70 Musique - septembre 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 24 septembre 2006

Les machines de Servovalve


Après le Marteleur, Servovalve offre une nouvelle machine à musique, Semuta, en libre téléchargement. Le Marteleur est une sorte de boîte à rythmes divisée en deux pistes synchronisées, tandis que Semuta est un générateur de nappes électroniques. Elles fonctionnent en OSX et en PC.
Servovalve réunit le graphiste et musicien Grégory Pignot et Allia, DJ passée VJ. Grégory programme depuis longtemps lui-même images et sons de ses animations génératives, uniques en leur genre. Le duo Servovalve réalise des performances où les œuvres vivent en direct. Techno minimale d'une rigueur absolue, les œuvres de Servovalve sont exemplaires et rendent caduques quantité des productions du genre, tant graphiquement que musicalement. Ses animations évoluent souvent en prenant leur matériel dans la séquence présente pour le digérer et le transformer dans la suivante. En offrant au public ces deux machines, Servovalve fait entrer les musiciens en herbe dans ses délires hypnotiques enfumés, tout en visant la quadrature du cercle.

samedi 23 septembre 2006

100 lapins prennent la relève


En 1962, György Ligeti écrivait son Poème Symphonique pour 100 métronomes. En 1995, le sculpteur Gilles Lacombe mit au point un mécanisme qui en facilitera les représentations. C'est la version qu'Arte en proposa il y a une dizaine d'années (photogramme ci-dessus ; plus bas Ligeti et Françoise Terrioux par Markus Bollen).
Si Antoine et moi avons bien pensé à Cage, Nancarrow, Reich et Ligeti, en composant Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants, ni lui ni moi ne nous sommes rappelés le Poème Symphonique. Une centaine d'objets mécaniques ne peuvent pourtant pas tomber si facilement dans une faille de l'inconscient. Il nous semblerait juste aujourd'hui de dédier Nabaz'mob à l'un des plus grands compositeurs du XXième siècle, disparu le 12 juin dernier.
Très proche alors de George Maciunas et Nam June Paik, Ligeti était en pleine période Fluxus lorsqu'il composa le Poème. En lisant ses notes dans le livret du CD de l'Édition Sony, Mechanical Music, on apprend que les conditions de mise en place ne furent pas si différentes des nôtres : déballer les métronomes, dévider le mécanisme remonté à fond lors de la livraison, détacher les clefs colées dessous, etc. Pour Violet, c'est Maÿlis qui se charge de conformer tous les lapins. 100, ça fait du monde ! En 1963, la première représentation qui eut lieu à Hilversum aux Pays Bas fit un tel scandale que le film de l'événement programmé à la télévision hollandaise deux jours plus tard fut remplacé sans prévenir par un match de football. En composant ce happening, Ligeti "songeait à de nombreuses grilles superposées, des figures moirées, qui donneraient ensuite naissance à des structures rythmiques mouvantes... Une grille rythmique si dense d'abord qu'elle en paraîtrait presque continue : ce qui implique brouillage et désordre. Pour ce faire, il (lui) fallait un nombre suffisant de métronomes, le chiffre de cent ne représentant qu'une estimation... Le désordre régulier du début s'appelle en jargon de théoriciens de la communication (et en thermodynamique) une "entropie maximale". Les structures de grille irrégulières qui se mettent progressivement en place réduisent l'entropie, car l'uniformité initiale donne naissance à des organisations imprévues..."
Ligeti joue sur les différences de tempo et l'épuisement du remontoir qui ne laisse entendre qu'un seul métronome à la fin de l'œuvre. Nos lapins sont évidemment infatigables et leur partition est pour tous identique. Les décalages sont créés par les difficultés du wi-fi à envoyer l'information en même temps à tous, et l'entropie présente à la fin de chacun des trois mouvements provient d'une indiscipline informatique incontrôlable qui est le sujet même de notre opéra, le désir d'être ensemble et la difficulté pour y parvenir. Comme pour Ligeti, l'influence de John Cage est claire.

Pour New York, nous avons réécrit le troisième mouvement avec des percussions et des rythmes, histoire de construire un chaos ou de déconstruire la tentative de nos bestioles de s'organiser enfin. Il y a toujours une grande impatience chez les compositeurs qui ne découvriront leur œuvre que lorsque tous les interprètes seront réunis. La création au Centre Pompidou était frontale dans un dispositif de concert. Au NextFest organisé par le magazine Wired (Javits Center), la nouvelle version sera jouée en boucle pendant cinq jours dans un cylindre noir de dix mètres de diamètre. La proximité du public avec les lapins fera ressortir le dispositif acoustique des 100 haut-parleurs cachés dans le ventre de chaque Nabaztag...

vendredi 15 septembre 2006

Hélène Sage, femme orchestre et luthière iconoclaste

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Hélène Sage a composé la musique du ballet de Heddy Maalem, Un champ de forces, vidéo de Samuel Dravet, actuellement en tournée en Italie, et bientôt en France (Limoges les 30 septembre et 1er octobre, et en 2007 à Paris et région parisienne, en Avignon...).
Hélène tourne également son nouveau spectacle, Le monde à l'envers, en duo avec Anne-Marie Charles, sur des textes du juge Eva Joly (l'affaire Elf !) et de Louisa Paulin (Villeurbanne le 22 septembre, etc.).
Les photos sont respectivement de Patrick Fabre et de Philippe Dujardin.
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J'ai rencontré Hélène en 1981, juste avant qu'Un Drame Musical Instantané ne monte son orchestre de 15 musiciennes et musiciens. J'ai tout de suite été séduit par cette grande fille qui passait son temps couchée sous sa Mercedes à la réparer. Le reste du temps, elle essayait d'écraser la danseuse et chorégraphe Lulla Card, devenue depuis Lulla Chourlin, en chantant dans un mégaphone accroché sur le toit. Hélène est polyinstrumentiste, chantant et jouant de la contrebasse, de toutes les flûtes, du sax, de la clarinette basse, des claviers et de mille autres objets bizarres qu'elle a inventés comme sa bouilloire à anche qu'elle fait tourner au-dessus de sa tête, ses tabourets à archet, ses percussions d'eau, et bien d'autres instruments ressemblant à des sculptures de Marcel Duchamp. N'empêche que ça sonne bien !
Hélène Sage a le goût des timbres originaux comme des modes de jeux les plus hirsutes, se concentrant sur l'acoustique plus que sur l'électronique. C'est une improvisatrice hors pair et une compositrice qui marche les pieds au plafond. Elle vit à Toulouse où elle a repris ses activités après quelques années de pause. Hélène a longtemps composé pour le ballet (Karine Saporta, Mark Tomkins, Jean Gaudin, Josef Nadj, Graziella Martinez, Charlotte Delaporte...). Elle fut certainement la musicienne la plus proche du Drame, se joignant au trio d'origine pour former un quartet, remplaçant l'un ou l'autre absent, participant au grand orchestre, etc. Notre dernière collaboration en duo est Techno-bazar, mais avant cela, nous avons pas mal joué ensemble, comme par exemple pour ses deux remarquables CD, Comme une image et Les araignées, tous deux parus chez GRRR.

mardi 12 septembre 2006

Chostakovitch en 27 CD pour 57 euros


Après les intégrales Mozart et Bach dont je ne me suis pas soucié, est apparu sur le marché un coffret (moins cher sur le site de la Fnac, 3 semaines de délai) réunissant les symphonies, concertos, suites, quatuors et une partie de la musique de chambre de Dimitri Chostakovitch (Brillant Classics 8128). S'il existe probablement de meilleures interprétations de certaines des œuvres, c'est l'occasion de découvrir nombreuses partitions de cet immense compositeur russe, d'autant que l'ensemble est de très bonne tenue. Je n'ai évidemment pas eu le temps de tout écouter avant de rédiger ce billet, mais l'impression d'ensemble est excellente. Les symphonies sont interprétées par Rudolf Barshaï, les concertos pour piano par Cristina Ortiz et Paavo Berglund, pour violon par David Oistrakh et Gennady Rozhdestvensky, pour violoncelle par Alexander Ivashkin et Valeri Polyansky, les suites de jazz, de ballet et de film par Theodore Kuchar, les quatuors par le Rubio Quartet. Un DVD d'entretien avec Barshaï, en allemand sous-titré, accompagne les 27 CD.
J'en profite pour rappeler l'existence d'un superbe coffret de 14 CD d'enregistrements historiques de Hanns Eisler (Berlin Classics 9006 - AD210) que j'avais acquis pour une bouchée de pain également, mais dont je n'arrive plus à trouver la trace sur les sites de vente.

mercredi 6 septembre 2006

La sauvagerie oisive de Outkast


Enfin un peu de musique ! Des disques comme je les aime, surprise garantie à tous les index. À classer juste derrière leur précédent double album, Speakerboxxx / The Love Album, chef d'œuvre à rapprocher du Carnival de Wyclef Jean, ou mieux, du Back on the Block de Quincy Jones, parce qu'avec Idlewild Outkast s'enfonce dans l'histoire du jazz en lui donnant un sacré coup de jeune, à commencer par un sample emprunté à l'une de mes idoles, le sous-estimé Cab Calloway dont les trépidations hante l'album. C'est la seule musique qui mempêche de rester assis. Je saute sur place. Mes pieds s'envolent. Ici, le rap croise le fer avec le blues, le jazz répond aux mélodies soul des voix noires. C'est monté comme la bande-son d'un film, le film éponyme d'où est tirée toute cette musique qui swingue et vous redonnerait le moral pour cette rentrée sinistre (rien de personnel, pas d'affolement !).
Album kaléidoscopique où l'on ne sait pas vraiment qui fait quoi, shaker secoué dans tous les sens, des glaçons qui donnent chaud, effets de studio, cuivres en guise de blings, drums ou percussions électroniques, guitare saturée contre piano bastringue, tout cela s'agite au service des voix explosives de la Great Black Music. Le groupe formé par Andre "3000" Benjamin et Antwan "Big Boi" Patton est le duo le plus énigmatique de la scène "pop" depuis l'association Lennon-McCartney. Qui fait quoi de ces deux frères ennemis, de ces deux potes où chacun est l'ombre de l'autre, son miroir et son contraire ? Je m'y perds, et cela n'a aucune importance, parce que seul compte le résultat, la transmutation du travail en très or. Je crains le pire pour leur film, un peu comme les velléités pourpres du petit Prince de Minneapolis incapable de dessiner un mouton. Si leurs clips étaient hyper décevants, le hip hop de ces Blackbirds of 2006 est toujours aussi élégant !