70 Multimedia - novembre 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 30 novembre 2007

L'écœurement


Pas de quoi se jeter sous un train, mais tout de même ! Je suis affligé par l'inanité de la création contemporaine, en particulier celle qui m'a accaparé depuis 1995, la création numérique. Je me suis déjà plaint de l'art vidéo pour les mêmes raisons. Du savoir-faire il y en a, plein les écoles, mais du contenu comme ils disent, que dalle ! Si les artistes qui s'exposent dans les galeries d'art avaient quelque chose à raconter, est-ce que cela se saurait ?
Là, je frôle des interfaces revêches qui remuent des images éculées. Ailleurs des photos voudraient justifier leur laideur par leur taille imposante. On se gargarise sur le programme imprimé, mais sur l'écran le vide s'installe. Sans inspiration, pas d'expiration. C'est mort avant même d'avoir vécu. À croire que les décideurs, les collectionneurs et le public qui les suit pêchent par ignorance. L'inculture est le terreau de l'arrogance. Je reviens chaque fois avec une grosse déprime, parce que j'ai espéré que j'allais tout de même découvrir quelque chose de nouveau, ou bien du sens, un regard, une morale. Cette fois encore, je fais chou blanc, cela me met en colère d'avoir perdu mon temps à rêver non pas d'avant, non, mais "avant" pour après.
Le spectacle de la rue était autrement plus représentatif de ce qui se trame pour l'avenir. Il y avait des gestes étonnants. Les lumières dans les flaques d'eau réfléchissaient mieux que la critique d'art qui ne sait plus où donner de la tête. Le prix des œuvres est tout ce qui reste des rites que les marchands voudraient perpétuer. Cet assassinat est la seule règle qui se répète à chaque vernissage. Une illusion comique, si j'avais assez d'humour pour m'en foutre. Les artistes complaisants ne sont même plus des petits maîtres. Ce ne sont que de mauvais élèves. Ils n'ont pas suivi en classe, trop intéressés par les pauses, s'éradiquant le regard avec des poinçons œdipiens.
Ah, comme j'aurais voulu ne pas écrire cela ! Si les tenants du pouvoir avaient eu plus de lettres, plus de culture cinématographique, plus de culture généraliste surtout, s'ils avaient eu faim, de savoir ou de pain, peut-être les choses auraient-elles été différentes. Mais que voit-on, qu'entend-on ? Un plan mal filmé, mal photographié, figé, mis en boucle, dans un cadre scénographié grossièrement, une interactivité maladroite, régressive, un prétendu concept qui n'est qu'une auto-justification littéraire, et encore, sans le style... Alors que le moindre plan d'un film du temps des auteurs explose sur l'écran en nous laissant la liberté de l'interpréter de mille manières !
Évidemment quelques artistes échappent à la tuerie. Ils se reconnaîtront. J'en parle heureusement de temps en temps dans cette colonne. Ils me sauvent de l'amertume et me redonnent foi en la lumière. En exprimant ma rogne et ma déception, je n'ai pas souhaité donner de noms, ni d'individus, ni de lieux. Je vais déjà suffisamment me faire haïr d'avoir écrit ici ce que maint camarade confesse en coulisses, et surtout pas question de faire de la pub, en les citant, à qui ne mérite que l'oubli. Dans les meilleurs cas, c'est pirouette cacahouète, c'est bon pour l'apéro, mais cela ne nourrit pas son homme avide d'émotion ou amateur d'énigme.
Ce n'est la faute que de l'époque. Ceux qui ont les moyens de s'exprimer sont des privilégiés, des fils de, des filles de, des petits princes et princesses qui n'ont besoin de rien d'autre que d'un supplément d'âme, une légère vibration pour se faire peur et croire qu'on les en aimera mieux. Mais non ! L'art ne peut se nourrir de l'opulence. Comme les révolutions, il naît de la colère. L'art n'est pas un choix, c'est une pulsion, la réponse à une souffrance, une révolte. Ces dernières années, dans les musées, les expositions ou les galeries, je n'ai vu que confort et beaux quartiers. Dans la journée comme le soir, c'est mort. Galeristes, cherchez plutôt du côté des flammes que des spotlights !

lundi 19 novembre 2007

Fraise et chocolat


Fraise et Chocolat est une délicieuse aventure érotique et dessinée dans le style de Mes voisins les Yamada. Les livres d'Aurélia Aurita rappellent le trait d'Isao Takahata, ils en ont aussi la fantaisie et l'humanité. L'auteur est une jeune femme qui n'a pas froid aux yeux et met à plat sa découverte de la sexualité sur ses planches avec beaucoup de toupet et de franchise. D'un tome à l'autre la relation s'installe entre Chenda et Frédéric. Ça respire la santé et ça fleure bon l'extase. Que des bonnes nouvelles ! Un livre de fille qui dérange...

vendredi 9 novembre 2007

Or not toupie


À Marseille, arrivés à bon port à La Friche Belle de Mai, nous sommes surpris par les visiteurs qui se pressent comme des sardines devant l'entrée de la dernière œuvre de Nicolas Clauss. Il faut donc faire la queue pour assister au spectacle projeté sur trois grands écrans dans la salle obscure accueillant Or not toupie. Le public n'en sort qu'après y être resté beaucoup plus qu'à l'accoutumée. Nicolas s'en étonne, mais a-t-on envie de se réveiller lorsque l'on fait de beaux rêves ?
Dans la langue de Shakespeare, la conjonction de coordination disjonctive or, indiquant une alternative, réfléchit la générativité aléatoire des médias collectés par l'artiste. Les dessins griffonnés par les enfants, leurs jouets et leurs grimaces affrontent la voix des adultes évoquant leurs peurs. Les gamins facétieux les singent, va-et-vient que la négation not tourne ici en interrogation fondamentale, un terme ayant été subtilisé au jeu de mots qui donne son titre à la mise en abîme. Ainsi la toupie existentielle perdure sans autre remontoir que la magie informatique régissant les trois ordinateurs synchronisés. La boucle infinie constituée de centaines de témoignages et d'événements graphiques et sonores nous trouble tant la plongée dans le passé annonce l'avenir.


Sur l'écran, la chute des feuilles s'oppose à la croissance. Le mouvement des objets qui n'en finissent pas de tomber contredit la nécessité de grandir. Devient-on jamais adulte ? Comment les enfants perçoivent-ils la vieillesse et la mort ? Quelle mémoire résiste aux temps qui se superposent ? Le synchronisme accidentel organise les questions en composant de magnifiques tableaux qui bougent. La chambre noire se recouvre d'une pâte claussienne faite d'objets récupérés auprès de ses nombreux interlocuteurs, de films tournés avec eux, collage griffé, flouté, secoué que l'art participatif du peintre fait exploser sur l'écran de nos vies.
Quel que soit le temps vers lequel il se tourne, chacun retrouve ses petits, celui qu'il fut ou celui qu'il deviendra. À la fin du vernissage, les spectateurs s'assoient en tailleur les uns contre les autres pour se laisser envahir par le rêve. Leur nombre fait miroir tandis que dehors la nuit reprend ses droits. Hamlet fut jadis un enfant.

jeudi 8 novembre 2007

2 Bleu


Après Un point rouge et avant 600 pastilles noires, David A. Carter avait publié le pop up 2 Bleu (Gallimard jeunesse). Une fenêtre grande ouverte pour laisser l'imagination s'envoler dans le bleu... C'est étonnant comme chaque page tournée laisse libre cours à une nouvelle rêverie. Magique ! Les images ont un air de famille avec la vue de notre chambre à La Ciotat, les arbres, l'attraction d'élastiques au bord de l'eau et les lettres qui dansent dangereusement devant mes yeux après une journée de frappe machine... Quand je vous disais... Avec un peu d'imagination...

samedi 3 novembre 2007

Nos vies de Nisic


Comme j'enlevais ma veste en arrivant chez Elisabeth qui nous avait invités à dîner avec d'autres amis, j'entends un certain Hervé parler avec émotion de son impossibilité de filmer les gens pendant le siège de Sarajevo. Il raconte qu'il a dû retourner là-bas plus tard et qu'il n'a pris alors que des gros plans de visages regardant la caméra. Les petits films passaient chaque soir sur Arte. Évidemment, son discours trouve illico une résonance en moi et nous sympathisons. Au fil de la discussion je lui demande tour de même son nom de famille. Nisic, répond-il. Je bondis aussitôt, car Pierre-Oscar m'a souvent parlé de son alter ego à Lussas et du projet que mène Hervé depuis quelques années. Nos vies est un film participatif composé de milliers de photos envoyées par des internautes. Tout le monde peut se joindre à ce projet artistique, quelle que soit la qualité des images. Le téléphone portable peut être caméra et même écran. Passant à toute vitesse, se superposant comme les feuilles que l'on empile sur son bureau, dyptiques, trytiques, hypnotiques, elles montrent le temps qui file, les saisons, les distances, l'espace et le temps qui se confondent. On cherchera en vain les occurrences. C'est une histoire de famille, un cas d'espèce, humaine. Je crois reconnaître sa fille, Natacha, pour qui j'avais composé la musique et les bruits des Bonnes Manières, une série d'animation pour ex-nihilo, il y a presque vingt ans, le film n'était pas encore commencé. Les visages se mélangent, les vues se confondent, ma mémoire est absorbée par le flux, j'y étais peut-être ce jour-là déjà... Le rythme est immuable comme celui d'une trotteuse dont chaque cran marque un instant qui ne reproduira jamais plus. Dans la vraie vie, personne n'a encore inventé le retour en arrière, l'accéléré ou la pause, mais je triche avec le curseur du fichier QuickTime et je recompose un autre temps, d'autres vies...