70 Cinéma & DVD - février 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 24 février 2017

Il était une fois la banlieue


Dans le livret de 24 pages accompagnant le DVD Il était une fois la banlieue où Chris Marker, Jean-Louis Comolli, Alice Diop, Suzanne Rosenberg, Viviane Aquilli, Christiane Lack font les louanges de la réalisatrice Dominique Cabrera, sa monteuse Dominique Greussay évoque "la très belle musique" que j'avais composée en 1992 pour Chronique d'une banlieue ordinaire. J'avais surtout essayé de rester simple, de jouer naturellement, sans artifice, pour que la musique ne semble pas arriver des cieux comme souvent au cinéma. Après son passage sur Canal+ je me souviens avoir été touché que notre facteur m'ait reconnu chantant le thème en même temps que l'orgue. La voix est fausse, mal assurée, fragile. J'avais demandé au guitariste Philippe Deschepper et à l'accordéoniste Michèle Buirette d'interpréter de subtiles variations de cette valse et je serais très curieux d'entendre aujourd'hui les prises qui n'ont pas été retenues au montage.
C'est ce même écart temporel qui donne aujourd'hui tout leur suc aux six films de Dominique Cabrera. Vingt cinq ans ont passé, autant qu'entre la construction des tours du Val Fourré et leur démolition qu'elle filma alors.


En regardant la destruction technique des tours du Val Fourré à Mantes-la-Jolie on ne peut s'empêcher de s'interroger sur celles du World Trade Center. Mais ce sont d'abord les gens qui y ont vécu qu'a filmés la réalisatrice. Quatre mois plus tôt, les anciens habitants arpentent les chambres vides et racontent leur vie passée là. Dans l'intimité de chacune et chacun s'écrit l'histoire de la banlieue à la fin du XXe siècle, une histoire en marge de l'actualité, mais qui depuis n'a pas changé pour les pauvres vivant près de la capitale sans ne rien en connaître. On peut hélas le constater à la projection du film récent d'Olivier Babinet, Swagger. Les deux mondes s'ignorent mutuellement. Il est impossible de ne pas assimiler la déception de ces laissés-pour-compte à la dérive absurde qui en pousse aujourd'hui certains vers l'extrême-droite. En 1981, dans J'ai droit à la parole Dominique Cabrera filmait l'autogestion à Colombes. Comment la banlieue est-elle ensuite devenue « ordinaire » ? L'humanité des personnes qu'elle filme fait écho à leur misère matérielle.
En 1989, Thierry Cabrera, le frère de Dominique, fait la lumière d'un spectacle d'Ahmed Madani, La tour, qui met en scène les habitants avant démolition de leurs appartements et que sa sœur capte un soir sous le titre Un balcon au Val Fourré, présent comme les cinq autres films dans le DVD. À cette occasion je rencontrerai mon ami le scénographe Raymond Sarti qui repeindra en bleu la façade, les balcons, le parking pour le spectacle d'Un Drame Musical Instantané, J'accuse d'Émile Zola, avec un orchestre de 80 musiciens, Richard Bohringer, la chanteuse Dominique Fonfrède, le trio du Drame et Madani à la mise en scène.


Dans ces mêmes lieux Dominique Cabrera y tournera Chronique d'une banlieue ordinaire, avec, en compléments, Réjane dans la tour et Rêves de ville en 1993. La femme de ménage raconte son quotidien de couloir en ascenseur. Un dernier film mêle les discours officiels, le spectacle de la démolition, l'émotion des habitants et les commentaires d'un jeune le jour de la démolition. C'est terminé. Mais que sont-ils devenus aujourd'hui ? La banlieue ne ressemble-t-elle pas toujours à ce no man's land entre la ville et la campagne où rien n'est fait pour les jeunes qui ne peuvent que zoner en bas des cités ? Les urbanistes à la solde des politiques semblent bien les auteurs de cette mise en scène criminelle de la misère.


Après cet ouest délaissé par les pouvoirs publics, Dominique Cabrera migre en banlieue nord pour filmer en 1994 Une poste à La Courneuve, son autre film phare marquant ses débuts avant ses films autobiographiques et ses longs métrages de fiction. Avec toujours autant d'humanité elle enregistre le quotidien d'un bureau de poste de la Cité des 4000 dont les habitants viennent d'abord toucher leurs allocations, rendant responsables les guichetiers qui font pourtant tout leur possible. La misère des sans emplois s'oppose aux petits salariés, fonctionnaires débordés à peine mieux lotis. Tous ces témoignages exceptionnels sont réunis dans le DVD, augmenté d'un entretien filmé par Victor Sicard avec la réalisatrice, le chef op et l'ingénieur du son d'Une poste à La Courneuve, et de l'émission Sur les docks d'Inès Léraud sur France Culture diffusée en 2009.

Il était une fois la banlieue, 6 films de Dominique Cabrera, Documentaire sur grand écran, collections particulières, 25€
→ soirée de lancement du DVD, mardi 7 mars au Forum des images, Paris. Séance suivie d'un débat en présence de Dominique Cabrera et Alice Diop.

mercredi 22 février 2017

Survol subjectif de projections récentes


Les films recensés ici ne m'ont inspiré aucun article. J'ai en outre choisi de ne pas citer ceux que j'ai déjà chroniqués. Ma mémoire n'ayant jamais été fameuse, il en manque certainement des quantités. Pas le temps de m'étendre sur chacun. Une liste donc, sommairement annotée.

À commencer par ceux qui m'ont le plus marqué comme Mademoiselle (The Handmaiden) du Coréen Park Chan-wook qui, derrière ses qualités plastiques, cache un thriller sulfureux des plus réussis, Toni Erdmann, de l'Allemande Maren Ade à qui l'on devait déjà Alle Anderen, comédie dramatique très fine dans les rapports père-fille qui réfléchit deux générations radicalement différentes avec beaucoup de fantaisie, En Chance Til (A Second chance) de la Danoise Susanne Bier, excellent thriller à déconseiller aux femmes enceintes, El Abrazo del Serpiente (L'étreinte du serpent) de Ciro Guerra, aventure coloniale, coproduite par la Colombie, l'Argentine et le Vénézuéla, racontée du point de vue des autochtones, superbe noir et blanc, Hunt For The Wilderpeople, récit initiatique du Néo-zélandais Taika Waititi qui a souvent fait tourner les acteurs maoris dans ses films, j'en ai profité pour regarder ses remarquables courts métrages Two Cars, One Night et Tama tu ainsi que son précédent long, What Do We Do In The Shadows, faux docu hillarant sur les vampires à la manière de The Spinal Tap... Comme tous les films du documentariste anglais Adam Curtis qu'il faut absolument voir, le dernier, Hypernormalisation, est indispensable si l'on veut comprendre dans quel monde nous vivons. Pour les Français je retiens Ma loute de Bruno Dumont qui réussit une nouvelle carrière dans la comédie sociale et Swagger d'Olivier Babinet qui me rappelle le premier film de Bertrand Blier, l'extraordinaire Hitler, connais pas, mais avec des jeunes d'aujourd'hui qui vivent à Aulnay-sous-Bois, la ville où Théo L. a fait l'objet d'une odieuse agression de flics racistes.

J'ai été intéressé par Elle qui n'est pas le meilleur du Hollandais Paul Verhoeven, plus profond qu'il n'en a l'air, Poesía Sin Fin du Chilien Alejandro Jodorowsky, suite de La danza de la realidad, passionnant mais son ego-trip devient fatigant à la longue malgré un travail de recherche plastique exceptionnel, Er Ist Wieder Da (Il est de retour), docu-fiction satirique de l'Allemand David Wnendt dont l'humour et la charge politique ont peut-être échappé aux critiques, Hrútar (Béliers), film très personnel de l'Islandais Grímur Hákonarson où deux frères ennemis s'affrontent dans l'amour de leur troupeau, Merci Patron ! de François Ruffin, à l'origine du mouvement Nuit Debout, les rééditions remasterisées d'une série de films d'Akira Kurosawa (L’ange ivre, Chien enragé, Vivre dans la peur et le bouleversant Vivre), les miniséries The Night Of sur le système juridique américain avec John Turturro, et The Night Manager de Susanne Bier d'après John Le Carré...

Malgré les critiques élogieuses je n'ai pas réussi à terminer de regarder Jackie de Pablo Larraín, portrait d'une femme dont je n'ai rien à faire, morbide et protocolaire, ni Billy Lynns Long Halftime Walk d'Ang Lee qui m'est apparu comme un Clint Eastwood avec un zeste de culpabilité du politiquement correct. Si c'est pour faire le énième portrait du héros américain, autant prendre Sully qui ne s'embarrasse pas de fausses pudeurs. Quitte à se coltiner des grosses daubes hollywoodiennes, je préfère m'amuser des effets spéciaux de Dr Strange ou Fantastic Beasts And Where to Find Them, charmante HarryPotterie. Même chose avec le prévisible Manchester By The Sea de Kenneth Lonergan dont le scénario ne peut flatter que la bonne conscience bourgeoise catholique. Dans le genre, on peut ajouter Hidden Figures (Les figures de l'ombre) de Theodore Melfi qui rappelle la participation déterminante de trois scientifiques noires américaines au lancement d'Apollo 11 vers le Lune en 1969, Queen of Katwe de l'Indienne Mira Nair qui évoque la jeune championne ougandaise d'échecs Phiona Mutesi issue d'un bidonville, ou la success story Joy de David O. Russell. La vengeance violente à l'œuvre dans The Birth of A Nation de l'Afro-Américain Nate Parker est aussi peu politique (je préfère encore Mandingo de Richard Fleischer ou Django Unchained de Tarentino !). Même Captain Fantastic de Matt Ross, de prime abord sympathique, m'apparaît en définitive très formaté. Hell or High Water de David Mackenzie a beau se passer dans un milieu social particulier, les délogés des spéculations immobilières américaines, c'est tout de même bien mou. Dans le genre western je préfère The Homesman de Tommy Lee Jones qui avait déjà réussi The Three Burials of Melquiades Estrada (Trois enterrements). Quant au remake des 7 mercenaires (The Magnificent Seven) on laisse tomber ! Il y a pire, tels les biopics consacrés à Miles Davis (Miles Ahead) et Chet Baker (Born To Be Blue), comme si jazz rimait forcément avec drogue, ou encore Allied, Florence Foster Jenkins, Passengers, Les premiers les derniers, Chocolat qui ne justifient aucun commentaire. On pourra toujours se distraire avec A Bigger Splash, Girl on The Train (mais ça ne vaut pas le bouquin), Train to Busan, Arrival (tout de même très faible en comparaison des précédents de Denis Villeneuve), The Accountant, mais Nocturnal Animals m'a semblé vain et très violent. Côté français je retiendrai les thrillers Diamant noir d'Arthur Harari et Maryland de Alice Winocour. J'ai toujours du mal avec Bertrand Bonello dont les films ne sont jamais à la hauteur des ses ambitions, boursoufflés par une sorte de prétention snob qui leur retire toute crédibilté. Dommage ! La série Westworld n'atteint pas non plus ses objectifs, on sait tout depuis le premier épisode et ça piétine dans un suspense artificiel. Mieux vaut la suédoise Jour polaire (Midnattssol) de Måns Mårlind et Björn Stein autour des Samis qui rappelle The Bridge (Bron) par son tueur en série, une figure récurrente du polar en ce début de siècle agonisant, ou Le bureau des légendes qui se tient plutôt bien pour une française. J'aime bien ses deux saisons, d'autant que je passe souvent devant la Piscine où sont regroupés tous les services d'espionnage et contrespionnage Porte des Lilas !

Si l'on perd rarement son temps avec les documentaires, il y en a peu dont le style se confond avec le sujet. Je me suis tout de même instruit en regardant l'éloquent Poutine, un nouvel empire de Jean-Michel Carré, Pornocratie d'Ovidie, Ni dieu, ni maître, une histoire de l'anarchisme de Tancrède Ramonet, une anthologie en trois DVD du Cubain Santiago Alvarez, Hergé à l'ombre de Tintin de Hugues Nancy, The Beatles Eight Days A Week de Ron Howard, Hitchcock Truffaut de Kent Jones. Et j'ai cultivé ma cinéphilie avec les films provoquants et très personnels du Grec Nikos Papatakis, les mouvements de caméra virtuoses du Hongrois Miklos Jancso, les dessins animés soviétiques des sœurs Brumberg, et dans le désordre qui caractérise ce billet Half Nelson de Ryan Fleck, Bonjour Tristesse d'Otto Preminger, Propriété privée de Leslie Stevens, etc. Etcétéra parce que cette énumération est bien fastidieuse, sachant qu'en la matière ma liste ne plaira pas à tout le monde, la perception du cinéma jouant essentiellement sur l'identification de chacun avec les personnages et les sujets projetés sur l'écran.

vendredi 17 février 2017

Suzan Pitt, les couleurs du rêve, un cauchemar animé


Si leur place est encore largement minoritaire dans les festivals de films d'animation, les femmes sont tout de même plus présentes que dans le long métrage de fiction ou le documentaire. Elles ont en effet investi depuis longtemps le cinéma d'animation à la suite des pionnières, l'Allemande Lotte Reiniger, reine du théâtre d'ombres, l'Américaine Claire Parker, inventrice de l'écran d'épingles avec son mari le Russe Alexandre Alexeïeff, ou les prolixes Soviétiques sœurs Brumberg... Les plus connues, dont nombreuses Canadiennes, sont Clorinda Warny, Caroline Leaf, Evelyn Lambart, Francine Desbiens, Michèle Cournoyer, Lynn Smith, Torill Kove, Hélène Tanguay,Wendy Tilby et Amanda Forbis, Marcy Page, Michèle Lemieux, Martine Chartrand, Janet Perlman, mais il y en a beaucoup d'autres comme la Lituanienne Signe Baumane dont j'adore les Teat Beat of Sex.


Re:Voir publie un recueil des plus récents films de l'Américaine Suzan Pitt, artiste peintre qui utilise différents procédés pour réaliser ses desseins corrosifs où l'humour et l'autodérision vont de paire avec une virtuosité exceptionnelle, en réalité banale chez la plupart des réalisateurs d'animation qui doivent jouer de patience masochiste pour arriver à leurs fins. J'ai l'heureuse surprise de découvrir la musique de Richard Teitelbaum et Steve Lacy sur le multiprimé Asparagus (1979, 20') où les allusions phalliques explosent en couleurs éclatantes et où chaque image donne naissance à la suivante, sorte de "marabout, bout de ficelle" infini ! De même, Roy Nathanson des Jazz Passengers accompagne le sombre et dépressif Joy Street (1985, 24') jusqu'à ce qu'un bestiaire et la végétation luxuriante des jungles du Guatemala et du Mexique traversées par Suzan Pitt redonnent espoir à l'héroïne au bord du suicide. Le médecin alcoolique de El Doctor (2006, 23') s'associe à une gargouille, tombe amoureux d'une femme-cheval, invoque Santa Esmeralda, la Sainte du Vide, dans cette histoire glauque suscitée par une visite médicale de la réalisatrice à Mexico ; écrit avec son fils, Blue Kraning, ce premier film avec dialogues depuis ses débuts en 1975, ayant recours aux peintures naïves mexicaines, simule une seconde chance face à la vieillesse, évocation de l'interprétation hispanique tordue du catholicisme. Là encore, la vie reprend ses droits sur la mort, dans un combat inégal où le succès n'est qu'illusion. Inspiré par un cendrier et H.P.Lovecraft, le monochrome Visitation (2012, 12') rappelle certaines tendances actuelles de la bande dessinée, gothique et romantique, où les corps difformes nous plongent dans un cauchemar jungien ; la peinture à main levée s'y transforme en suivant une élégie pour violoncelle et piano de Jules Massenet. Très différent des autres, Pinball (2013, 7') accumule de manière stroboscopique, sur le Ballet mécanique de George Antheil, des tableaux rappelant l'overdose dont nous sommes parfois victimes à la sortie des expositions d'art contemporain. Le documentaire Suzan Pitt: Persistence of Vision réalisé par Blue et Laura Kraning est un précieux témoignage des méthodes (animation traditionnelle, pâte à modeler sable, grattage de la pellicule, froissage, etc., qui souvent ici s'additionnent) et des inspirations de la réalisatrice et de son équipe pour les cinq films réunis dans ce fabuleux DVD.

→ Suzan Pitt, Animated Films, DVD Re:Voir, 16,92€, sortie le 15 mars 2017

mercredi 15 février 2017

Legion, encore plus dingue que Fargo !


Nombreux amis en manque de série TV me demandent de leur en recommander une en cette période de disette où les nouvelles saisons de Game of Thrones, Twin Peaks, The Americans, No Offence, etc., n'ont pas encore débuté... Une petite recherche mène mes doigts au premier épisode de Legion que je télécharge sans savoir de quoi il s'agit vraiment. Surprise, le premier épisode qui vient d'être mis en ligne est ouf de chez ouf, me faisant un peu penser à Utopia ! La série, inspirée des Marvel Comics, ne ressemble à aucune des adaptations que le cinéma enchaîne à la queue-leu-leu. Le montage adopte la schizophrénie vertigineuse du héros David Haller confondant le passé et le présent, mais surtout le rêve et la réalité. Les images explosent sur l'écran tandis que le spectateur est happé par l'énigme dont l'explication est livrée à la fin de l'épisode. L'hôpital psychiatrique où il est enfermé est le théâtre des hallucinations du jeune homme qui y rencontre l'âme sœur, mais tous les détails que j'aimerais livrer risquent de gâcher votre plaisir. Comme je suis stupéfait par l'imagination de l'auteur et la maestria de la réalisation, je découvre qu'il s'agit de Noah Hawley à qui l'on doit déjà les deux saisons de Fargo !


Après les audaces incroyables de la seconde saison de Fargo, Hawley a choisi d'écrire un scénario encore plus dingue en s'échappant du style original des X-Men, évitant le remake en construisant ses propres variations. Le sujet lui offre d'imaginer des scènes totalement inattendues. Confiante, la chaîne FX lui a laissé la liberté de créer comme il l'entendait, ce qui donne toujours les meilleurs résultats. Pour trouver son style, ses références furent à la fois à Orange mécanique, 2001, l'Odyssée de l'espace et Eternal Sunshine of the Spotless Mind ainsi que certains films de David Lynch, Terence Malick ou Paolo Sorrentino ! Autant que possible il choisit de réaliser les effets spéciaux à la caméra plutôt qu'avoir recours à l'informatique.
Pour la musique, il demande à Jeff Russo de s'inspirer de Dark Side of The Moon du Pink Floyd. Hawley a préparé Dan Stevens qui tient le rôle principal en composant une play-list de 160 morceaux dont Happy Jack des Who et She's Like A Rainbow des Rolling Stones que l'on entend dès les premières minutes, du sound design expérimental français (devinez qui !), des gens qui hurlent dans des citernes, Pink Floyd (Rachel Keller, déjà présente dans Fargo comme Jean Smart, qui joue la petite amie de Stevens, est appelée Sydney "Syd" Barrett en référence au fondateur du groupe, démissionnaire pour cause de maladie mentale)... Hawley soulève évidemment la question de la folie dans son décrochement du réel, mais aussi par sa fonction sociale, et le complot n'est évidemment jamais loin, préoccupation récurrente de ceux qui n'acceptent pas le story-telling de ceux qui dirigent la planète...

lundi 13 février 2017

Le choc de Walerian Borowczyk


Le coffret collector DVD/Blu-Ray consacré à Walerian Borowczyk est choquant à plus d'un titre, d'autant qu'il rassemble 7 longs métrages, 14 courts métrages, quantité de bonus documentaires et 2 livres ! Le choc vient d'abord de la qualité et la variété des films d'animation réalisés à partir de 1959 par celui qui commença par dessiner des affiches en Pologne. Son influence fut considérable, notamment sur les animateurs Jan Svankmajer et les frères Quay, voire Chris Marker qui cosigna Les astronautes. Le second choc vient de l'originalité des premiers films de fiction, sortes de théâtres de marionnettes surréalistes où l'on reconnaît des affinités avec Buster Keaton et Luis Buñuel, mais aussi l'héritage des pionniers Charles-Émile Reynaud, Émile Cohl, Georges Méliès. Enfin, le cinéaste est surtout connu pour ses films aux provocations érotiques qui suscitèrent la censure dans différents pays, et "Boro" n'y va pas de main morte. Ajoutez à cela des partitions musicales signées Bernard Parmegiani, l'invention de machines à musique en bois inouïes, un souci esthétique du moindre détail et vous découvrirez une œuvre unique et audacieuse qui continuera longtemps à faire scandale. Certains y voient une œuvre misogyne, d'autres la libération des femmes, mais il est certain que Borowczyk appuie là où cela fait mal, délicieusement mal ou cruellement du bien ?

Ses films d'animation sont de petits chefs d'œuvre y compris l'extraordinaire long métrage Le théâtre de Monsieur et Madame Kabal (1967) rappelant Topor et Beckett. Ses autres courts métrages, toujours aussi personnels, tiennent plus du cinéma expérimental. La poésie cruelle de Goto, l'île d'amour (1968) ne cache pas sa charge contre le totalitarisme, ce qui n'échappera ni à la censure polonaise stalinienne ni à celle de l'Espagne franquiste. Pierre Brasseur y est un Goto III ubuesque... Blanche (1971) est un drame romantique qui se déroule dans un Moyen Âge des plus scabreux. Michel Simon, Georges Wilson, Jacques Perrin sont nettement plus monstrueux que les bêtes qui rodent d'un film à un autre, et Ligia Branice, femme et muse du réalisateur, joue de manière quasi bressonienne... L'érotisme déjà présent dans ses films précédents explose avec les Contes immoraux (1974) où Fabrice Lucchini est l'un des personnages d'André Pieyre de Mandiargues et Paloma Picasso dans le rôle de la Comtesse Bathory, et le plus provoquant, La bête (1975). Rien à voir avec la pornographie des gonzos du X. Le désir y est extrêmement dérangeant : fellation cosmique, masturbation transcendentale, lesbianisme sanglant, inceste papal, fantasme zoophile. Boro marche sur les traces du Marquis de Sade ou d'Apollinaire. Les mâles en prennent pour leur grade, les femmes se déchaînent, mais les critiques de l'époque semblent avoir raté les intentions subversives... Les films suivants seront plus classiques dans leur narration, films "roses" (absents du coffret) assez fades. Histoire d'un péché (1975) est une descente aux enfers d'une pauvre fille entraînée par sa passion romantique et Dr Jekyll et les femmes (1981) un film d'horreur dont les failles sont évidentes. En effet, Boro soigne le moindre détail, lumière et décors, costumes et maquillage, trucages et montage, au détriment de la direction d'acteurs. Plus les dialogues prennent de la place, moins les films sont convaincants.


Le coffret s'enrichit d'un nombre incroyable de suppléments. Terry Gilliam, Craigie Horsfield, Leslie Megahey, Daniel Bird, Peter Bradshaw, Andrzej Kilmowski introduisent chacun un film. Les documentaires Un film n'est pas une saucisse : Borowczyk et le court métrage et Plaisirs obscurs : Portrait de Walerian Borowczyk, les récits de de chaque tournage par Patrice Leconte, Noël Véry, André Heinrich, Dominique Duvergé-Ségrétin, Udo Kier, les œuvres sur papier de Borowczyk, ses sculptures sonores, une collection d'objets érotiques, des publicités réalisées par Borowczyk, les œuvres peintes de Bona Tibertelli de Pisis, des sujets sur le compositeur Bernard Parmegiani ou sur l'utilisation de la musique classique, la version de 120 minutes des Contes immoraux présentée à Cannes quand La bête en faisait partie, etc. Au bout des fusils est un court-métrage de Peter Graham montrant une chasse de Francis Bouygues avec des faisans prétendument sauvages, mais qui sont en réalité élevés pour être tués ! Deux livres complètent cette somme, Camera Obscura, 212 pages regroupant des articles sur les films et deux entretiens exclusifs avec Borowczyk et Le dico de Boro, abécédaire de 92 pages...

Walerian Borowczyk, coffret collector 8 DVD+3 Blu-Ray+2 livres, version restaurée 2K, ed. Carlotta, 70€, sortie le 22 février 2017
Rétrospective au Centre Pompidou du 24 février au 19 mars, en 11 longs métrages et 26 courts métrages !