70 Cinéma & DVD - février 2018 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 20 février 2018

Mes 24 documentaires résonnants


Il y a peu j'avais listé les "24 films que j'ai encore envie de projeter à des amis qui ne les connaissent pas ou qui auraient comme moi envie de les revoir." J'avais volontairement omis les documentaires, citant néanmoins Ceux de chez nous de Sacha Guitry, A Movie de Bruce Conner et Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard qui sont essentiellement des montages d'archives, ainsi que l'autofiction Thème Je de Françoise Romand et le court métrage L'île aux fleurs de Jorge Furtado. C'est bien la frontière ténue entre fiction et documentaire qui m'intéresse, que l'on en apprenne autant dans les fictions et que les documentaires soient mis en scène avec les ressources qu'offre le cinématographe. J'ai donc cette fois sélectionné 24 nouveaux films qui me touchent particulièrement. Il ne s'agit pas de pointer les meilleurs, mais ceux qui subjectivement font vibrer quelque chose en moi comme une corde sympathique.

Chelovek s kino-apparatom (L'homme à la caméra), Dziga Vertov, 1929 - ce n'est pas un hasard si avec Un Drame Musical Instantané nous l'avons accompagné en grand orchestre, l'idée étant de reconstituer le Laboratoire de l'ouïe de Vertov, voir le lien !
Tabu (Tabou), F.W. Murnau, 1931 - malédiction !
Les maîtres fous, Jean Rouch, 1955 - après une scène de transe, les plus beaux sourires jamais filmés. Voir le film !
Lourdes et ses miracles, Georges Rouquier, 1955 - cette commande du Diocèse n'a pas effacé l'humour de Rouquier, un miracle !
Nuit et brouillard, Alain Resnais, 1956 - pour les derniers mots de Jean Cayrol...
Come Back, Africa, Lionel Rogosin, 1959 - docu-fiction tourné clandestinement pendant l'apartheid, avec la jeune et sublime Myriam Makeba, voir le lien !
The Savage Eye, Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick, 1959 - d'une invention à couper le souffle, aussi pour la voix off et la musique, voir le lien !
Pasolini l'enragé, Jean-André Fieschi, 1966 - un témoignage inestimable de Jean-André qui fut mon maître et de P.P.P. en français à ses débuts, voir le film !
Tarva Yeghanaknere ou Vremena goda (Les saisons), Artavazd Pelechian, 1972 - voir l'article, poème symphonique en hommage à la nature, voir le film !
Fellini Roma, Frederico Fellini, 1972 - j'ai toujours préféré ses faux documentaires à ses vraies fictions, comme Les clowns et Prova d'orchestra...
Télévision ou Jacques Lacan : La psychanalyse, Benoit Jacquot, 1973 - fascinant, on a l'impression qu'on pourrait devenir intelligent, voir le film !
Genèse d'un repas, Luc Moullet, 1978 - j'aurais pu choisir Anatomie d'un rapport ou Essai d'ouverture, mais celui-ci est une critique fantastique et si drôle de notre civilisation marchande.
Filming Othello, Orson Welles, 1978 - un making of passionnant avant la lettre, voir le film ! J'aurais pu choisir tout aussi bien F For Fake (Vérités et mensonges) dont le titre justifie le tour de passe-passe sur l'illustration de cet article. Il me manque d'ailleurs pas mal de boîtiers à prendre en photo...
Mix-Up ou Méli-Mélo, Françoise Romand, 1985 - j'ai choisi son premier plutôt que Appelez-moi Madame parce que sa complicité avec ses acteurs est encore plus évidente dans sa mise en scène du réel. Voir le lien !
L'abécédaire de Gilles Deleuze, Pierre-André Boutang, 1988 - un souvenir d'Arte des débuts...
Step Across The Border, Nicolas Humbert & Werner Penzel, 1990 - un des plus beaux films sur la musique, il faudra d'ailleurs que je fasse une liste de ce genre qui n'existe pas vraiment, voir le lien !
La Commune, Peter Watkins, 2000 - six heures de reportage sur le vif dans une Commune reconstituée, déjà avec The War Game (La bombe) Watkins avait inventé un modèle infalsifiable, voir le lien !
Eux et moi, Stéphane Breton, 2001 - la caméra devient l'enjeu de cette excursion burlesque chez les Papous...
Decasia, Bill Morrison, 2002 - j'aurais pu choisir n'importe quel autre film de Morrison, celui-ci est un des plus évidents, avec la musique Michael Gordon, voir le lien !
Capturing The Friedmans, Anrdew Jarecki, 2004 - la sérenpidité est un des meilleurs atouts du documentaire ; il est absurde de réclamer un synopsis aux réalisateurs...
La mécanique de l'orange, Eyal Sivan, 2009 - le film le plus explicite sur le story-telling qui sévit en Israël à propos de la Palestine; le tout en chansons.
It Felt Like a Kiss, Adam Curtis, 2009 - Les nombreux films radicalement politiques de ce réalisateur britannique de la BBC multiprimé, mais inconnu du public français, sont à découvrir séance tenante. Contrairement aux autres comme The Century of the Self, The Power of Nightmares, Biitter Lake ou HyperNormalisation, celui-ci ne possède aucun commentaire off, mais si je vous dis qu'à la distribution participent Eldridge Cleaver, Doris Day, Philip K Dick, Rock Hudson, Saddam Hussein, Richard Nixon, Lee Harvey Oswald, Lou Reed, Mobutu Sese Seko, Phil Spector, Tina Turner et le chimpanzé Enos, peut-être aurez-vous envie de voir le film ! J'ai découvert ce documentariste grâce à une erreur. Je cherchais des films de Bill Morrison et je suis tombé sur celui-ci par hasard. Heureux hasard !
The Queen of Versailles, Lauren Greenfield, 2012 - délirant, j'adore, voir le lien !
Le temps de quelques jours, Nicolas Gayraud, 2014 - inattendu, beaucoup de tendresse, voir le lien !

J'en oublie probablement certains qui furent pour moi déterminants. Un autre jour la liste aurait été probablement différente, mais je n'ai pas su quel film choisir de José Berzosa (sa disparition récente poussera peut-être l'INA à exhumer ses films), William Klein (pour le cinéma et la télévision), Chris Marker ( je ne suis pas certain de préférer La jetée), Jean Painlevé (pas seulement pour ses choix musicaux, mais pour ses univers où l'humain n'a de place qu'en observateur), Roberto Rossellini (je me souviens bien de La Prise de pouvoir par Louis XIV, mais il y a toutes ses fictions presque documentaires et ses reconstitutions historiques), Barbet Schroeder (par exemple, comment choisir entre Général Idi Amin Dada : Autoportrait et L'avocat de la terreur ?), Agnès Varda (il y en a tant ; j'aime évidemment bien le plan de fin des Plages d'Agnès où je figure), et puis toute la série des Cinéastes de notre temps initiée par Janine Bazin et André S. Labarthe. J'aurais pu choisir Nanook de Flaherty ou Le sang des bêtes de Franju, Le tempestaire d'Epstein ou un film plus récent comme l'amusant Meet The Patels de Geeta V. Patel & Ravi V. Patel, mais non, c'est une liste qui s'est imposée d'elle-même ce soir-là... Ou bien je triche à rallonger la liste en faisant semblant de n'en livrer que 24 ?

mardi 13 février 2018

Mes 24 films résonnants


Pourquoi d'abord se limiter à 10 ? Ensuite sur quels critères se baser ? Comment se fier à sa mémoire ? J'ai donc sélectionné 24 films que j'ai encore envie de projeter à des amis qui ne les connaissent pas ou qui auraient comme moi envie de les revoir. 24 comme 24 images par seconde d'un ruban de celluloïd. Je ne prétends pas que ce sont les meilleurs, mais ceux qui me font vibrer par un système d'identification qui parfois m'échappe... J'ai ajouté chaque fois un petit commentaire résonnant qui n'a rien à voir avec une critique raisonnée !

Ceux de chez nous, Sacha Guitry, 1915-1952 - quelle idée géniale que d'avoir immortalisé ces grands artistes qui allaient disparaître, avec cette nouvelle invention qu'est le cinématographe !
Faust - Eine deutsche Volkssage (Faust, une légende allemande), F.W. Murnau, 1926 - signerais-je ?
Das Testament des Dr. Mabuse (Le testament du docteur Mabuse), Fritz Lang, 1933 - la partition sonore y est plus remarquable que tant de films actuels !
La règle du jeu, Jean Renoir, 1939 - Roland Toutain était un ami de mes parents, et puis j'aime me rappeler des dialogues avec Jonathan Buchsbaum en imitant les voix...
Hellzapoppin, H.C. Potter, 1941 - pour des dizaines de fois depuis que mon père me l'a montré quand j'avais 8 ans, voir le lien !
I Know Where I'm Going (Je sais où je vais), Michael Powell, 1945 - bouleversant, un grand film féministe comme L'amour d'une femme de Jean Grémillon ; Powell est l'équivalent de Renoir en Grande-Bretagne.
Anatahan, Josef von Sternberg, 1953 - Sternberg commente le film parlé en japonais, voir le lien !
The 5000 Fingers of Dr T (Les 5000 doigts du Dr T), Roy Rowland, 1953 - comédie musicale freudienne pour les petits et grands...
Johnny Guitar, Nicholas Ray, 1954 - le pianiste de l'Holiday Inn jouait la chanson de Victor Young quand je suis arrivé à Sarajevo sous les bombes... Freudien aussi !
The Night of The Hunter (La nuit du chasseur), Charles Laughton, 1955 - Le making of de 2h40 publié en 2010 est passionnant, on entend Laughton diriger...
A Movie, Bruce Conner, 1958 - j'ai longtemps dit que s'il n'en restait qu'un ce serait celui-là, voir le lien !
Adieu Philippine, Jacques Rozier, 1962 - je connais le moindre dialogue de cette comédie par cœur ! Un des rares films de l'époque avec Les parapluies de Cherbourg et Muriel où la guerre d'Algérie est le moteur du drame
Die Parallelstraße (La route parallèle), Ferdinand Khittl, 1962 - le moins connu de la liste, et pourtant ! Un OVNI total qui nous avait tant impressionné lorsque j'étais étudiant à l'Idhec. Voir le lien !
Muriel ou le temps d'un retour, Alain Resnais, 1963 - le chef d'œuvre de Resnais, il a donné son second prénom à ma fille.
Sedmikrásky (Les petites marguerites), Věra Chytilová, 1966 - il n'y a que Françoise qui ait cette fantaisie dans la vie ;-)
Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et grands), Pier Paolo Pasolini, 1966 - avec les courts métrages La Terre vue de la Lune et Che cosa sono le nuvole? mes favoris de PPP...
La voie lactée, Luis Buñuel, 1969 - l'absurdité de la foi, je suis écroulé de rire pendant tout le film !
Une chambre en ville, Jacques Demy, 1982 - j'ai mis du temps à apprécier le récitatif de Michel Colombier tant j'aimais les chansons des Parapluies, des Demoiselles et de Peau d'Âne ; c'est un film bouleversant qui comme Adieu Philippine fait un flop à chaque sortie et personne ne comprend jamais pourquoi ! Rien que le début est à tomber...
Welcome in Vienna, Axel Corti, 1982-1986 - le meilleur film (en fait c'est un tryptique) sur l'époque 1940-45, on a l'impression de voir un documentaire ou d'en être tant on plonge dans le réel...
Beetlejuice, Tim Burton, 1988 - là c'est régressif, on le regardait en boucle quand ma fille était enfant... De toute manière les premiers Burton sont les seuls qui valent la peine.
Ilha das Flores (L'île aux fleurs), Jorge Furtado, 1989 - qu'est-ce que ce court métrage fait là ? Ce n'est même pas une fiction, mais si vous avez "le téléencéphale hautement développé et le pouce préhenseur" comme tous les êtres humains, ne le manquez pas !
Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard, 1988-1998 - aujourd'hui s'il n'en restait qu'un c'est celui que j'emporterais sur l'île déserte, mais il y a une manière de le regarder sans attraper la migraine : diffusez-le en continu en vaquant à vos occupations et de temps en temps il vous prendra par la main pendant dix minutes, en vous laissant croire que vous deviendrez plus intelligent, un peu comme écouter Radiophonie de Lacan ou Télévision... Cocteau, Godard et Lacan sont parmi les voix que j'aime le plus. C'est un travail qui fonctionne à la reconnaissance, le propre des émotions cinématographiques...
La face cachée de la lune, Robert Lepage, 2003 - alliage de la poésie et de la science que Lepage semble avoir dillué ces dernières années, dommage !
Thème Je, Françoise Romand, 2011 - impudique et provoquant, Françoise a retourné la caméra sur elle sans la compassion qu'elle a d'habitude pour ses personnages ni celle dont font preuve les réalisateurs qui se prêtent à l'autofiction, probablement aussi son film le plus inventif !

Un autre jour la liste aurait été probablement différente, mais je n'ai pas su quel film choisir de Jacques Becker (que je préfère à Renoir), Robert Bresson (d'une modernité inégalée), John Cassavetes (mais Shadows tout de même...), Jean Cocteau (mon auteur de prédilection), David Cronenberg (qui caresse à rebrousse-poil), Carl T. Dreyer (mais Gertrud tout de même...), Jean Epstein (dont j'ai accompagné vingt fois La glace à trois faces et La chute de la Maison Usher et dont les écrits sont pour moi des modèles), John Ford (jusqu'à 7 Women !), Samuel Fuller (direct et uppercut), Jean Grémillon (comme Becker), Alfred Hitchcock (jusqu'à Family Plot !), Aki Kaurismaki (pour une fois qu'il y a un cinéaste positif et foncièrement humain), Neil La Bute (lui ce serait plutôt le contraire qui me plaît, sa brutale amertume), Ernst Lubitsch (du Luft, comme une pâtisserie de chez Demmel à Vienne !), David Lynch (actuellement le plus gonflé, en plus c'est un des rares à soigner le son sans redondance avec l'image), Mizoguchi Kenji (jusqu'à La rue de la honte), Luc Moullet (surtout Genèse d'un repas et Anatomie d'un rapport), Max Ophuls (quelle élégance !), Paolo Sorrentino (des films comme on n'en fait plus), Jacques Tati (une tarte à la crème, d'accord, mais je n'ai cité aucun burlesque, et pourtant !), Paul Verhoeven (j'adore le commentaire audio de Starship Troopers), Jean Vigo (absolument tout), Lucchino Visconti (jusqu'à L'innocente !), Orson Welles (presque tout) et bien d'autres dont vous saurez me rafraîchir la mémoire, même si mes choix sont explicitement subjectifs ! Pas question de refaire ici l'Histoire du Cinéma. J'ai également laissé de côté les plus récents qui passeront au crible de l'oubli avant de rejoindre cette concession à perpétuité.
Il y a de grands réalisateurs que je n'ai pas cités tout simplement parce que l'estime que je leur porte ne peut se substituer à la subjectivité des émotions que leurs films provoquent en moi. Il n'y a pas non plus ici de films d'animation ni de documentaires proprement dits. Ils feront plus tard l'objet d'une liste particulière, justement parce qu'ils produisent des effets différents des fictions ou des films non narratifs (dits expérimentaux) sur mon ciboulot. Le système d'identification n'y fonctionne pas de la même manière. J'en ai pourtant listé trois ou quatre qui pourraient être aussi considérés comme des documentaires. La frontière est parfois floue. Pour ceux que j'ai choisis, je ne fais pas de différence avec les fictions, parce qu'ils font vibrer en moi des cordes sympathiques. Il n'est question que de ça dans cette liste.

mardi 6 février 2018

Patrice Barrat s'est échappé


Patrice Barrat était un homme extraordinaire, fourmillant d'idées originales et de projets formidables, un homme généreux, révolté contre les injustices qui pullulent sur cette planète. Ce sont les êtres les plus consciencieux qui se frottent le plus souvent au burn-out. Qu'on les empêche de travailler, de réaliser leurs objectifs et leur vie n'a plus de sens.
Je l'ai rencontré en 1993 alors qu'il dirigeait l'agence de presse Point du Jour. Grâce à Jean-Pierre Mabille, alors directeur de production, il m'embarqua dans la série Vis à Vis qui, sur un sujet politique ou social, mettait en relation deux personnes pendant trois jours à deux bouts du monde en vidéo compressée par satellite. Internet balbutiait et on était encore loin du tchat et autres Skype. Je réalisai ainsi Idir et Johnny Clegg a capella. Quelques mois plus tard j'embarquai pour Sarajevo, a street under siege (Chaque jour pour Sarajevo) dont les 120 épisodes réalisés avec huit autres camarades reçurent un British Academy Award (BAFTA) et le Prix du Jury à Locarno. Chaque soir avant le 20 heures, était diffusé un très court métrage de deux minutes sur la vie d'une rue dans la ville assiégée, une aventure philosophique et poétique qui mettait en scène le système D des habitants sous les bombes et le feu des snipers.
Journaliste, à la radio (RTL), dans la presse écrite (Nouvelles Littéraires et quelquefois pour Libération ou Le Monde) puis pour la télévision, réalisateur puis producteur, Patrice Barrat fut amené à créer deux agences de presse audiovisuelles (Point du Jour, Article Z) et deux ONGs (Internews Europe, Bridge Initiative International), "plus par esprit d’indépendance que par celui d’entreprise"… Il avait vécu plusieurs sièges : Beyrouth (1982), Tripoli (Nord Liban, 1983), Sarajevo (de 1993 à 1995), vu plusieurs famines (Éthiopie, Soudan, Somalie), raconté la pauvreté à New York ou à Paris... D'autres complèteront son parcours exceptionnel, son engagement inlassable, ses projets les plus fous dont il réussit à mettre quelques uns sur pied...
Sur FaceBook (la presse étant muette, et c'est la raison pour laquelle je rédige aussi ce billet d'une profonde tristesse, poussé par les mots de Gilles Cayatte), la réalisatrice Simone Bitton écrit : Patrice Barrat avait tant de qualités : courageux, créatif, talentueux, et il était si beau… Mais il souffrait de ce sale mal qui parfois empêche les plus sensibles d’entre nous de continuer à mettre un pied devant l’autre. Il n’arrivait plus à vivre, et cette fois il ne s’est pas raté. Il a préféré s’en aller en écrivant qu’il n’avait plus la force de lutter. Nous partagions de nombreux engagements essentiels, et il a produit plusieurs de mes films , en particulier Palestine, Histoire d’une terre et Ben Barka, l’équation marocaine. La dernière fois que je l'ai vu , il y a quelques mois, nous avons fêté en rigolant et en chantant l'anniversaire d'un vieil ami à Rabat. Puis il a mis son sac à dos, comme le jeune homme qu'il était toujours malgré sa soixantaine bien sonnée, et il s'en est allé prendre un bus de nuit pour Marrakech... J'espérais tant qu'il s'en était définitivement sorti, que ce haut ne serait pas suivi d'un bas. Mais la sale maladie du malheur est revenue le chercher et il est parti avec elle. Repose en paix Patrice. Le monde est si gris sans toi ce matin. Et embrasse Denise là haut de ma part.
Il y a quelques mois, il racontait son dernier projet, Le Grain d'or ou Les sept piliers de la citoyenneté : Avec mon ami Bruno Lafuente, nous avons voulu tenter d'incarner avant l'été ces idées qui nous tiennent à cœur . Et, nous le croyons, à vous aussi. La recherche du Beau, dans les choses, la nature et chez les gens aussi, le sentiment d'une citoyenneté active et le projet d'une société réellement participative, semblent importants en France et dans le monde. En France, où l'élan du nouveau pouvoir bat déjà de l'aile et où des contre-pouvoirs et des forces de proposition émanant de la "société civile" dans son amplitude et sa diversité sont vitales pour que la vague En Marche n'efface pas la contestation dans son sillage et aille bien plus loin que le programme actuel de Macron. Dans le monde, car qui n'a pas besoin d'un souffle nouveau pour résister à tous ces potentats qui veulent régner sans partage ? Il y a juste un an, dans le cadre de Nuit Debout, il avait créé le Forum mondial du Réveil Citoyen (Résister Créer Oser Espérer Construire)...
Patrice Barrat s'est échappé de l'enfer qu'il vivait, fuyant de vilains fantômes dont il avait été victime. On pouvait difficilement le suivre, même si ses raisons étaient justes. Nous sommes très nombreux à partager la tristesse de ce départ anticipé.

jeudi 1 février 2018

Roar ! Si vous aimez les fauves...


Roar, le film de Noel Marshall avec Tippi Hedren et Melanie Griffith, véhicule le qualificatif de "film le plus dangereux du monde". Si vous aimez les gros chats câlins, vous resterez ébahis, collés à votre siège. Si vous aimez les films d'épouvante, vous frémirez devant la horde de carnivores aux babines ensanglantées. Roar est absolument hallucinant. On ne sait pas si c'est du courage ou de l'inconscience, mais l'aventure africaine est délirante. D'un côté il y a le film, une heure et demie sur le fil du rasoir, où l'intrigue est très mince, mais le spectacle un délire à couper le souffle. De l'autre les coulisses qui ne sont pas racontées, mais l'histoire est quasi mythique. Dans les années 60 le couple Noel Marshall et Tippi Hedren, s'étant amouraché des grands fauves, en recueille une centaine dans leur ranch californien, apprivoisés mais non dressés, des lions, des tigres, des guépards, en veux-tu, en voilà, je n'en ai jamais vu autant réunis !
Aucun trucage, les bestioles vivent en liberté dehors, dedans, pourvu qu'elles rentrent les griffes, ne vous croquent pas ou ne vous écrabouillent pas comme cet éléphant qui met en pièce un canot en aluminium. Aujourd'hui tout serait fait en effets spéciaux. Pendant le tournage qui a duré six ans au lieu des six mois prévus, soixante-dix membres de l'équipe ont été blessés, le réalisateur a attrapé la gangrène suite à une morsure, le chef op a écopé de deux cent vingt points de suture après avoir été scalpé par une des bêtes, la jeune Melanie Griffith, fille de Tippi Hedren qui s'est cassée la jambe, a dû subir de la chirurgie réparatrice au visage, trois cents kilomètres de pellicule ont pris l'eau et les tables de montage ont été recouvertes de boue après des pluies torrentielles, etc.


Petit clin d'œil humoristique aux Oiseaux, et "la horde sauvage" des fauves rappelle bigrement les nuées de volatiles du film d'Hitchcock dont elle avait été l'héroïne, Tippi Hedren s'affole d'un petit moineau lorsqu'elle pénètre dans le ranch avant d'avoir vu les monstres. La ligne entre documentaire et fiction est effacée, comme entre comédiens professionnels ou pas. les deux fils Marshall sont aussi de la partie, cascade en moto à l'appui et cavalcade hilarante dans les étages du bengalow mis à sac par les animaux qui ne rêvent que de jouer. De gros chats, vous disais-je, mais certains pèsent jusqu'à 300 kg ! Si vous étiez confrontés un jour à ce genre de situation, surtout ne montrez aucun signe de peur, ne courez pas, ne jouez pas à cache-cache, ne vous découvrez pas, ne vous débattez pas s'ils vous attrapent ! Je m'entraîne depuis ce matin avec Django et Oulala...

→ Noel Marshall, Roar (1981), sortie au cinéma pour la première fois en version restaurée le 7 février 2018