70 Multimedia - mars 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 24 mars 2017

Festival International du film d'Aubagne Musique et Cinéma


La première chose qui surprend en arrivant au Festival International du film d'Aubagne Musique et Cinéma est la jeunesse de ses participants et des spectateurs. Les métiers artistiques attirent de plus en plus de candidats à une vie rêvée où l'imagination peut s'épanouir en marge des circuits formatés de l'insertion professionnelle. Le cinéma et la musique sont des secteurs qui inspirent la liberté alors que leur coût souvent élevé risque d'enfermer ses protagonistes coincés entre les fourches caudines d'une demande qui laisse peu de place à l'offre. Combien de ces jeunes réalisateurs et réalisatrices ont le fantasme d'un long métrage et se retrouveront acteurs d'un secteur audiovisuel en expansion, mais axé sur le service, la communication d'entreprise, la publicité, ou travailleront, au mieux, pour l'un des magazines télé qui inondent les chaînes thématiques ? À quels interlocuteurs seront-ils confrontés ? Les décideurs, issus d'écoles de commerce, ont remplacé depuis longtemps les producteurs, cinéphiles qui ne prétendaient pas penser à la place du public ! Pourquoi tant de compositeurs et compositrices aimeraient écrire pour le cinéma alors que quelques heureux élus trustent la plupart des films à budget conséquent ? Heureusement la musique appliquée subit moins de pressions budgétaires que le cinéma et beaucoup exerceront leur art dans le cadre de commandes plus modestes, mais qui leur permettra de ne pas forcément renier leurs aspirations premières. L'audiovisuel demande de la musique pour soutenir ses images, homogénéiser ses montages, donner un supplément d'âme à ses productions. Hélas trop souvent les partitions sonores ne font que souligner au marqueur fluo les intentions des réalisateurs. Peu utilisent les ressources réelles du son dans un esprit de complémentarité où le hors-champ prend tout son sens. Les compositeurs français ont pourtant longtemps lutté contre la tradition américaine, très illustrative, à l'instar d'un Maurice Jaubert, modèle incontournable du compositeur de musique de film dans notre pays. La relève existe évidemment et des cinéastes comme Jacques Tati ou Jean-Luc Godard ont su expérimenter dans le passé d'astucieuses combinaisons entre l'image et le son.
Plusieurs remarques s'imposent. Un, la musique de film ne saurait être un genre. À chaque projet correspond un traitement particulier et seule l'audace permet de sortir des sentiers battus. Deux, il est plus facile de composer que de réaliser, car on reste musicien en sifflant sous sa douche tandis qu'en tant que cinéaste le plan n'est pas le territoire, un scénario n'est pas un film. J'ai rencontré tant de metteurs en scène malheureux lorsqu'ils ne tournaient pas, et non des moindres, alors que les musiciens sont souvent des gens heureux, même en période de disette. Trois, tout reste à inventer dans l'équation audiovisuelle, les accompagnements musicaux de la plupart des films se contentant d'accélérer le rythme cardiaque des spectateurs ou d'envelopper d'un sirop lénifiant les scènes sentimentales.


Un festival comme celui d'Aubagne, dont c'est la 18e édition, est d'autant plus indispensable qu'il met en relation artistes et producteurs, réalisateurs et compositeurs. Ainsi, par exemple, un producteur de courts métrages choisit parmi vingt-cinq scénarios ceux qui l'intéressent, rencontre leurs auteurs pendant une heure, puis une conversation à trois le retrouve avec un réalisateur face à quatre à six compositeurs qui, de leur côté, bénéficient souvent de deux rendez-vous. La plupart des prétendants sont liés à un CNSM et ont entre 27 et 35 ans. La compétition rassemble 73 courts métrages choisis parmi 2000 reçus, et 10 longs métrages. Quantité d'autres films sont projetés dans les salles d'Aubagne hors compétition. Il y a aussi un programme pour les collégiens et lycéens. Dépendant de la faculté de sciences de l'Université d'Aix-Marseille, le SATIS implanté à Aubagne forme aux métiers de l'image et du son, avec 140 étudiants par an répartis sur trois années de formation (3e année de Licence et Master), et un doctorat. Avec le concours de la Sacem, le Festival organise chaque année une master class de composition de dix jours. Cette fois le compositeur Jérôme Lemonnier s'adresse à neuf jeunes compositeurs qui réécrivent des partitions originales de cinq courts métrages existants : Celui qui a deux âmes de Fabrice Luang-Vija (2015), Le voyage dans la lune de Georges Méliès (1902), Les allées sombres de Claire Doyon (2015), 5mn80 de Nicolas Deveaux (2013) et Tma, Svelto, Tma de Jan Svankmajer (1989). Trois ciné-concerts sont d'ailleurs organisés avec le SATIS, l'EEAMS (European Education Alliance for Music and Sound in Media) et les écoles d'Edimburgh, Babelsberg, Utrecht... Comme tout ce monde aime la fête, des concerts complètent le panorama, dont une soirée Chinese Man Records avec Phono Mondial, Alo Wala et DJ Craze, à laquelle je ne manquerai pas de me rendre !

vendredi 10 mars 2017

Étranges étrangers


Mes 150 cartes postales de mardi dernier m'ont toutes été retournées. Elles donnaient un effet nostalgique au poème de Jacques Prévert. Comme Isabelle suggérait que la lecture du texte soit véhémente, Sonia a eu l'idée de la société de contrôle. Pour contrebalancer le montage assez découpé, j'ai composé un drone bien épais en bloquant une touche de chacun des cinq synthétiseurs, le VFX, le V-Synth, le Wave, le Roland et un échantillon sur Kontakt. Malgré un petit jeu sur les potentiomètres de la table de mixage, aucun de mes mouvements ne semble perceptible. Le plus difficile fut de haranguer la foule pour interpréter cet Étranges étrangers. Comme je m'étranglais, Olivia qui passait par là me conseilla une petite giclée de Ventoline pour que j'arrive à finir mes phrases ! Elle était surprise du contenu politique du poème de Prévert. Peu de gens savent à quel point il s'engagea toute sa vie et comment cela transparaît dans son travail. L'idée, comme toute la série, est de montrer à quel point il n'a pas pris une ride. Là, c'est même d'une actualité brûlante. J'ai l'impression que les premières prises de voix m'étaient dictées par De Gaulle ou Malraux, avant que je rectifie le tir, apportant mes propres nuances dans les passages sensibles. La réverbération donne l'effet du meeting. Pendant les respirations j'ai ajouté quelques effets musicaux délicats, mais qui se sentiront lorsque Sonia aura calé ses plans d'archives. Ce ne sont que des sons électroniques inspirés par les oiseaux du bled, le défilé du 14 juillet ou les bombes incendiaires dans les rizières. Dans le colis envoyé par WeTransfer j'ai glissé deux ambiances de foule et un pseudo son de drone pour sonoriser la caméra de surveillance qui nous survole. On verra bien si on le garde ou pas, mais à la fin de la séance j'étais exténué, quasi aphone, et plutôt content du résultat...

mardi 7 mars 2017

Gymnastique cinématographique


Avec Isabelle, Mika et Sonia, nous travaillons depuis des mois sur un projet de web-série dont Jacques Prévert est le sujet. Le poète faisant partie de ces touche-à-tout de génie comme Cocteau ou Lynch, notre fantaisie peut s'épanouir en toute liberté. Mika fait des animations graphiques, Sonia trouve des images incroyables qu'elle synchronise avec la voix des acteurs dont elle fait également partie, Isabelle pioche dans le fonds Prévert et interroge la petite fille de celui qui, non content de composer des vers impertinents, fit des collages, écrivit des dialogues pour le cinéma, s'engagea politiquement pour dénoncer l'absurdité du monde, etc. Nous imaginons tous ensemble les scénarios de nos petits courts métrages, ma spécialité musicale et sonore agissant en contrepoint. En janvier nous avions livré nos vœux avec L'amour à la robote en avant-goût de la série Prévert Exquis.
Comme j'avais suggéré de filmer des cartes postales pour accompagner le poème Étranges étrangers, j'ai passé hier après-midi à quatre pattes dans le studio à en installer tout autour de moi pour réaliser ensuite une sorte de banc-titre panoramique circulaire à main levée. C'est juste un test, mais cela m'a pris du temps de disposer les centaines de cartes en couronne, le plus souvent côté face, mais laissant parfois apparaître quelques mots manuscrits et les timbres faisant foi. J'attends le retour de mes camarades avant de casser cette mise en scène, qu'on la filme plus correctement ou qu'on la jette à la poubelle, espérant que Django et Oulala ne s'amuseront pas à faire de la luge sur le papier glacé.