70 Musique - mai 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 mai 2009

Préparation et improvisation


On appelle souvent nos séances de travail des répétitions, mais dans les faits nous ne répétons pas vraiment. Disons qu'on se fait la main, qu'on fourbit nos armes, qu'on expérimente de nouveaux alliages, qu'on précise la conduite... Nicolas Clauss prépare ses modules pour lui permettre d'improviser facilement selon l'humeur du moment et la musique que nous jouons. C'est un peu la director's cut d'une œuvre interactive dont il connaît mieux que personne les possibilités. La programmation des séquences musicales oblige Sacha Gattino à préparer beaucoup plus ses interventions. Les interfaces des ordinateurs n'ont pas la souplesse des machines dédiées. Son goût pour le travail d'orfèvre le pousse à des exigences que je n'ai pas quant à mes propres interventions. Je déteste figer mon discours. Je prépare ce qui est de l'ordre de la contrainte en me laissant la plus grande latitude d'interprétation. Si le choix des instruments, les émotions à produire et la structure des pièces sont fixés, j'évite de reproduire quoi que ce soit dans le détail pour laisser la place à l'inspiration du moment. Tenter de reproduire le même tour n'a pas la force de la surprise que je me fais à moi-même. Rien ne me satisfait autant que l'improvisation. Que j'ai beaucoup ou pas préparé ce que j'ai à jouer, je compte toujours sur l'état de grâce, le miracle. Nous savons tous qu'une répétition réussie met en danger la représentation, aussi devons-nous toujours sous-jouer, à moins d'être en enregistrement. La machine se substitue alors au public, elle délaie simplement le moment de la divulgation. Travailler avec Sacha est très confortable, car c'est lui qui se colle aux rythmiques électroniques qui me sont habituellement dévolues. Ce trio m'offre de jouer d'instruments acoustiques avec une liberté que mes responsabilités de chef d'orchestre ne me permettent pas souvent, multiples guimbardes, flûtes, trompette à anche, harmonica, violon vietnamien, cithare africaine qui me rappellent mes débuts. Sacha joue de toute une batterie d'appeaux et d'un tambour à cordes. Nicolas diffuse des sons que je retraite parfois avec mes machines puisque je me sers aussi de mon clavier, du Tenori-on et de l'Eventide... Séance après séance les anciens Somnambules apprennent à se croiser au bord du toit sans trébucher. Pour ne pas entretenir plus avant la confusion avec les douze tableaux de 2003 et les expériences passées, nous imaginons un nouveau nom pour notre spectacle, "Le bruit des ombres" ?

mercredi 27 mai 2009

Sur la piste d'Armstrong


Gallimard Jeunesse vient de publier un joli petit livre audio sur Louis Armstrong signé Stéphane Ollivier pour le texte et Rémi Courgeon pour les illustrations. L'histoire du trompettiste nous est contée par Lemmy Constantine dont la voix accompagne les morceaux habilement choisis parmi la discographie de "Satchmo". De Bessie Smith à Duke Ellington, les collaborations avec Jack Teagarden, "King" Oliver, Ella Fitzgerald sont évoquées en musique et commentées dans la seconde partie du fascicule tandis que la première évoque une success story où tout n'a pas commencé en rose. Au-delà du conte et du jazz simplement et efficacement défendu par Ollivier, des petits encarts suggèrent astucieusement des jeux d'écoute aux enfants. Leurs titres sont éloquents : "Tout est musique", "Vive l'impro !", "Jouer en solo", "Question d'oreille", "Invitation à la danse" ouvrent nos oreilles bien au-delà de la lecture, des images et des enregistrements. Ce petit livre initiatique fait partie de ceux qui peuvent décider d'une vie, une rencontre avec l'univers sonore qui pourrait être décisive...
Avec Sidney Bechet sur les genoux duquel je jouais enfant en soufflant dans son soprano, Louis Armstrong me rappelle mon père. En écoutant le CD, je me projette dans sa chambre d'hôtel où Louis venait jouer de temps en temps parce qu'elle était plus grande que la sienne. Sa voix me rappelle l'émotion de mon père lorsqu'il posait un de ses disques sur le pick-up. Si j'ai aimé le jazz et si je suis devenu musicien, rien de tout cela n'y est étranger.

lundi 25 mai 2009

Chronique pop


Juste quelques mots écrits sous le soleil dominical après une belle soirée à la Maison des Cultures du Monde où l'Orchestre National de Jazz (photo recadrée d'après élément-s) créait son spectacle "Around Robert Wyatt" en deux représentations coup sur coup. Il semble que la première ait servi de tremplin à la seconde comme c'était à prévoir, aussi avais-je préféré tabler sur la séance de 21h30 plutôt que sur la précédente. Au troisième morceau, l'orchestre était sur ses rails, dès que Ève Risser eut décidé de martyriser le piano en lui infligeant de brillants clusters volontaires qui permit à l'ensemble des musiciens de se laisser un peu aller. Le projet qui donne à entendre les chanteurs en play-forward, c'est-à-dire préenregistrés tandis que l'accompagnement se fait en direct, n'est évidemment pas des plus sexys. Le clic du métronome dans une oreille, les arrangements précis de Vincent Artaud et la réduction des choruses au strict minimum ne permettent guère de folies ou de surprises de dernière minute. Heureusement les images d'Éric Vernhes palliaient à l'absence de mise en scène tant le vidéaste qui remplaçait un Carlier parti péter les plombs en Nouvelle Zélande à une semaine de la première sait improviser en triturant le réel par des effets à propos et adaptés à chaque chanson. La critique se vérifiait dès qu'un soliste pouvait tirer la couverture à lui que ce soit l'invité d'honneur Erik Truffaz à la trompette électrique ou Joce Mienniel à la flûte et éructations électroniques diverses. Daniel Yvinec, directeur artistique de l'orchestre, savait bien qu'il était d'abord question de cerner son timbre général, remettant à la prochaine création les excentricités que ses jeunes musiciens ne manqueront pas de développer, à savoir le 26 juin à l'Opéra Comique pour accompagner Carmen, film muet de Jacques Feyder ! Le magnifique duo improvisé entre l'Ève future au piano préparé et Truffaz toutes pédales d'effets activées montrait que le délire est apporté demain dès qu'on laisse le chant libre. Idem pour Sea Song, hélas absent du disque par la cruelle défection d'Alain Bashung, en somptueuse envolée lyrique. Pour le reste, les fantômes de Robert Wyatt, Rokia Traoré, Daniel Darc, Yael Naïm, Arno, Camille et Irene Jacob ne pouvaient nous décevoir si ce n'est dans l'espoir impossible de les voir un jour se matérialiser sur scène. Détail de la distribution, Julien Omé et Jean-Baptiste Réault, respectivement à la guitare et au banjo, et au sax, se tiraient parfaitement de leurs rôles de remplaçants en l'absence de Perchaud et Metzger. Coda : le public était heureux, il faisait chaud, on avait envie de connaître la suite, alors on reviendra.

lundi 18 mai 2009

Prêche kitsch pour l'amour infini


La photo en contreplongée suggèrerait-elle la proximité de l'ascension ? En page 3 du Monde de samedi s'étale un bandeau de publicité Deutsche Grammophon pour le "recueil de poèmes écrits par le pape Jean-Paul II et mis en musique par des compositeurs contemporains dont le fils de Placido Domingo". Et devinez qui dégouline de guimauve écœurante si ce n'est le père évidemment ! Le ténor se répand en louanges sur Karol Woj'tyła, affirmant qu'Amore Infinito est "l’un des enregistrements les plus importants de sa carrière." Voilà qui donne envie d'écouter le reste ! Comme la chose "s'adresse à un vaste public", si vous avez envie de faire un peu d'anti-cléricalisme primaire, je vous suggère d'aller écouter quelques extraits sur le site de la Fnac. Le fossoyeur culturel restitue des extraits de ces puanteurs délétères. Pour celles et ceux qui n'aiment pas la musique et préfèrent savourer la pureté des mots, voici quelques lignes du pape-poète, également auteur des pièces de théâtre La boutique de l'orfèvre et Frère de notre Dieu : "Là aucun vert ne rassasiera ta vue. Il ne sert à rien aux yeux du poète de se forcer à être plus pénétrants: plus je tends le regard, moins je réussis à voir. La tension est toujours vers un seuil qui est atteint seulement par le regard ouvert, émerveillé, intense, capable de toucher le fonds et de mouvoir l'âme de manière inépuisable: rien ne peut la rassasier pleinement." Bon d'accord, traduttore traditore, alors faites-vous votre propre idée en savourant le sirop vomitif, ça vaut son pesant d'osties. À sa mort, Act-Up rappelait que "par ses positions sur le préservatif, sur la contraception en général, sur le droit des femmes à disposer de leur corps et sur l’homosexualité, Jean-Paul II a été le porte-parole d’un catholicisme réactionnaire, vecteur de discrimination, de souffrance et de mort." Il annonçait le saint-pire, Benoît XVI.
Si vous préférez les œuvres critiques, vous découvrirez un inédit (18 minutes) de Un Drame Musical Instantané dans la réédition en cd de notre premier album, Trop d'adrénaline nuit : Sancta Papaverina, qui renvoie évidemment à l'opium du peuple, y détourne allègrement un discours de Paul VI. La trompette enflammée de Bernard Vitet y est autrement plus convaincante que les monotones roucoulades de cul-bénit du ténor espagnol.

vendredi 8 mai 2009

Ursus Minor au firmament


Il faut avoir vu François Corneloup faire des pointes au baryton, le chapeau vissé sur le crâne, la mine réjouie, regarder Stockley Williams jongler avec les coups. Il faut avoir vu Tony Hymas à cheval sur une fesse entre deux ou trois claviers maintenir l'équilibre du groupe feuilletant les pages volantes qui se moquent du temps. Il faut avoir vu Mike Scott lever le manche de sa guitare comme un paratonnerre pour attirer la foudre des notes de ses partenaires. Et puis battre les cartes. Hymas attaque les touches comme Corneloup claque du bec, distorsions contre métal doré. Le funk et le free cèdent la place à une improbable musique de film aux incrustations mélodiques qui nous balade sur le bitume encore fumant d'une jungle peuplée de cœurs tendres. Justes regrets de ne pas entendre plus souvent la voix bouleversante de Williams sur rythme de slap sax, riffs de touches et tricot de cordes. Superstition ! La salle est pleine, mais on plaint ceux qui, partis en long week-end, ont raté la météorite lorsqu'elle a frôlé le XXème. Ça groove au fond du temps à L'Ermitage.

lundi 4 mai 2009

Usine au Triton


Hier dimanche, Olivier Sens (à gauche sur la photo avec les cheveux décolorés) organisait un atelier-découverte autour de son logiciel de création sonore Usine dans le cadre du festival Electrolyses aux Lilas. Tandis que David Fenech, qui m'en avait averti le matin, assistait aux présentations d'une dizaine d'artistes dans la salle de spectacle du Triton, dans les loges je profitai des conseils de Benjamin Mousset (le barbu à droite) et d'Olivier qui installaient, expliquaient, commentaient le logiciel.
Usine permet de construire sa propre configuration d'instruments virtuels pour la scène et d'en jouer "live" en retrouvant des gestes instrumentaux qui font le plus souvent défaut aux logiciels musicaux. Echantillonnage sonore en temps réel, traitement par effets sonores, raccourcis physiques des commandes, etc., Usine permet d'automatiser des manipulations fastidieuses en les réduisant au geste le plus simple pour pouvoir en jouer sans perdre le fil de l'inspiration musicale, voire d'improviser librement sans être encombré par la technique. Cela implique évidemment de configurer en amont les gestes dont on a besoin, choisis parce qu'ils conviennent à la musique imaginée. À chacun de faire le tri dans les immenses possibilités offertes par Usine pour s'approprier celles qui vous correspondent. D'autant qu'Usine peut vampiriser n'importe quel plugin VST et intégrer ses fonctions au tableau de commande que l'on se sera dessiné. Le logiciel consiste en patches, des synapses entre les différents éléments et leurs possibilités fonctionnelles, et en l'analyse en temps réel d’un signal d’entrée pour pouvoir ensuite y réagir et régler les paramètres des modules / insérables de façon à modifier le son.
Comme il ne tourne que sur PC, il faut auparavant installer une partition Windows sur mon Mac. Hélas pour moi, Bootcamp se révèle incapable de bien faire ce travail vu la quantité de mémoire libre sur mon disque dur. Qu'importe ! J'ai pu constater que les nombreux Macophiles présents le faisaient marcher correctement sur leurs PowerMac. Si Usine m'emballe je pourrai toujours régler le petit problème en question ou acquérir un portable PC avec un écran tactile. Benjamin qui prenait le temps d'aider tous les novices dans mon genre à installer, configurer, régler, travaille sur un Clevo avec une carte RME tandis qu'Olivier a collé un écran tactile sur son PC. Le geste devient alors évident.
Sans perdre en studieuse concentration, il régnait dans les loges une douce euphorie entretenue par toute l'équipe d'aficionados d'Usine. Plutôt que de "commercialiser" au sens fort son logiciel, Olivier Sens a choisi de créer une sorte de confrérie des amateurs d'Usine. Il y a un petit côté artisanal dans tout cela qui rend l'affaire très sympathique. Les professionnels ne s'y sont pas trompés. Il existe d'autres manières de faire, en particulier lorsque l'on travaille avec des machines en dur, mais Usine répond bien aux besoins des musiciens qui affectionnent le virtuel. Comment ne pas y être sensible si l'on s'intéresse à la nouvelle lutherie informatique et que l'on ne veut pas être freiné par les maladresses de la technique ! Une version quasi complète est donc offerte, mais on en trouvera une plus poussée sur le site sensomusic, payante sans être dispendieuse, avec un système de mises à jour renouvelables à l'année.