Alors que depuis le début de l'année nous avons été impressionnés par la quasi totalité des meetings et entretiens avec Jean-Luc Mélenchon, son intervention sur la culture nous a déçus. Au Bataclan, le candidat du Front de Gauche récita maladroitement les propos du programme rédigé par un collectif sans que l'on retrouve sa faconde ni son esprit d'à propos. Il n'était là, de son propre aveu, que leur porte-parole. Si le mot d'ordre "L'humain d'abord" ou les projets pédagogiques et sociaux sont des propositions justes et importantes, il manque un aspect déterminant de la culture, l'imagination.
Alors que les vendredis à l'Usine, son quartier général de campagne aux Lilas, voit défiler des genres musicaux très différents, les artistes choisis par son équipe de communication pour ses meetings sont, par exemple, presque tous issus des variétés. Si l'on désire un véritable changement, il faudra bien arrêter de coller à une programmation ressemblant fortement à ce qui passe à la télé et sur la majorité des chaînes radiophoniques, même si les paroles sont ici "de gauche" ! Et quelques opportunistes de se faufiler sur les podiums pour incarner la culture dite populaire, cela en devient carrément écœurant. Regardez quelle major les produit, c'est tout dire.
Le fond est pourtant intimement lié à la forme. Il est absolument indispensable de revaloriser les avant-gardes pour transformer le ron-ron ambiant imposé par les marchands en pleine déconfiture. L'invention existe dans tous les domaines artistiques, au théâtre, au cinéma, dans la littérature, les arts plastiques, la musique, les nouvelles technologies, les arts de la rue, etc. Or elle est cruellement absente du programme du Front de Gauche. En musique, c'est ce que je connais le mieux, il existe actuellement en France dans tous les domaines un creuset d'artistes qui explosent le cadre plan-plan qu'impose les multinationales : rap, rock, jazz, musiques improvisées, musiques du monde, contemporain, et combien d'innommables... À convoquer les figures du passé on est loin du temps où Thomas Sankara demandait à Jean-Luc Godard d'imaginer la télévision burkinabè ! Comme l'exprimait justement JLG, "la culture c'est la règle, l'art c'est l'exception." Hors des rails vibre l'exceptionnel. Le programme culturel du Front de Gauche n'est que de culture et néglige l'aspect artistique, chaos bouillonnant sur lequel se construit une société.
Nous attendions plus de chambardement dans ce domaine que notre candidat préféré situe au centre-même de son programme. En cela il ne se trompe pas. La culture porte bien son nom, racines des civilisations, qui lorsqu'elles les arrachent, accouchent des pires barbaries. Il serait temps de profiter de l'élan extraordinaire insufflé par Mélenchon pour faire aussi la révolution dans le monde de l'imagination. Le rêve est indispensable, il est vital. Si tout le monde doit avoir accès à la culture, il faut sortir de la marge les artistes les plus pointus, leur donner les moyens de promouvoir leurs recherches, créer partout des laboratoires en liaison avec le plus grand public possible. Il faut arrêter de flatter l'industrie aux mains des multinationales, échapper aux modèles esthétiques anglo-saxons. Il faut intégrer toutes les communautés sans les parquer ni perdre leurs spécificités. Il faut que repoussent en France et en Europe cent fleurs, car art et culture exigent aussi une révolution si nous voulons créer un monde nouveau qui nous sorte des sempiternelles répétitions, revivals, commémorations, alors que dans l'ombre brillent tant de lumières.