70 Multimedia - novembre 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 29 novembre 2011

La vocation


Si les parents déterminent généralement l'avenir de leurs enfants, les rencontres imprévues peuvent heureusement provoquer des bifurcations, nous permettant d'échapper à ce qui semblait entériné par notre appartenance sociale. Ainsi, pendant nos années de formation, certains professeurs orientent parfois considérablement nos choix. Je me souviens de Monsieur Marnay, prof d'anglais au Lycée Claude Bernard. Plus tard, Jean-André Fieschi joua le rôle de passeur en m'apprenant la plupart de ce que je sais aujourd'hui et la manière de continuer à l'acquérir sans lui. Si au lycée j'avais eu un professeur d'arts plastiques comme Marie-Laure Buisson peut-être aurais-je suivi un chemin différent.
Lorsqu'elle enseignait au collège de Palaiseau, elle m'avait montré d'incroyables pop-ups réalisés par ses élèves. Mutée depuis l'année dernière au Lycée Julie-Victoire Daubié à Argenteuil, elle a ouvert un blog à l'intention de ses seconde, première et terminale. J'ai découvert ainsi le résultat du thème Riens du tout remarquables qu'elle avait initié. La pomme d'Ananda P. sculptée avec les dents côtoie les plastiques illuminés de Guillaume M et Eddie B, et comme chaque fois l'imagination des adolescents surprend par leur originalité et leur fantaisie. Elle peut être grave comme pour les séries Fascination anatomique ou J'aurai ta peau, ludiques comme Copié-collé ou Autoportraits stylés. Marie-Laure Buisson donne évidemment des pistes en organisant des visites de musées, rassemblant du matériel pédagogique et passant des heures de préparation sans compter... Il faut voir ses yeux briller quand elle évoque les travaux de ses élèves.

mardi 22 novembre 2011

Séméniakoscopie


En 1997 Valéry Faidherbe participait au CD-Rom Carton que je réalisai à partir du fonds photographique de Michel Séméniako. Faidherbe nous filma, Bernard Vitet, Michel Séméniako et moi-même, dans l'espèce de photomaton inventé par le photographe où chacun pouvait faire sa propre lumière avec un faisceau de fibres optiques. Quatorze ans plus tard il imagine à son tour une machine à faire du Séméniako ! Il lui propose de restituer ainsi son geste de peintre de lumière, mais dans le mouvement. En septembre 2011, il tourne son film, Séméniakoscopie (8 minutes), dans le cadre de la résidence du photographe à Marcoussis.
"En superposant le temps de la réalisation des poses nocturnes, le film donne à voir la construction de l’image qui est l’addition sur une seule photographie de tous les coups de pinceaux lumineux colorés donnés par Michel Séméniako avec sa torche dans l’espace photographié. Il restitue ainsi la magie de cette révélation lumineuse du paysage. La bande-son documentaire restitue la concentration de cette merveilleuse fiction où la lumière réécrit l'histoire ou la géographie. Le vidéaste en profite aussi pour faire quelques expériences de mélange du temps et de l'espace, un grand désordre qui contraste terriblement avec le calme des prises de vues" (2 minutes).
Sur le point de terminer le montage de ce luxueux making of, Faidherbe, à qui j'avais présenté le photographe, effectue une quadrature de ce cercle d'amis en ajoutant quelques accords musicaux et un bout de refrain de la chanson que nous avions composée, nous-mêmes tentés d'exprimer l'étonnante technique du photographe, paradoxalement invisible dans le cadre qu'il habite et construit.
L'ectoplasme (Birgé-Vitet)

mercredi 16 novembre 2011

Littérature et musique 1


Voilà, j'ai reçu tout ce que j'avais commandé, comme annoncé dans mon article sur un des CD de Burroughs, produit par le talentueux Hal Willner, spécialiste de tribute albums évoqués également dans cette colonne. À ceux qui pensent qu'un album de texte dit en anglais risque de leur tomber des mains, je réponds du tac au tac que nenni, le flow de ces écrivains vaut tous les chanteurs américains dont vous ne comprenez pas plus les paroles. Sauf qu'ici l'écriture est d'une autre nature, littérature inspirant bien des apprentis paroliers de la musique populaire d'outre-atlantique. À l'écoute d'Allen Ginsberg, William Burroughs, Bob Holman et de leur prédécesseur, le rock 'n roll Edgar Allan Poe, vous comprendrez pourquoi ici Iggy Pop, Diamanda Galás, Marianne Faithfull, Dr John, Jeff Buckley, Sonic Youth, John Cale, Donald Fagen, Michael Franti, Arto Lindsay, Chris Spedding, et ailleurs Bob Dylan, Laurie Anderson, Lou Reed, Tom Waits, Kurt Cobain, Soft Machine, Throbbing Gristle, R.E.M. ou Bill Laswell leur rendent hommage. Remarquablement accompagnés par des musiciens inventifs qui savent ce qu'ils leur doivent, les textes dits par leurs auteurs, à l'exception de Poe servi, entre autres, par Abel Ferrara, Christopher Walken ou Gabriel Byrne, sonnent comme des déclarations d'indépendance, des cauchemars psychomoteurs, des grooves de l'enfer.


Dead City Radio (1990) est un hörspiel cinématographique, extrêmement travaillé comme le deuxième Burroughs, Spare Ass Annie (1993), qui swingue un max. In With The Out Crowd (1998) de Holman oscille entre pop et musiques improvisées européennes. Si tous dévoilent une diversité de climax étonnante et une inventivité musicale hors du commun, chaque pièce de The Lion For Real (1989) de Ginsberg confiée à la composition de l'un des musiciens parmi lesquels Bill Frisell, Marc Ribot, Marc Bingham, Gary Windo, Lenny Pickett, Steve Swallow, Michael Blair, Beaver Harris, en fait le plus contemporain. Le double Closed on Account of Rabies (1997) privilégie le texte de Poe et les ambiances sombres qu'il réclame. Là encore l'accompagnement musical et la partition sonore sont aussi remarquables que les interprètes dramatiques. Un peu paresseux, j'ai téléchargé une version numérique (gratuite) du texte des contes et poèmes pour suivre sur iPad sans trop d'effort. Des chansons d'Ed Sanders ou Deborah Harry and The Jazz Passengers ponctuent les deux CD. Sur le livret dessiné par Ralph Steadman avec préface de Baudelaire qui commençait chaque journée en louant Poe et le traduisit en français, je reconnais les noms de Ken Nordine, David Shea, Wayne Kramer, Greg Cohen... J'écoute en boucle tous les disques.

Je ne résiste pas au plaisir de rappeler l'existence de l'album consacré à Carl Stalling (1990), autre icône de la culture nord-américaine, compositeur extravagant de Bugs Bunny, Bip Bip, Porky, Speedy Gonzalez et tant d'autres dessins animés hirsutes, et l'un des maîtres de Frank Zappa ou John Zorn, lui-même consultant de cette production Willner. Les zappings de Stalling rappellent autant les cut-ups de Burroughs que les films de Jean-Luc Godard.

J'ai toujours été sensible aux lectures en musique. Dès 1973 j'enregistre des improvisations sur des textes de Philippe Danton, Gilbert Lascault ou... Burroughs (tiens, tiens !). Sur Trop d'adrénaline nuit (1977), premier disque d'Un Drame Musical Instantané, je clame un texte inédit de Jean Vigo sur un trio de percussion. En 1981-82 j'assure la direction musicale des Éditions Ducaté, cassettes enregistrées avec Annie Ernaux (La place), Jane Birkin (Lettres de Katherine Mansfield), Annie Girardot (Maudit Manège de Philippe Djian, interdit par l'auteur), Ludmila Mikaël (Le chemin de la perfection de Sainte Thérèse d'Avila) ! La rencontre potentielle de la littérature et de la musique me fascina avant même de remettre au goût du jour les ciné-concerts, manière de donner accès aux textes à ceux qui ne lisent pas encore ou aux chefs d'œuvre du cinéma muet à ceux qui ne supportent pas le silence. Pour nombreux la lecture à haute voix commence aussi parfois avec la m/paternité !

Se succédèrent Un théâtre de dernier ordre (1978) de Josef von Sternberg avec Françoise Achard, Trou (1982) d'après Poe (ça alors !), Le château des Carpathes de Jules Verne et Le dandy des gadoues de Michel Tournier avec Frank Royon Le Mée (1987), Le pic avec Dominique Meens (1987), Le K et Jeune fille qui tombe... Tombe... de Dino Buzzati avec Michael Lonsdale (1985), Richard Bohringer (avec qui nous avions créé J'accuse d'Émile Zola en 1989, augmentés d'un orchestre de 80 musiciens) ou Daniel Laloux (1990), Let My Children Hear Music de Charlie Mingus (1992), puis le CD Sarajevo Suite (1994), dont j'assume la direction artistique avec Corinne Léonet, entièrement construit autour des poèmes d'Abdulah Sidran, et encore deux disques avec Michel Houellebecq dont Établissement d'un ciel d'alternance (1996). Autant de CD que de spectacles vivants. J'adorai aussi accompagner André Dussollier, Bernard-Pierre Donnadieu, André Velter (1992), Claude Piéplu (1994), Alain Monvoisin (1998). Moins rock 'n roll que les Américains, ils n'en divulguent pas moins la beauté de la langue française croisée avec une musique suggestive qui évite définitivement l'illustration. Marche sur le fil que j'espère renouveler bientôt avec Birgitte Lyregaard autour de divers auteurs dans La chambre de Swedenborg (Strasbourg, 26 janvier 2012), et en improvisant avec Jacques Rebotier (Le Triton, juin 2012)... L'an passé, j'accompagnai un texte de Ginsberg avec Vincent Segal à La Maison Rouge (partie 2 du film), décidément, il n'y a pas de hasard !

Enfin, mon roman La corde à linge, récemment édité par publie.net, aborde la question en insérant des musiques et des sons dans le cours du récit, ponctuations ou accompagnements optionnels, lisibles exclusivement sur iPad (ou iPhone), les autres liseuses se contentant pour l'instant du texte et des images.

lundi 14 novembre 2011

Les enfants de la nuit s'en souviendront


À La condition Publique de Roubaix, Les enfants de la nuit affichent complet. À moins d'avoir la chance d'un désistement, il n'y a plus qu'à espérer que la création de la compagnie Si et Seulement Si et du scénographe Raymond Sarti soit reprise à Paris ou ailleurs.

Les seuls acteurs de ce "parc d'attraction pour enfants et lampes de poche" sont les visiteurs et le décor. Suivez le guide ! Mais avant, enfilons les capes noires qui nous rendent invisibles. Lorsque les portes se referment derrière notre petit groupe de fantômes on entend râler les petits devant la peur du noir. Pas longtemps. Dans la brume les éclairs qui lacèrent nos corps d'aveugles indiquent le chemin. Nous plongeons dans un puits dont la surface réfléchit nos visages. La forêt cache des animaux que nos torches surprennent. Rampons vers une grotte recouverte de dessins dont elles dévoilent les fluorescences. À scruter ses détails les contes s'y construisent et s'y inventent. Apprenons à prendre le temps de la découverte. Collons notre oreille à la paroi. Levons la tête vers les étoiles. Décryptons les ombres. Ce sont parfois les nôtres. Apprivoisons les éléments. Ici tout n'est qu'est illusion.

Pour deux euros seulement, vous croirez parfois que le monde est sens dessus dessous. Le parcours en 24 étapes passe de la peur à l'émerveillement. Pas nécessaire d'avoir grandi pour échapper au sortilège. En sortant, j'ai souhaité retomber en enfance, non par nostalgie, mais dans l'espoir de connaître encore beaucoup de ces émotions. Toute ma vie j'ai cherché à préserver le rêve. Il a fallu sans cesse réinventer le monde. Retourner comme un gant mes peurs d'enfant. Oser plonger dans le vide ou dans la multitude. Apprendre à voir l'invisible. Écouter le silence. Profiter de l'instant. Les enfants de la nuit n'oublieront pas de si tôt cette plongée dans le noir.