J'ai commencé par demander pourquoi je n'avais pas de grand-père. Il avait été déporté Auschwitz et gazé à Buchenwald. Mon père avait sauté du train qui l'emportait en Allemagne. J'ai essayé de comprendre pourquoi les Juifs avaient toujours été persécutés. Mes parents me répondaient que les gens étaient jaloux de notre réussite. Nous étions des marchands, des banquiers, des artistes, des savants, nous avions su lire avant tous, survivant à tous les pogromes, traversant les siècles sans jamais être du côté du manche. Nous avions préféré fuir l'horreur et l'intolérance en nous battant avec la seule ressource de notre intelligence. Voilà comment naît le complexe de supériorité. Je n'avais pas d'autre choix que de me retrouver premier de la classe, presque une tradition, quoi qu'il m'en coûtasse. Nous n'étions pas très sportifs, la compétition ne pouvait s'exprimer que sous l'angle de l'esprit. Aucune icône, mais des exemples, Christ, Marx, Freud, Einstein, Schönberg, où que je me tourne l'écho de leur voix résonnait en moi. Séduisante paranoïa ! Une réponse à l'angoisse du "pourquoi moi ?". Mes parents avaient beau affirmer que ma circoncision n'était qu'hygiénique, comme les Américains et les Africains, je n'aurais pas supporté d'avoir un fils qui ne le soit pas, qui ne me ressemble pas. Où l'histoire va-t-elle se nicher ? Habillé, rien ne se voit. Pourquoi moi ? Ma non-violence, "Peace and Love", ma "citoyenneté du monde" découlèrent logiquement de cette conscience inculquée par des siècles de questions sans réponses.
La fierté d'appartenir à ce peuple géographiquement informe, à cette communauté que nous ne fréquentions pourtant pas plus que la famille, allait se transformer en la plus grande honte, celle de ressembler à tous les hommes, de partager enfin les mêmes valeurs que le reste de l'humanité : intolérance, colonialisme, et la brutalité la plus vulgaire. Comment est-il possible qu'un peuple dont une partie a vécu l'holocauste sombre dans la barbarie et le crime organisé ? Quelles sont ses motivations profondes ? Je reste interdit devant tant de stupidité et d'horreur. Ma culture n'en finit pas de mourir. Je ne pourrai jamais transmettre à ma fille ce qui m'avait rendu si fier d'être un être humain. Élevé dans la laïcité, sans religion, voire dans un anticléricalisme œcuménique, ayant plus tard mûri dans l'athéisme, je n'ai jamais tant revendiqué mes origines juives que depuis la guerre des six jours et tout ce que la paranoïa israélienne suscita d'exactions. Comment vivre dans un pays où l'état et la religion ne sont pas séparés ? Qu'il était agréable d'être français ! Les Juifs israéliens sont tous responsables, toute la diaspora porte une lourde responsabilité dans ce qu'il adviendra du Moyen Orient.
Certains diront qu'ils ne savaient pas. Qu'ils ne savaient pas comment vivaient les Palestiniens, qu'ils ignoraient tout des sévices, des brimades quotidiennes et des privations que ce peuple endure depuis des décennies. Mais tout aura été dit. Les pays arabes ne veulent pas d'eux, sinon le problème serait réglé depuis longtemps. Septembre noir fut l'œuvre des Jordaniens, il est important de se souvenir. Les Arabes parlent des Palestiniens comme j'ai toujours entendu évoquer les Juifs. Ils ont contre eux les mêmes griefs. Ce sont les Juifs arabes. Nous partageons l'antisémitisme avec eux. Au lieu de se solidariser, le gouvernement israélien n'a eu de cesse de les persécuter, au nom du terrorisme. Mais comment appelait-on les résistants qui luttaient contre l'occupation allemande, me rappela un jour l'ancien ministre des Affaires Extérieures, Claude Cheysson ? Des terroristes ! Avoir trente ans aujourd'hui en Palestine, c'est n'avoir jamais connu autre chose que l'occupation. Sartre, dans On a raison de se révolter, rappelait que le terrorisme n'était que le fruit du désespoir. Comment a-t-on pu cautionner ces persécutions quotidiennes ? Comment les Juifs peuvent-ils accepter de reproduire ce qu'ils ont subi. Israël n'est pas Auschwitz, mais jusqu'où ses dirigeants sont-ils prêts à aller ? La paranoïa a toujours créé les pires actes de barbarie. Les Serbes disaient qu'on voulait les exterminer. Voyez les Tutsis et les Hutus. Anéantissons les autres avant qu'ils ne nous tuent, frappons les premiers, le schéma est toujours le même. On apprend souvent que le violeur d'enfants a lui-même été abusé lorsqu'il était petit. Les Juifs ont même reconstruit chez eux le mur du ghetto de Varsovie, le mur de la honte.
Il faut que du monde entier s'élèvent les voix de ceux qu'on ne pourra pas taxer d'antisémitisme pour dénoncer les actes absurdes et suicidaires d'Israël. Il faut que la diaspora, en particulier celle qui alimente l'économie désastreuse de ce pays, comprenne qu'il n'y a pas d'issue dans les armes, que si elle devenait finale, la réponse détruirait le pays d'abord, toute une culture ensuite. Il ne suffit pas aux États Uniens de continuer leur politique impérialiste, ils sont les plus grands complices de l'horreur qui se perpétue en Israël comme en Irak, en Afghanistan et dans bien d'autres pays. Quelle sont les motivations des uns et des autres ? Est-ce la peur de la démographie inégale entre Arabes et Juifs qui, dans une supposée démocratie, donnerait le pouvoir aux Palestiniens ? Est-ce la nécessité des USA d'avoir le maximum de bases au Moyen Orient ? Est-ce une manière de faire indirectement la guerre à l'Iran ? Qui cédera un bout de territoire, légalement reconnu en 1948 (mais rejeté par la Ligue Arabe, il faudra revenir sur la responsabilité des uns et des autres) pour créer enfin un état palestinien ? Qui donc a intérêt à ce que la guerre continue éternellement ? Quel rapport avec le prix du baril de pétrole ? À qui profite le crime ? Certainement à aucun des peuples qui vivent sur une terre qu'ils ont le culot de considérer comme sainte. Il faut que s'élèvent les voix de la morale, de tous côtés. L'ONU s'est partout montrée impuissante. Les enjeux économiques ne concernent pas les populations locales. Les manipulations dont ils sont les victimes les détruit. Réveillez-vous, camarades, ne vous laissez pas entraîner dans cette troisième guerre mondiale commencée il y a soixante ans. N'acceptons pas l'horreur ni l'arrogance des puissants ! Il n'y a pas de fatalité. Nous sommes tous responsables.

P.S.: Pétitions pour le Liban et lettre de Berger, Chomsky, Pinter, Saramago