70 Expositions - septembre 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 27 septembre 2011

Le musée du KGB


Premier gratte-ciel de Tallinn, l'Hôtel Viru fut construit en 1972 pendant l'occupation soviétique en intégrant les contraintes politiques matérielles inhérentes à la paranoïa et au contrôle obligatoire du régime. Si le vingt-deuxième étage abritait un immense restaurant panoramique, le vingt-troisième qui surplombait la capitale était interdit d'accès, sauf aux membres du KGB qui y travaillaient sans relâche. Les chambres de l'hôtel pouvaient être écoutées, les allées et venues du personnel surveillées, la ville quadrillée. C'était aussi le lieu où la nomenclature profitait au mieux de son séjour estonien, et pas toujours selon les concepts moraux affichés ! La visite du Musée du KGB vaut d'abord par le commentaire de la guide qui manie l'humour british avec le même zèle que son anti-communisme primaire. Les photographies exposées nous plongent dans un univers kitschissime hallucinant dont la mise en scène rappelle certains films de Fassbinder. Les documents d'époque jonchent les bureaux et les murs. Depuis la terrasse la vue sur la ville d'un côté et sur la mer baltique de l'autre est exceptionnelle.


Sur la porte de la salle des machines l'écriteau indique qu'il n'y a rien derrière cette porte ! S'y côtoient une foule d'appareils d'écoute, le central téléphonique, un magnétophone, des piles de papier et le petit matériel du parfait espion, micros cachés dans des assiettes, antennes de transmission, porte-monnaie piégés, etc. Nous imaginons que nos chambres ont depuis été refaites et qu'il n'existe plus aucun vestige dans le faux-plafond ou derrière le grand miroir devant lequel je tape mon article dans le plus simple appareil.


La pays récemment "connecté" est un modèle de modernité informatique à tel point que certains l'appellent e-Stonia. Les habitants peuvent payer la moindre chose avec leur carte de crédit. Ils n'ont plus besoin d'avoir un euro en poche. Cela peut poser parfois quelques problèmes comme samedi après-midi où un bug informatique empêcha toute transaction dans Tallinn pendant deux heures ! À l'école, au moment de voter, partout où cela est possible, les ordinateurs proposent une gestion que l'on pourrait considérer centrale, s'étendant comme un filet sur tout le pays. Le wi-fi est pourtant plus souvent absent qu'annoncé dans la publicité touristique. Cette excursion donne un avant-goût de ce qui pourrait nous attendre si tout était informatisé. Passé les bugs, c'est une société de contrôle où tous les services sont interconnectés avec, par exemple, des cartes d'identité truffées d'informations sur les citoyens. Le passé renversé semble avoir malgré tout laissé des traces sur le futur.

jeudi 15 septembre 2011

Des jouets et des hommes au Grand Palais


Catalogue bleu, catalogue rose, vous avez le choix si vous voulez garder un épais souvenir de l'exposition qui se tient jusqu'au 23 janvier dans les Galeries Nationales du Grand Palais à Paris. Le sexe des enfants détermine considérablement les jouets qui leur sont offerts qui à leur tour formatent les futurs adultes. Des jouets et des hommes est un voyage dans le temps orienté vers le passé ou l'avenir, selon l'âge et l'imagination du visiteur.
Les quatorze installations de Pierrick Sorin, dans le rôle du directeur artistique omniprésent, aident les grands garçons à régresser, à libérer les fantasmes qui nous ont construits. Par un trucage optique à la Méliès l'artiste habite des décors ludiques lui offrant, et à nous-mêmes qui nous y projetons à notre tour, l'occasion de retomber en enfance. Comme cela reste très mâle, on eut été curieux du choix d'une femme à qui confier une partie de ces scènes drôles, cruelles, astucieuses, capable de se laisser aller aussi librement à ces clowneries égotistes. Ses petits théâtres holographiques sont pour beaucoup dans la réussite du projet.


Ils nous aident à traverser le miroir, vitrines et cordages qui enferment les magnifiques objouets de musée rassemblés par Dorothée Charles et Bruno Givreau, les transformant en écrans/écrins de nos rêves oubliés. C'est à ce stade que tout se joue. Le portrait de Claude Lévi-Strauss à quatre ans sur son cheval mécanique, peint par son père, ou L'enfant au toton de Chardin (que nous avions animé et filmé l'an passé en 3D avec Pierre Oscar Lévy), annoncent la couleur. Les mômes déjà geeks pourront s'abrutir devant les jeux vidéo tandis que d'autres embarqueront avec leurs parents sur cet arche de Noé où les échelles de taille relativisent considérablement ce que nous sommes devenus ou ce qu'ils deviendront. Les filles admireront les poupées et leurs maisons, les garçons les petits soldats et les automobiles, tous se pâmeront devant les animaux, les robots et les personnages venus du cinéma ou de la télévision.
Dans la dernière salle, Pierrick Sorin nous refait passer de ce côté-ci du miroir, en brûlant nos jouets, mais sans perdre de vue le Rosebud de Citizen Kane, la neige tombant sur nous comme dans une boule de cristal renversée, ultime référence à notre courte existence.
On peut prolonger la visite sur le site de l'exposition où l'artiste présente un copieux WebDoc, Des jouets, un Sorin, découpé en 27 épisodes.


Repasser en revue les merveilles exposées m'a donné envie de retrouver le film tourné en 16mm par mon père lorsque j'avais trois ans sur la terrasse de la rue Vivienne. J'irai presque jusqu'à aller chercher au grenier les rares jouets que je n'ai pas donnés à des enfants, Dinky Toys, bouts de train électrique, soldats Starlux, et ceux en plomb de mon père dont de magnifiques pompiers devant une maison en flammes. Vous non plus, n'attendez pas Noël pour vous précipiter au Grand Palais !