Comme presque tout le cinéma expérimental, que les Américains appellent cinéma non narratif, j'avais découvert Paul Sharits au C.N.A.C. rue Berryer, près de l'Étoile à Paris, qui préfigurait le futur Beaubourg. Une histoire du cinéma, conçue par Peter Kubelka, cofondateur de l'Anthology Film Archives de New York, et organisée par Annette Michelson avec le soutien de Pontus Hultén, directeur du département des arts plastiques de Beaubourg, et d'Alain Sayag, directeur du Musée d'Art Moderne, présentait du 7 février au 11 mars 1976 des centaines de films réalisés des cinéastes américains et européens depuis les origines. Après celle de Montreux, cette exposition était la plus importante jamais organisée en Europe. Henri Langlois avait donné son accord pour un tarif forfaitaire de 60 francs après une manifestation des étudiants du département-cinéma de l'Université de Vincennes.
Pour la partie européenne, Kubelka avait demandé conseil à Noël Burch, Marcel Mazé et le collectif Jeune Cinéma, Claudine Eizykman et Guy Fihman, Dominique Noguez... À côté de Buñuel, Cocteau, Léger, Ray, Deren, Clair, Picabia, Dulac, Chomettte, Richter, Epstein, Franju, Genet, Ivens, Vigo, Isou, Lemaître, Rainer, Varda, Hanoun, Robiolle, Garrel, Clémenti, Monory, Arrietta, Dwoskin, Eggeling, Cornell, Menken, etc., on découvrait Kenneth Anger, Stan Brakhage, James Broughton, Robert Breer, Hollis Frampton, Ernie Gehr, etc. Jean-André Fieschi nous avait déjà montré La région centrale de Michael Snow, mais il y avait aussi Back and Forth, Wavelength, One Second in Montreal, Standard Time... Je connaissais aussi un film déterminant pour mon travail, A Movie de Bruce Conner, et Tom, Tom The Piper's Son de Ken Jacobs me marqua à jamais. Les films représentaient pour la plupart une expérience sensorielle quasi psychédélique. Les flicker films de Sharits faisaient partie de cette hallucination vécue en direct par toute l'assistance. La stroboscopie de N.O.T.H.I.N.G., T.O.U.C.H.I.N.G. et S/Stream:S:S:ection:S:S:ectionned nous avait hypnotisés. Sortis de la salle, nous ne regardions plus le réel avec les mêmes yeux, nous n'écoutions plus les bruits de la ville avec les mêmes oreilles.


Le documentaire de François Miron sur Paul Sharits fait partie de ces histoires tristes où un artiste se brûle les ailes à la flamme de son œuvre, qui elle-même l'avait pourtant sauvé du bûcher de la vie. Les témoignages de ses proches font le portrait d'un artiste violent et auto-destructeur que les échecs consument. Après avoir échappé à une attaque à l'arme blanche et à un coup de feu meurtrier, Sharits se suicidera en 1993 à 50 ans d'une balle dans l'oreille comme il l'avait annoncé. Sa mère s'était elle-même suicidée. L'estime de ses collègues ne suffisait pas pour manger à sa faim, et il devait brader ses tableaux pour tenir le coup. Les extraits de ses films ne reproduisent pas l'effet hypnotique et hallucinogène de ses clignotements colorés, mais Re:voir a déjà publié 3 de ses films en DVD. Chez lui le sujet principal est la bande de celluloïd composée de photogrammes. Leur rythme est dicté par la musique, une musique des images que de longues heures de montage produisent. Si tout est calculé, sans laisser de place au hasard, son approche du cinématographe est pourtant viscéralement romantique. Les perforations de la pellicule semblent avoir marqué sa vie comme un tatouage au fer rouge.

→ François Miron, Paul Sharits, DVD Re:voir, livret de 40 pages rédigé par Yann Beauvais, 19,90€