70 Multimedia - septembre 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 27 septembre 2009

La perversion d'une œuvre comme valeur ajoutée


Si la qualité d'une œuvre peut être évaluée par la quantité d'interprétations qu'elle suscite, peut-on apprécier une installation interactive au coefficient de perversion qu'elle offre à l'utilisateur ?
La résistance d'une œuvre à être gauchie sème un doute profond sur l'intérêt qu'elle présente et la réduit à un slogan publicitaire, un message sans ambiguïté, un phénomène purement anecdotique.
Il en est de même de n'importe quel outil. S'il est correctement conçu, il intègre des utilisations imprévues, mieux, imprévisibles. Au delà de ce pour quoi il a été conçu, son universalité est le garant de sa nécessité et de sa longévité.
Ainsi, en posant mes jouets à l'envers pour leur assigner une fonction inédite, mon imagination est portée à contribution. Lorsque je transpose mes programmes de synthé vers des hauteurs extrêmes, dans le grave ou l'aigu, se produisent des effets que le constructeur n'avait pas imaginés. Ne vouant aucun culte à l'outil, mais à ce qu'il permet de faire, je laisserai de côté cette métaphore en me concentrant sur l'œuvre et sa mise en jeu. Un ami d'Antoine me confirmait que la tricherie fait bien partie du jeu et qu'enfreindre les règles permet d'en connaître les limites, voire de les repousser au delà de ce qui est imaginable. Elle rend alors certainement tout son sel aux véritables professionnels, à celles et ceux que je nomme étymologiquement "les amateurs" !
C'est, entre autres, parce qu'elle fonctionne avec mes mains que l'installation de Thierry Fournier, Step to Step, est une réussite. La vidéo d'un coach de gymnastique rythmique projetée en boucle sur un écran devant un petit podium incite le visiteur à le suivre en l'imitant. Le coach exprime à haute-voix ses figures, il les mime avec les mains en les exécutant avec les pieds. Dès qu'une ombre pénètre à l'intérieur du cadre du podium, le défilement du film ralentit, voire s'arrête net. Un élève zélé sera épatant là où un flemmard ou un petit malin attaquera la caméra de captation en cherchant à faire autre chose, à entrer en compétition avec l'œuvre imaginée par l'artiste tout en jouant le jeu : faire pour le mieux, pour son mieux à soi, pour son propre plaisir.
Ce n'est évidemment pas le seul critère d'évaluation, mais ça l'est forcément pour quiconque cherche à s'approprier l'œuvre offerte par l'artiste à son public. Rappelons qu'à l'instant où son créateur l'achève elle ne lui appartient plus. La balle est dans le camp de celui qui désormais en jouit, quitte à renvoyer l'ascenseur à son généreux donateur en travaillant d'arrache-pied sur les déclinaisons qu'elle devrait engendrer.

N.B. : d'une part j'ai choisi Step to Step pour exemple parce que cette installation avait suscité ce débat entre quelques amis. D'autre part, l'illustration n'a rien à voir avec le sujet, du moins directement, d'autant qu'il s'agit de la photo d'une installation en construction volée lors d'une promenade nocturne sur le chemin de retour vers l'hôtel ! C'est justement son interprétation ouverte et son utilisation perverse qui en justifient le choix...

vendredi 25 septembre 2009

Aux couleurs de Van Doesburg


Albert, aussi astucieux que diligent, a eu l'idée de remplacer les contremarches blanches des podiums par des couleurs sombres pour que les oreilles des lapins se détachent mieux. L'équipe d'Ososphère, en pénurie de noir, nous propose un rouge parfaitement en accord avec ceux de la salle des fêtes de l'Aubette. De notre côté, nous extrayons des flight-cases suffisamment de tissu noir pour colorer la seconde marche. Les deux bandes associées au blanc de la jupe rappellent les couleurs et les formes utilisées par Theo Van Doesburg en 1928. Sur la photo, seule ma chemise n'est pas dans la gamme, mais bien qu'installant la clapier nous ne faisons pas physiquement partie de l'installation. Quatre-vingt-un ans plus tard nous rendons donc hommage à l'artiste en participant à son rêve d'œuvre totale !
Ce soir vendredi à 21h, à l'occasion de notre présence à Ososphère, je jouerai avec Antoine pour la première fois en duo et en direct, sur les ondes de Radio en Construction. La quinzaine de minutes que durera notre prestation sera retransmise sur www.ososphere.org et www.radioenconstruction.com. J'imagine que mon camarade utilisera les rythmes de ses nanoensembles tandis que j'oscillerai entre mon Tenori-on et la trompette à anche que j'ai glissée dans mes bagages. Espérons que l'échange sera aussi drôle ou passionnant que notre interview d'hier soir sur France 3 : Journal 19/20 du 24 septembre !

jeudi 24 septembre 2009

Nabaz'mob à l'Aubette 1928


Nous installons les 100 lapins de Nabaz'mob dans l'une des salles historiques de l'Aubette à Strasbourg. À la demande des Frères Horn, l'ensemble a été chapeauté dès 1926 par Theo Van Doesburg, fondateur de la revue De Stijl, avec l'aide de l'artiste dadaïste alsacien Hans Jean Arp et de Sophie Taeuber-Arp. L'architecte hollandais imagine une œuvre d'art totale (Gesamtkunstwerk) intégrant le décor, le mobilier et le graphisme de la typographie, tendance que l'on retrouvera à l'époque chez Guimard ou Mallet-Stevens. Seul le premier étage qui comprend le Ciné-Bal, la Salle des Fêtes et le Foyer-Bar, a été restauré et récemment ouvert au public. Au sous-sol le Bar Américain et le Caveau-Dancing décorés par Arp sont perdus, idem au rez-de-chaussée pour le Café-Brasserie, le Restaurant, le Five-O'Clock et l'Aubette-Bar... Le magnifique escalier par lequel on arrive à la Salle des Fêtes où nos rongeurs jouent en installation permanente aujourd'hui jeudi et samedi de 14h à 17h, a été dessiné par Van Doesburg et peint par Arp et Sophie Taeuber. Le spectacle reprendra la semaine prochaine mêmes jours et mêmes horaires, soit jeudi 1er et samedi 3 octobre. Nabaz'mob est également présenté les samedis 26 septembre et 3 octobre à partir de 17h aux personnes ayant réservé leur place pour Concatenative Mu ou Lecture(s) de bouche(s). Nous éclairons exceptionnellement la marmaille en lumière du jour et par les plaques d'émail contenant chacune seize ampoules qui réchauffent le tableau. Antoine Schmitt s'angoisse que l'on ne distingue pas assez bien la chorégraphie d'oreilles et, de mon côté, je crains que l'éclairage diffus écrase l'ensemble. L'opéra des 100 lapins n'en demeure pas moins magique dans cette pièce très blanche aux surfaces colorées dans une gamme proche des cinq LED qui s'allument et s'éteignent à l'intérieur de leurs corps de plastique blanc mat. La qualité acoustique du lieu nous permet également de diffuser l'œuvre de 23 minutes sans autre amplification que les 100 haut-parleurs situés chacun dans le ventre des lapins.
Encore une fois, nous ouvrons un Festival, cette fois Ososphère. L'effervescence règne. L'ambiance est à la fête. Certains des concerts des Nuits Électroniques affichent déjà complet. Les expositions et installations débordent de la Laiterie. Des conteneurs maritimes ont été déposés dans la ville, libre à chaque artiste d'en prendre possession pour exposer une œuvre. Antoine montre Psychic dans l'un d'entre eux, déposé à l'entrée du Musée d'Art Moderne (MAMCS), et sa dernière création, Le Grand Générique, est projetée sur le haut mur d'une maison devant laquelle passe le TGV. Des croisières sonores sont proposées sur l'ill. Lorsqu'on ne flotte pas, on s'immerge. Le bain numérique est total.
Nous avons même failli boire la tasse en récupérant nos trois flight-cases : une fois de plus, les lames du charriot-élévateur d'un brutal transporteur ont assassiné quelques uns de nos interprètes en défonçant notre caisse toute neuve pendant le transport depuis Linz en Autriche. Heureusement des remplaçants ont pris leur place as the show must go on ! Le temps est superbe, c'est l'été, il fait 30°, Strasbourg est une ville jeune et dynamique dans un décor ancestral d'une immuable beauté. De plus la gastronomie s'étale partout, participant à l'euphorie générale...

samedi 5 septembre 2009

Les lapins en culotte de peau


Lorsque nous sommes arrivés à Linz, le clapier qui voyage désormais en trois flight-cases nous attendait. Dans ma valise j'avais pris soin de glisser des vêtements couleur carotte. La soirée de gala était évidemment consacrée à la remise des Prix Ars Electronica. Antoine Schmitt et moi avions volé jusqu'à Linz en Autriche pour recevoir l'Award of Distinction Digital Musics pour Nabaz'mob. Françoise Romand, réalisatrice du petit film qui a fait le buzz, nous accompagne sur les bords du Danube. Puisque désormais Nabaz'mob est appelé à voyager loin, Antoine a placé en avant la version anglophone du site de l'opéra, nabazmob.com. De mon côté je le mets régulièrement à jour en ajoutant des photos prises lors de chaque nouvelle installation ou représentation. Les 100 lapins Nabaztag n'offrent jamais la même interprétation de la partition et la scénographie change chaque fois en fonction des lieux.
Demain dimanche à 19h30, l'opéra ouvrira le Big Concert Night au Lentos, le Musée d'Art Moderne de Linz, dans sa version acoustique, c'est-à-dire sans aucune autre amplification que les 100 petits haut-parleurs situés dans leurs ventres respectifs. Idem à Strasbourg dans la salle de l'Aubette, imaginée dans les années 1920 par Theo van Doesburg, en collaboration avec Jean Arp et son épouse, Sophie Taeuber-Arp, les 24 et 26 septembre, et 1er et 3 octobre dans le cadre du Festival Ososphère. Pour la Nuit Blanche de Metz le 2 octobre, nous serons dans la salle de l'Esplanade de l'Arsenal conçue par l'architecte Ricardo Bofill tandis que le second clapier est toujours au Musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu'au 8 novembre dans une version en boucle qui lui aura fait exécuter 2000 représentations !
Si Ars Electronica est le festival où les programmateurs du monde entier viennent faire leur marché de nouveaux médias le gala ressemblait à toutes les soirées du genre, auto-congratulations gigognes à mourir, contre quelques pincées de nouvelles images. Nous nous rattraperons les jours prochains avec une programmation dont la profusion justifie grandement le déplacement des aficionados. L'exotisme le plus ébouriffant était représenté par le buffet typiquement autrichien dressé dans le hall de la Brucknerhaus : des brioches de pomme de terre farcies tantôt de chair à saucisse, tantôt d'un œuf ou d'une prune, accompagnées de pâtes, de riz ou de choucroute ! Depuis la terrasse on peut voir les illuminations de l'Ars Electronica Center sur la rive opposée du Danube qui n'a jamais été bleu. Je m'endors en écoutant le vent siffler sous la porte de notre chambre dont nous avons laissé la fenêtre ouverte pour profiter de l'air pur. Demain nous passons à l'action. Les lapins n'ont plus qu'à se tenir à carotte.