Pour visionner quantité de films, cela fait du bien de tomber par hasard sur un chef d'œuvre. Autant vous prévenir tout de suite, j'ignore quand il sortira en France. Ruben Brandt, Collector est un long métrage d'animation hongrois réalisé et dessiné par un Serbe né en Slovénie, Milorad Krstić, né en 1952 et installé à Budapest depuis 1989. Également peintre, sculpteur, documentariste et artiste multimédia, Milorad Krstić, qui a l'habitude de travailler seul, conduit cette fois un orchestre d'une centaine de personnes pour captiver son public. Essentiellement dessiné à la main sur ordinateur avec TVPaint en cherchant à donner l'impression d'un monde en 2D, il fait aussi appel aux logiciels Anime Studio, After Effects, Maya et Blender. Ruben Brandt, collectionneur est un film d'action dans le monde de l'art en forme de thriller sur fond de psychanalyse ! Tout en préservant un style graphique extrêmement personnel, Krstić enchaîne les références picturales, tout autant que cinématographiques et musicales. Cette accumulation incroyable pourrait être vaine, or elle sert toujours l'intrigue d'une manière ou d'une autre. Parfois une phrase célèbre peut trouver son interprétation dans un accessoire. Parfois la musique se réfère au décor ou fait un clin d'œil aux érudits. Celle composée par Tibor Cárl joue le même rôle que le dessin de Krstić, enveloppant l'ensemble des citations dans la course folle des quatre voleurs dévoués à leur psychanalyste au point de sillonner le monde pour lui rapporter les 13 toiles qui le font cauchemarder. Et les images de se métamorphoser légèrement en Boticelli, Holbein, Gauguin, Van Gogh, Hopper, Magritte, Manet, Picasso, Velázquez, etc., quand les protagonistes ne se battent pas à coups de Warhol et de Spoerri ! Si l'action ne vous hypnotise pas, si les voix anglaises de Iván Kamarás, Gabriella Hámori, Zalán Makranczi ne vous envoutent pas, peut-être aurez-vous le temps d'apprécier les coups de chapeau à Bergman, Buñuel, Chaplin, Eisenstein, Fellini, Hitchcock, Huston, Kubrick, Kurosawa, Lumière, Méliès et bien d'autres... Ou vous comprendrez le sens des emprunts à Honegger, Penderecki, Stravinsky, Schubert, Puccini, Mozart ou Thom Yorke ! On n'est pas si loin du travail de digestion d'un Godard, car jamais on ne quitte le plateau qu'offre Krstić. Les références font partie de sa grammaire et de sa syntaxe.


Milorad Krstić n'avait réalisé aucun fil depuis 1995 où son court-métrage d'animation copulatoire My Baby Left Me avait gagné l'Ours d'argent à Berlin et le Prix du meilleur premier film à Annecy. Entre temps il avait créé le CD-Rom Das anatomische Theater, écrit des scénarios, conçu des décors de théâtre, publié des bandes dessinées. Vingt-cinq ans plus tard, chaque plan de Ruben Brandt, collectionneur fascine par le traitement des visages et des corps qui s'adaptent discrètement aux différentes scènes tout en conservant un cousinage avec Brauner et Picasso. Entre le thriller et le fond psychanalytique, avec son style graphique complètement barré et la fluidité de mouvements digne d'un blockbuster d'action, ce film marque une date dans l'histoire du cinéma d'animation.