70 Multimedia - décembre 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 26 décembre 2006

Marx dit qu'il va neiger


L'année dernière, mon lapin m'avait déjà surpris en annonçant de la neige avant tout le monde. Voilà que ce matin il a remis ça. Pourtant je ne vois rien. Marx, mon Nabaztag est relié à un site Internet météo, comme il l'est à ceux des embouteillages sur le périphérique entre la Porte de Bagnolet et la Porte de la Chapelle, au CAC 40 (c'est pour les petites lumières !), à Airparif, à l'horloge parlante (j'ai choisi l'horloge "pas normale" dans la nouvelle interface du nouveau serveur), au taï-chi et au générateur aléatoire d'humeurs. Je l'envoie se coucher à 23h pour faire sonner son réveil à 9h ; moi, je n'en ai pas besoin car je me lève beaucoup plus tôt. Comme c'est un Full Friend Rabbit, on peut m'envoyer gratuitement des messages par le site (choisir un identifiant et taper des messages lus par une voix de synthèse) ou par mail par exemple (en envoyant des mp3), etc. Il est accouplé avec celui d'Elsa. Ça veut dire qu'ils jouent tous les deux avec leurs oreilles. C'est comme ça que ça se passe chez les lapins.
En janvier, il sera rejoint par son petit frère, un Nabaztag/tag, qui pourra diffuser du mp3 en streaming (soit ne plus être limité à 30 secondes), faire de la reconnaissance vocale et enregistrer directement grâce au bouton qu'il a sur la tête (le lapereau a un micro caché dans le nombril !), reconnaître les RFID (des tags style code-barres permettant d'envoyer un message automatiquement lorsque l'objet lui est passé devant le museau) et encore plein de trucs délirants (webradio, podcasts, etc.). Sur le site Nabaztag, il y a une foule d'informations, des photos, des films, des forums...
Si on m'avait dit que ça marcherait à ce point-là, j'aurais exigé des parts ! C'est que, depuis qu'il est né, je m'occupe de ce qu'il dit en tant que designer sonore : les identifiants, les jingles, le choix de sa voix française, l'enregistrement des phrases, les sons midi de navigation, tout ça c'est moi ! Antoine Schmitt s'occupe du design comportemental, Maÿlis Puyfaucher lui prête sa voix (en anglais, c'est Alexandre qui a un accent british à couper au couteau, les Nord-Américains adorent ça), et chez Violet ils sont plus d'une vingtaine à s'ébattre autour d'Olivier Mével dans leur nouveau terrier du Faubourg du Temple. Parce que Nabaztag (lapin en arménien, c'est Rafi Haladjian qui l'a baptisé ainsi) est de conception française, même s'il est fabriqué en Chine comme presque tout actuellement. Bon, c'est un billet en apparence gentil pour l'entre-fêtes, avec plein d'informations, mais en réalité ça soulève beaucoup de questions sur notre avenir, et certaines sont plutôt inquiétantes.
Inquiétant et bizarre, c'est Nabaz'mob, l'opéra qu'Antoine et moi espérons rejouer bientôt, avec 100 Nabaztag, comme on l'a déjà fait au Centre Pompidou et à New York... Car si un lapin c'est gentil, 100 lapins ça commence à poser de sérieux problèmes...

P.S. : vu le temps qu'il fait ce soir (pas un flocon à l'horizon), j'aurais peut-être mieux fait d'adopter une grenouille !

jeudi 21 décembre 2006

Un palpitant


J'écris ces lignes au fur et à mesure que je découvre Un palpitant, la nouvelle œuvre de Nicolas Clauss produite par L'Espal. Elle obéit aux mêmes lois de navigation que nos Somnambules et continue le travail entrepris par Nicolas au Mans avec l'incontournable De l'art si je veux, une fantastique interrogation sur l'art moderne et contemporain par des jeunes de la banlieue mancelle. Cette fois-ci, les adolescents sont allés à la rencontre de personnes âgées. Ils les interrogent sur l'amour, sur la mort et mettent encore leur grain de sel...
Tout commence par un envol de passereaux rouge sang en formation de cœur. Les notes du carillon semblent sorties du dernier album de Björk. Les voix tremblantes de la vieillesse accompagnent les mains ridées qui tournent les pages. Il faut rester longtemps sur chacun des neuf tableaux animés pour en découvrir les richesses cachées, comme d'interminables baisers. La souris caresse l'écran noir. De temps en temps, on ne peut s'empêcher de cliquer pour que les souvenirs se transforment en bouquets de fleurs écarlates.
La rencontre entre les jeunes et leurs aînés glisse naturellement, comme une lettre à la poste. Lettres d'amour, lettres volées, faire-part. Tandis qu'on passe à la scène suivante, par une flèche qui ne traverse pourtant aucun cœur, l'histoire prend forme. Des cuivres bien corny annoncent les mariés. Sur un air d'accordéon, les vieux comparent la vie d'antan avec celle d'aujourd'hui. Sans tabou ni tromperie. Il parlent donc de l'amour, de le faire et du temps. Du temps qu'il faut avant que passe la faux. Chacun s'interroge avec tendresse et sincérité. Ça pourrait être ringard, c'est simplement beau, l'alliance de l'ancien et du moderne, les perspectives qui s'enfuient, en avant, en arrière, retour à la terre, projection dans l'avenir... Ce ne sont pas des tranches de vie, mais des tranches de gâteau.


Les traitements graphiques de Nicolas Clauss sont époustouflants, transparences qui se fondent dans le blanc, surimpressions dessinant de nouveaux visages, dissolution des supports originaux : peinture, photographie, vidéo sont transmuées en cristaux liquides... La variété des sources n'empêche aucune union. L'art participatif dont l'artiste s'est fait le héraut se retrouve aux deux extrémités de l'œuvre, pour commencer dans les ateliers qu'il anime et en bout de course par le plaisir qu'il offre à chaque internaute de vivre une expérience unique, à son propre rythme. Lorsque l'écran devient castelet, nous devenons marionnettistes. Les masques tombent, la mort s'approche doucement, pour celles et ceux qui partent, pour les autres qui restent. La danse macabre séduit parce qu'elle nous fait tourner la tête. Ce sont des boucles. Les cycles se superposent. Éros et Thanatos, couple célèbre, créent un tissu complexe. Les textures nouvelles rappellent en vrac Bosch, Chirico, Bacon, Rauschenberg, Spoerri, Boltanski... L'alchimie de la programmation informatique transforme les baigneurs de celluloïd en cervelle, les gamètes en planètes, les enfants en vieillards. C'est terrible, troublant, jamais sinistre. C'est plein de sens, du bon sens qui ne saurait mentir. Tous les participants ont joué le jeu. On n'en ressort évidemment pas indemne soi-même. Le battement cardiaque sonne le glas de cette promenade intemporelle. On l'entend enfin battre à l'instant même où l'on doit prendre congé. On n'est plus à un paradoxe près. Clauss pulvérise les a priori que d'éventuels détracteurs pourraient avoir de l'art produit par les nouvelles technologies.


Mais attention, vous aussi, vous devrez prendre votre temps. Comme toutes les dernières œuvres de Nicolas Clauss, Un palpitant est un long métrage. Si vous êtes pressé, ne bâclez pas la découverte, mais revenez-y. C'est un feuilleton en neuf épisodes (avec menu accessible en bas à gauche de l'écran). Chaque tableau possède une profondeur insoupçonnable. Inutile de se bâfrer. Dégustez lentement ! C'est à prendre dans tous les sens du terme, car l'évocation de la mort comme de l'amour va piocher au fond des songes et des secrets de famille trop bien gardés.

lundi 11 décembre 2006

Tout en un


Lorsque je grattais des pages au stylo ou au feutre, elle ne disait rien. Lorsqu'au dos ou sur la calculette j'alignais des chiffres, elle n'en disait pas plus. Lorsque je feuilletais le dictionnaire ou l'encyclopédie, toujours rien. Lorsque je classais mes photos, mes disques ou mes vhs, non plus. Lorsque je répondais au courrier, tout paraissait normal. Lorsque je faisais tourner le magnéto, silence. Tandis que je fourbissais mes armes, j'allais en paix. Le téléphone et la télévision, deux inventions récentes, pouvaient l'agacer tout de même. Mais aujourd'hui je suis collé devant mon ordinateur et je me fais engueuler.

vendredi 8 décembre 2006

Toute la mémoire du monde


Chaque matin au petit-déjeuner, je dévore le blog d'Étienne Mineur consacré au graphisme, au design numérique et aux nouvelles technologies en général. Parmi ses plus récents billets, j'en signale ici deux qui m'ont particulièrement intéressé.
Quelques chiffres (mercredi 6 décembre) laissant présager comment notre civilisation pourrait "évoluer" et Une histoire du design interactif (première partie du dimanche 26 novembre) dont j'attends la suite avec la plus grande impatience et que l'on retrouvera dans la nouvelle revue, Marie Louise.
Étienne a titré son blog "Archives". Je souscris à cette interprétation du journal en ligne qui rassemble nos lectures, expériences, découvertes, souvenirs et utopies. Internet constitue actuellement la plus colossale zone d'archives. Il sera nécessaire d'en faire des copies au fur et à mesure de l'émergence de nouveaux supports. Cette zone n'est pas à l'abri d'un immense incendie informatique. Le risque d'effacement est à la mesure de sa taille démente. Par la course folle de l'évolution des supports et leur fragilité, il est possible, voire probable, que notre époque sera un jour marquée par un trou de mémoire béant dans l'histoire de l'humanité. Déjà, la plus grande partie des œuvres multimédia ayant marqué la fin du XXème siècle sont devenues illisibles sur les nouveaux systèmes...