70 Multimedia - août 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 28 août 2020

Omni-Vermille sur Vimeo


Le ZKM (Zentrum für Kunst und Medientechnologie Karlsruhe / Centre d'art et de technologie des médias) nous a envoyé un montage vidéo d'extraits de l'installation générative Omni-Vermille qu'Anne-Sarah Le Meur et moi avons réalisé à Karsruhe en mars dernier. J'avais composé une musique originale pour les 7 parties et 7 interludes qui structuraient les images en 3D temps réel d'Anne-Sarah. Les six écrans de 4 mètres de haut s'étalaient sur 18 mètres de la façade, spectacle nocturne occupant la place piétonne et visible du boulevard éloigné où circulent les automobiles.


La prise de vues et le montage ont été assurés par Peter Müller et Anastasiia Bergalevich du ZKM Videostudio. Ces 8 minutes ne sont évidemment que des extraits puisque la boucle de 52 minutes renouvelait les images à chaque répétition.


Précédents articles parus en mars 2020 :
Omni-Vermille au ZKM
Le son d'Omni-Vermille
Omni-Vermille, vernie !

mardi 11 août 2020

Saga de Xam [archive]


Article du 8 mars 2007

C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang [hier] ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier [2006], il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !

P.S: Nicolas Deville, titulaire d'un doctorat de sociologie, est devenu professeur de philosophie au CEGEP de Matane, une petite ville du Bas Saint-Laurent au Québec, aujourd'hui à la retraite, et écologiste. Il n'aurait plus touché un crayon depuis des années.

lundi 3 août 2020

My Name Is... Steve Reich [archive]


Articles des 10 février 2007, 8 octobre 2006, 16 novembre 2010, 13 septembre 2011

LES ARCHIVES DE L'À-PLAT

J'ai évoqué ici la Bibliothèque disparue de Babylone et les risques encourus aujourd'hui. Nous connaissions ubu.com. Sur son nouveau blog, Pierre Wendling nous révèle l'existence d'une nouvelle mine, Internet Archive. Le site Internet Archive est une organisation à but non lucratif, fondée en 1996, qui s'est fixée de réunir des documents numérisables dont les droits sont échus et de les offrir en libre service aux chercheurs, historiens, étudiants et à quiconque souhaite les utiliser (sous licence Creative Commons). Les collections proposent des textes, des documents sonores et cinématographiques, des logiciels libres, des sites web. Pour les films, une grande variété de qualité technique est proposée depuis du 64k mpeg4 jusqu'à du mpeg2 gravable en dvd, en streaming ou en téléchargement. Au milieu de dizaines de milliers de documents, on trouve de véritables chefs d'œuvre.


À l'instant où je tape ces lignes, j'écoute un concert historique de Steve Reich, le 7 novembre 1970 à Berkeley, d'une qualité exceptionnelle. Se succèdent Four Organs,” “My Name Is,” “Piano Phase” et “Phase Patterns. Si j'ai assisté aux représentations parisiennes qui suivirent, j'ignorais totalement l'existence de My Name Is qui est dans le style de Come Out. Steve Reich a interrogé le public qui faisait la queue pour le concert en leur demandant : "What is your name ?" et en a monté des bouts présentés lors du concert-même !
Les longs métrages vont de célèbres films muets à des excentricités tels Reefer Madness, Carnival of Souls, Sex Madness en passant par des films dont la question des droits me paraît plus ambigüe (La nuit des morts-vivants, Rashomon, Dementia 13, etc.). Une section intitulée Cinemocracy présente les films de propagande commandés par le Gouvernement américain, au début des années 40, à John Ford, John Huston, Frank Capra et William Wyler !


Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un extrait de My Name Is, même si l'œuvre n'a pas l'envergure des autres pièces du concert, aussi époustouflantes à écouter qu'à leur création il y a près de quarante ans. Le concert complet, c'est .



Depuis cet article de 2007, la Toile offre de nombreuses interprétations de cette pièce...

CROWN HEIGHTS & REICH

C'était vraiment trop bête, un concert avec danseurs se tenait de l'autre côté de la rue pour le 70ième anniversaire de Steve Reich, mais nous n'avions pas pu obtenir de places. Sold out !
Alors j'ai eu l'idée de nous y faufiler à l'entr'acte qui se terminait comme nous passions devant ! Il y a toujours des spectateurs qui s'en vont. Ainsi nous avons pu assister à la seconde partie, magnifique comme toujours avec Reich. La chorégraphie d'Akram Khan accompagnait les Variations pour vibraphones, pianos et cordes, un moment magique qui remontait le niveau de la soirée. Nous avons raté Rosas dansé par Anne Teresa de Keersmaeker sur Fase, un montage de pièces des débuts de Reich, mais la présence du London Sinfonietta sur la pièce de 2005 m'hypnotisa comme chaque fois avec le seul véritable génie de l'école minimaliste. La première fois, c'était au début des années 70, Four Organs et Phase Patterns. Je me souviens que nous étions assis à côté d'Aragon et de ses minets. Sur scène, les musiciens étaient Reich, Philip Glass, Jon Gibson... Plus tard, un concert avenue de Wagram, deux musiciens jouaient chacun une mélodie, mais on pouvait en percevoir quatre par le croisement des harmoniques... La création en France de l'un de mes préférés, Different Trains, par le Kronos Quartet, reste un des moments les plus émouvants de ma douloureuse carrière de spectateur. J'écoute inlassablement le cd. Nous étions ensuite allés dîner chez Bofinger avec leur premier violon, David Harrington, mais le courant n'est pas passé. Nous avions probablement eu les yeux plus gros que le ventre. Je parle de musique, pas seulement de gastronomie.
Mais ce soir, la lune était pleine au-dessus de Brooklyn...

STEVE REICH SE RÉPÈTE


Tout nouvel album de Steve Reich provoque une attente dans l'espoir d'ajouter un chef d'œuvre à la liste des disques dont on ne se lasse jamais malgré l'usure du temps. Chacun a ses préférences, mais Different Trains, dont l'enregistrement de voix parlées fournit la trame mélodique au quatuor à cordes, me semble ne pouvoir qu'entraîner tous les suffrages quand It's Gonna Rain ravira les amateurs d'expérimentations corrosives ; la vidéo de Three Tales conviendra mieux aux fans d'opéra multimédia et Drumming, Desert Music ou Music for 18 musicians restent de grands classiques... Quoi qu'il en soit, tout son catalogue produit la même excitation, le même vertige enthousiaste, même si le compositeur new-yorkais répète éternellement la formule des canons en unissons qu'il a découverte dès 1965 avec ses pièces pour bande magnétique. J'ai eu la chance de les entendre à la fin des années 60 et d'assister à la création française de Four Organs et Phase Patterns ; depuis, je n'ai cessé de m'intéresser à son travail de physicien du son, capable de faire entendre quatre mélodies enchevêtrées à partir de deux monodies par le seul pouvoir des harmoniques. S'inspirant grandement du gamelan, Steve Reich a su s'affranchir du sérialisme en revenant à une écriture tonale inventive qui laisse loin derrière lui les autres tenants de ce que les Américains appellent le minimalisme et que nous avions l'habitude d'appeler en Europe la musique répétitive.
Hélas, depuis 1995 je n'ai pas ressenti l'émotion que me procurent ses anciennes pièces. Double Sextet interprété par eight blackbird et qui lui vaut le Prix Pulitzer ni 2x5 par Bang on a Can ne m'emballent outre mesure. Steve Reich est tenté d'introduire des instruments populaires à son instrumentation, mais il n'en tire pas la substantifique moelle. Comme l'échantillonneur de City Life ne rendait pas la dimension de la ville, les guitares électriques, la basse et la batterie de 2x5 n'arrivent à produire l'électricité du rock. Le sextuor classique d'eight blackbird composé d'une flûte, une clarinette, un violon, un violoncelle, un vibraphone et un piano, génère des effets plus originaux avec d'intéressantes cassures de rythme. Comme pour Different Trains, Reich a recours à l'artifice du playback, chaque ensemble dialoguant avec lui-même pour permettre au compositeur de jouer de ses effets de déphasage dont il a le secret, mais il avoue préférer pour l'avenir des versions où tous les instrumentistes seront en direct, portant à douze et dix les effectifs.
Ces bémols ne m'empêchent pas de remettre sur la platine l'album publié encore cette fois sur Nonesuch pour constater que la deuxième écoute de Double Sextet me transporte sur un petit nuage...

WTC 9/11 (2010) WORLD TO COME


J'ai commandé WTC 9/11, le nouvel album de Steve Reich, par intérêt parce que c'est le seul répétitif qui m'ait toujours emballé, par fétichisme parce que je les possède presque tous, par goût parce que j'adore les interprétations du Kronos Quartet dont il ne m'en manque pratiquement aucun, par tolérance parce que les commémorations du 11 septembre 2001 occultent impérialistiquement le 11 septembre 1973 quand les avions américains prêtaient main forte à Pinochet pour dézinguer Salvador Allende, par mélomanie parce qu'une copie mp3 comme celle que je vous offre ci-dessus ne vaut pas la qualité d'un CD et pour bien d'autres aussi bonnes que mauvaises raisons.
J'ai copié-collé la pochette censurée qui risquait de blesser des étatsuniens que les images de leur télé ne gênent pas lorsqu'il s'agit de montrer les ravages de leur armée et de leur politique un peu partout sur la planète, et la définitive qui me fait m'interroger sur ce que cache cet écran de fumée.
J'ai écouté les nouvelles compositions un peu déçu, parce que le système de "mélodie du discours", qu'avait également utilisé avec talent René Lussier pour Le trésor de la langue, n'a jamais été aussi poignant que sur Different Trains, chef d'œuvre inégalé de Reich. Il consiste à orchestrer la mélodie de voix parlées préalablement enregistrées, ici aiguilleurs du ciel, pompiers, voisins de New York, etc. Déçu aussi parce que le Mallet Quartet et les Dance Patterns, qui complètent le court album, sont deux œuvrettes n'apportant pas grand chose à l'édifice. Déçu parce que j'attends chaque fois un miracle et le propre des miracles est de se produire quand on ne les attend pas.
On lira partout dans la presse que WTC 9/11 est une des œuvres majeures de Steve Reich parce que tout ce qui touche à l'énigme du 11 septembre donne des frissons, parce que la plupart des journalistes découvrent ce compositeur avec quarante ans de retard, parce que c'est politiquement correct à l'image de la pochette définitive du CD. L'album se laisse écouter, mais les quelques dissonances ne suffisent pas à Steve Reich pour se renouveler et l'on préférera cent fois Different Trains ou les premières pièces plus expérimentales comme It's Gonna Rain ou Come Out qui dégagent une rage romantique d'une puissance insoupçonnable.