourg occupé par les étudiants contestataires de mai 68. Le fast-food où l'on sert de la merde est tout à fait prémonitoire, "dans un monde où tout est interdit sauf ce qui est obligatoire". Dès La vie brève de Monsieur Meucieu en 1962, on reconnaît la fantaisie débridée de Bonan et Une saison chez les hommes, détournement d'images des Actualités cinématographiques, enfoncera le clou en 1967.


Dans La femme-bourreau les travellings en caméra portée profitent à l'enquête policière de cette histoire de tueur en série et au sentiment de poursuite hantant tous les films de Bonan qui a fui enfant la Tunisie. Les décalages entre le commentaire froidement informatif et les images souvent sensuelles renforcent la distance critique. Le montage explosé déglingue la continuité. L'invention musicale de Vitet, grinçante et tendue, répond aux chansons ironiques de Laloux et aux bruitages ostensiblement décalés. Claude Merlin (père de Blaise !) tient le rôle principal aux côtés de Solange Pradel, Myriam Mézières, Jackie Raynal, Jean Rollin... La variété de tons, policier, poétique, absurde, érotique, pamphlétaire, comique, genre, reportage, citations, empêche le film d'être catalogué dans aucun genre si ce n'est celui de l'hétéroclicité, caractéristique fondamentale de son époque où l'imagination prenait le pouvoir, mais que la réaction n'eut de cesse de brider ensuite.

La femme-boureau, Jean-Denis Bonan, avec en bonus En marge, Tristesse des anthropophages, Une saison chez les hommes, La vie brève de Monsieur Meucieu, Un crime d'amour..., tous remarquablement restaurés, DVD Luna Park Films (à paraître le 18 novembre)