La tyrannie succède au ridicule. Devant l'impossibilité des médias à revendiquer une énième fois l'objectivité des journalistes et des réalisateurs, la mode est à la controverse obligatoire. Formatage déguisé, il est exigé d'apporter des témoignages contradictoires dans le moindre documentaire économique, politique ou social. Le pouvoir, entendre la mainmise de l'État sur ses laquais apeurés, cherche à se débarrasser de la critique en convoquant le courant adverse. Quand on sait que la critique est une arme de gauche et que la langue de bois et la mauvaise foi cynique sont celles du Capital, on comprendra que cette prétendue exhaustivité égalitaire est une manière de faire taire tout parti-pris. Si l'on réalise un documentaire sur la crise, on se gardera bien de faire un film sur les chômeurs sans interviewer des traders. La procédure n'est pas forcément systématique, je ne suis pas certain qu'un film sur le racisme laisse s'exprimer quelque négationniste ou nazillon d'opérette, on interrogera tout au plus un raciste ordinaire pour montrer qu'il en existe une part en chacun de nous. L'important est de délicatement dynamiter toute radicalité avec l'habile prétexte d'une juste modération. Il ne s'agit pas ici de revendiquer quelque nouveau dogmatisme, mais d'insister sur le fait qu'il ne peut exister d'œuvre d'art que dans la radicalité. Ainsi le formatage sous couvert de justice et de pondération équivaut à rabaisser les œuvres au rang d'argumentaire. Si chacun a ses raisons, aussi pures soient-elles, et si tous les arguments sont bons, toute critique serait à prendre avec des pincettes, et l'art et la manière jetés aux oubliettes. L'important est de semer le doute chaque fois que la critique s'exprime pour ne laisser la place de l'évidence qu'à la loi, indiscutable.