J'ignore pourquoi certains cinéastes me font aller vers eux à reculons. Pourtant chaque fois que je regarde un film de Rainer Werner Fassbinder, je suis passionné et admiratif de son regard critique sur notre société. La projection de Berlin Alexanderplatz (1980) m'avait enthousiasmé au delà de toute espérance, quatorze heures qui m'avaient tenu en haleine. L'éditeur Carlotta publie Huit heures ne font pas un jour, un précédent feuilleton réalisé en 1972, ainsi que deux coffrets (volumes 1 et 2) du cinéaste allemand. J'ai eu la même réaction devant les cinq épisodes de cette histoire familiale en milieu ouvrier. Le titre insiste sur la vie en dehors du travail. Jusque là, les séries montraient des familles bourgeoises. Non seulement Fassbinder révèle les préoccupations de la classe ouvrière en élevant soigneusement le débat, mais il propose une vision fondamentalement optimiste des luttes sociales, somme toute en sympathie avec son époque. Le cynisme n'était pas du tout de mise et le prolétariat n'avait pas baissé les bras, bien au contraire. Au travers de cinq couples il aborde des questions qui sont toujours d'actualité, et peut-être aujourd'hui plus cruciales que jamais devant la brutalité de la politique ultralibérale de nos gouvernements vendus aux banques et le combat incessant qu'il est nécessaire de mener pour l'égalité des femmes et des hommes ou la solidarité des travailleurs. Les personnages principaux sont particulièrement attachants dans leur fragilité, leur fantaisie ou leur lutte sociale. Au couple Jochen et Marion interprété magistralement par Gottfried John et Hanna Schygulla s'ajoute la truculente grand-mère, Luise Ullrich. Fassbinder n'évite ni la question du racisme envers les immigrés, ni la violence du machisme, ni le problème que posent les loyers ou le divorce.


Fassbinder filme à coups de zooms brutaux, ou de fins de séquences qui recadrent rapidement un autre élément du décor, sorte de contrepoint à la scène qui vient de se terminer, et il coupe aussitôt. Dans notre école de cinéma on nous interdisait ce genre de mouvements, mais un cinéaste peut faire ce qu'il veut, surtout s'il affirme ses choix, ici une démarche foncièrement dialectique. On sent l'écart qui nous sépare de cette époque où les ouvriers voulaient prendre en charge leurs méthodes de travail pour produire mieux dans de meilleures conditions de confort et d'intelligence, quitte à partager les bénéfices avec le patronat, ce que lui-même envisageait fort bien, plutôt que de désinvestir ceux qu'il exploite. À voir l'héritage de mai 68, on peut taxer d'utopie l'optimisme d'alors de Fassbinder, mais c'est pourtant par des actes positifs et inventifs que tous les travailleurs que nous sommes peuvent espérer construire un monde nouveau. Cette révolution n'aboutira pas sans heurts, le pouvoir financier étant devenu si arrogant qu'il ne lâchera jamais sans y être forcé. En 1972, la WDR annulera tout de même les trois derniers épisodes que Fassbinder avait prévus et qui devaient monter d'un cran dans sa révolte contre le Capital.

→ Rainer Werner Fassbinder, Huit heures ne font pas un jour, 3 DVD ou 3 Blu-Ray Carlotta avec supplément documentaire, 35,10€
→ Rainer Werner Fassbinder, Vol. 1 (L'Amour est plus froid que la mort, Le Bouc, Prenez garde à la sainte putain, Le Marchand des quatre saisons, Les Larmes amères de Petra Von Kant, Martha, Tous les autres s'appellent Ali), 4 Blu-Ray + 1 DVD de suppléments (Michael Ballhaus à propos de Martha, deux entretiens avec Fassbinder, et Life, Love & Celluloid de Juliane Lorenz), 50,16€
→ Rainer Werner Fassbinder, Vol. 2 (Effi Briest, Le Droit du plus fort, Roulette chinoise, L'Année des treize lunes, Le Mariage de Maria Braun, L'Allemagne en automne, Lola, une femme allemande, Le Secret de Veronika Voss), 4 Blu-Ray + 1 DVD de suppléments (des analyses de Marielle Silhouette, Nicole Brenez et Cédric Anger, de Patrick Straumann, de Caroline Champetier, de Jean Douchet, les souvenirs de Hanna Schygulla, un essai de Nicolas Ripoche, un entretien avec Heike Hurst), 50,16€