70 Humeurs & opinions - janvier 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 24 janvier 2010

Comment se débarrasser de la critique


La tyrannie succède au ridicule. Devant l'impossibilité des médias à revendiquer une énième fois l'objectivité des journalistes et des réalisateurs, la mode est à la controverse obligatoire. Formatage déguisé, il est exigé d'apporter des témoignages contradictoires dans le moindre documentaire économique, politique ou social. Le pouvoir, entendre la mainmise de l'État sur ses laquais apeurés, cherche à se débarrasser de la critique en convoquant le courant adverse. Quand on sait que la critique est une arme de gauche et que la langue de bois et la mauvaise foi cynique sont celles du Capital, on comprendra que cette prétendue exhaustivité égalitaire est une manière de faire taire tout parti-pris. Si l'on réalise un documentaire sur la crise, on se gardera bien de faire un film sur les chômeurs sans interviewer des traders. La procédure n'est pas forcément systématique, je ne suis pas certain qu'un film sur le racisme laisse s'exprimer quelque négationniste ou nazillon d'opérette, on interrogera tout au plus un raciste ordinaire pour montrer qu'il en existe une part en chacun de nous. L'important est de délicatement dynamiter toute radicalité avec l'habile prétexte d'une juste modération. Il ne s'agit pas ici de revendiquer quelque nouveau dogmatisme, mais d'insister sur le fait qu'il ne peut exister d'œuvre d'art que dans la radicalité. Ainsi le formatage sous couvert de justice et de pondération équivaut à rabaisser les œuvres au rang d'argumentaire. Si chacun a ses raisons, aussi pures soient-elles, et si tous les arguments sont bons, toute critique serait à prendre avec des pincettes, et l'art et la manière jetés aux oubliettes. L'important est de semer le doute chaque fois que la critique s'exprime pour ne laisser la place de l'évidence qu'à la loi, indiscutable.

mercredi 20 janvier 2010

Petits pollueurs


Il ne suffisait pas des pubs en papier qui inondent la boîte aux lettres en métal, il ne suffisait pas des spams stériles pour accroître votre virilité, il ne suffisait pas du démarchage téléphonique délocalisé, il ne suffisait pas de l'abrutissement de masse diffusée par la télévision, voilà que des commerçants payent des désœuvrés, de préférence accros à leur connexion Internet, pour se répandre partout où ils peuvent dans l'univers virtuel. Comme les Blogs ont trouvé la parade contre les robots, en obligeant par exemple l'internaute à recopier un code visuel, c'est au tour des zombies d'ajouter des commentaires à qui mieux-mieux en se faisant passer pour des amateurs de nos proses. Les phrases, toujours flatteuses, s'accompagnent de l'url d'un site marchand. Et l'on retombe dans les sempiternelles herbes médicinales qui sauveront votre vie de couple ou même votre vie tout court. Heureusement, depuis que des débiles s'étaient répandus en insultes à mon égard, j'administre tout cela, en d'autres termes je filtre pour que mes lecteurs et trices ne soient pas incommodés par les enquiquineurs aux pollutions tant diurnes que nocturnes. Un coup d'œil distrait, un petit clic et puis s'en va !

P.S. : pendant que j'y pense, j'ai trouvé un nouveau truc pour me débarrasser rapidement des démarcheurs par téléphone et en ce début d'année ils sont légion. Je les repère instantanément entendu qu'ils m'appellent Birge sans accent sur mon é. Je leur réponds donc que c'est ennuyeux, mais Monsieur Birgé est absent pour deux ans. Il arrive que mon interlocuteur prenne poliment congé, mais le plus souvent il me raccroche au nez. Un clin d'œil discret, un clic au bout du fil et puis s'en va rejoindre les autres petits pollueurs dans la corbeille à papier !

mercredi 13 janvier 2010

L'urticaire


Certains clients me donnent des boutons. Mais heureusement, comme beaucoup d'autres choses sur Internet, ils sont virtuels. Pas les clients, mais les boutons ! Je n'accepte pas de me donner un mal de chien pour bien faire mon travail, en temps et en heure, et qu'en retour il faille me battre pour être payé. Envoyer le chèque comme convenu est le travail que j'exige de mon interlocuteur contractuel. Il n'a que cela à faire ! La mauvaise foi est plus souvent de rigueur. Exemple, si ma facture n'est pas tout à fait conforme à ce que le client attend, au lieu de me le signaler pour que je lui en renvoie une illico en bonne et due forme, il bloque le paiement jusqu'à ce que je m'inquiète de n'avoir rien reçu. Si je ne suis pas en permanence sur le coup, je risque fort de payer les conséquences de leur défaillance, souvent intentionnelle, alors que ce n'est plus mon rôle, mais le leur...
Un comptable doit honorer les engagements et non faire de la rétention. Ailleurs, que penser d'un journaliste qui recopie paresseusement le dossier de presse ou parle d'un évènement sans se déplacer, d'un partenaire institutionnel qui se limite à jouer les guichets sans aller voir l'œuvre qu'il a soutenue, d'un programmateur qui se contente d'engager uniquement les artistes que l'on voit dans tous les autres festivals, d'un régisseur qui ne s'assure pas qu'il possède tous les éléments de la fiche technique, voire d'un agent qui perçoit en douce des surcommissions sans en avertir les artistes qu'il représente, etc. Je me dis souvent que si nous faisions notre travail comme ils font le leur, leurs critiques ou le résultat des courses seraient autrement plus brutaux que leurs verdicts à l'emporte-pièce. Être exigent avec soi-même pousse forcément à l'être avec tous ceux avec qui nous faisons affaire, surtout si leur tâche est largement moins complexe et moins risquée que celle des artistes qui se mouillent corps et âme dans leurs créations.
Il existe heureusement des partenaires honnêtes et consciencieux, des clients intelligents qui vous donnent des ailes en vous faisant confiance, des chefs de projet qui vous protègent, des collaborateurs enthousiastes qui vous donnent envie de toujours mieux faire, des journalistes en verve, des êtres humains redorant l'adjectif qui nous affuble. Ils sont un baume qui adoucit les peines et calme l'inquiétude propre à nos métiers. Plus j'avance et plus j'arrive à travailler avec celles et ceux que j'appelle "les gentils", mais la vigilance reste un combat de tous les jours... Certaines chimères sécrètent des poisons qui transforment les rêves en cauchemars.

samedi 2 janvier 2010

Vœux pieux


Exprimée par mes lèvres gourmandes, la bonne année résonne comme une bonne blague. Trois mois avant le 1er avril je vous souhaite donc une meilleure année, avant de frire ou de se noyer. À lire vos vœux envoyés, la précédente semble en avoir déprimé plus d'une et plus d'un. Apprenez à nager, de fond plutôt que rapidement. La vitesse est un fléau moderne. Plus conforme à une fosse abyssale, le sommet de Copenhague a harponné les plus coriaces. Ainsi, renversé, Chris Marker déclare forfait sur Poptronics où son chat Guillaume-en-Egypte annonce la fin de sa collaboration. Nombreux messages cherchent en vain une raison de se réjouir de ce que l'avenir nous réserve. C'est à se foutre à l'eau, sans bulles. Histoire de se couler dans un monde de silence où les colons sont encore minoritaires, même si les pollueurs s'en donnent à cœur joie. Je choisis des mots avec des œufs dans l'eau pour me donner l'illusion d'un bain revigorant où pourront éclore nos rêves les plus fous. On en a besoin. Donc, je reviens à un message plus souriant en vous souhaitant de ne pas baisser les bras, mais de vous battre, coûte que coûte, ce qui ne peut être plus cher que l'addition tendue par l'ultra-libéralisme, cynique et meurtrier. Je vous souhaite une année de résistance, une année debout, une année solidaire, utopique, imaginative. Je vous souhaite une année. C'est déjà ça. On fera le bilan dans 365 jours en espérant qu'il sera plus brillant. À condition que l'on s'y mette tous et toutes, ensemble... Parce qu'ici, ce ne sont encore que des mots !