70 Musique - mars 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 23 mars 2010

La Passion du Vinyl


Après la première station sous le signe de la musique d'ameublement d'Erik Satie, nous avons gravi le chemin transportant l'un sa boîte de violoncelle et un tourne-disques, l'autre sa valise remplie de disques et d'instruments électroniques. Passés devant le Domaine Musical, Eskimo des Residents, Portal par Alechinsky, nous nous sommes arrêtés pour piétiner et diffuser les Footsteps de Christian Marclay. Depuis son acquisition, plus le vinyle est esquinté plus le son est intéressant. Quelques mètres plus loin, pour interpréter un duo de musique répétitive devant les Philip Glass de Sol LeWitt, je sors mon Tenori-on dont le son est plus discret que je ne m'y attendais, obligeant Vincent Segal à jouer pianissimo. Tandis que je diffuse lithurgiquement le 45 tours souple de L'Apothéose du Dollar par Salvador Dali, Vincent glisse un petit Bach (photo 1) ! Sous la vitrine, nous découvrons un disque en chewing gum qui aurait plu au Catalan.


Vincent attaque O Superman, qu'il a déjà fait avec Laurie Anderson, en jouant simultanément la pédale rythmique et la mélodie. Mes boucles vocales au Tenori-on prennent quelques libertés avec l'original (photo 6). Nous sommes plus révérencieux avec 4'33 de John Cage ; j'ignore si c'est une première mondiale de l'interpréter en duo, mais nous jouons parfaitement ensemble (photo 3) ! Vincent déploie une partition très annotée de Ligeti et une autre, autographe, de Pierre Boulez. J'accompagne au Kaossilator Martin Fournier, spectateur anglophone, récitant magnifiquement un texte d'Allen Ginsberg, avant que mon camarade s'interroge sur le Johnny Griffin de Warhol et que je conte mes aventures adolescentes avec les Beatles. J'offre quelques exemplaires de Rideau ! à la cantonade après que nous ayons exécuté un playback à la flûte et au violoncelle sur M'enfin (photo 2). Ce n'est pas tous les jours que les visiteurs d'une exposition d'art contemporain repartent avec une des œuvres sous le bras ! Nouveau duo avec flûte devant The Last LP de Michael Snow où nous prétendons avoir arrangé un morceau d'une tribu disparue, à l'image du canular de l'artiste canadien. Auparavant j'ai montré les pochettes doubles d'un autre album de Snow et du trio Laurie Anderson / John Giorno / William Burroughs. À cette occasion je suggère à Vincent de faire l'expérience du triple sillon de la quatrième face : le choix du morceau est aléatoire.


J'ai apporté des extraits de 3/3 par 1/2 (trois tiers par Un DMI) que nous avions enregistré sur Machiavel avec trois bouts de vinyle de trois différents disques du Drame (écoutable ici). La force centrifuge du tourne-disques portable expulse les tranches de gâteau noires qui scratchent toutes seules sous l'aiguille, composant un morceau inédit surprenant, d'autant que j'ai placé dessous l'une des faces bruitistes du Snow (photos 4-5). Terminant par un hommage à Fluxus, Vincent trace un sillon avec un clou sur la surface vierge du disque à graver soi-même de Maurice Lemaître, puis il joue des Keuss Keuss tandis que je hurle, un susu dans la bouche, sur deux de ses poèmes, L'équipée sauvage et Valse japonaise ! C'est terminé, Vinyl ferme pour ce soir, nous avons improvisé un programme de près de deux heures. Le public est aussi enchanté que nous deux qui nous sommes bien amusés...

Photos © Mathilde Morières, sauf n°3 Corinne Dardé (celle où l'on voit Françoise Romand filmer, ce qui laisse présager d'un futur YouTube qui sera également en ligne sur le site de La Maison Rouge). Merci les filles !

dimanche 21 mars 2010

Visite de Vinyl en concert


Aujourd'hui le blog s'écrit en live à partir de 17h. Le violoncelliste Vincent Segal m'a invité à dialoguer avec lui devant les pochettes de disques de l'exposition Vinyl à la Maison Rouge, 10 boulevard de la Bastille à Paris. Nous nous transformons en guides, commentant les œuvres en paroles et musique. Vincent apporte un mange-disques portable pour que je puisse enfin jouer en public les Footsteps de Christian Marclay et de son côté il scratchera Maurice Lemaître avec un clou ! Il a recueilli des textes, entre autres de Laurie Anderson, à faire lire par une spectatrice anglophone que nous accompagnerons en direct. Tous nos instruments électroniques et leurs amplifications marchent sur piles. J'hésite à emporter ma longue flûte en plexiglas que le luthier Sylvain Ravasse a eu la gentillesse de me réparer vendredi et qui me manquait cruellement depuis que je l'avais brisée en deux en roulant à bicyclette au sortir d'une séance avec le chanteur Baco. Une foule de petites surprises émailleront la visite improvisée, aussi préserverons-nous le mystère jusqu'à cet après-midi.

jeudi 18 mars 2010

Du son dans tous les sens


La voiture broute comme si ça patinait. La rumination est amusante, mais ça ne tourne pas rond avec un effet balançoire angoissant. Je suis ennuyé car mon Espace de 1986 me rend bien service lorsque je transporte du matériel, pour les courses ou aller écouter un concert en banlieue. Nous en servant peu, nous hésitons à racheter une automobile. Sa grande contenance est précieuse. Hélas le prix est proportionnel à la taille du véhicule... Pour l'instant je fais durer, mais voilà déjà quatre ans que le chauffage est en panne. Heureusement les beaux jours arrivent. Les oiseaux ont réinvesti l'églantier et le lavatère. Ça piaille dans tous les sens.
Au lieu de l'apporter au garage qui affiche complet j'ai fait des tests comparatifs entre deux paires d'enceintes miniatures en vue du concert-visite de dimanche à la Maison Rouge : les iHome ihm79 ont un son nettement meilleur avec des basses flatteuses, mais elles sont deux fois plus volumineuses que les ihm77 et elles arrachent moins. Pour une écoute domestique les 79, pour les déplacements les 77.
J'ai écouté le dernier Zappa paru, Philly '76, avec Bianca Odin. C'est toujours bien, mais plus aucun album inédit édité par la famille n'apporte grand chose de nouveau à la discographie du génial compositeur pamphlétaire. Dans le disque du batteur Franck Vaillant Magnetic Benz!ne le travail vocal de Soobin Park est très excitant, mais l'orchestre est trop jazz-rock pour me plaire. Je préfère écouter La longue marche du compositeur Benjamin de la Fuente dont j'envie la virtuosité violoniste pour partager son goût pour les trémolos hystériques, le traitement électroacoustique de ses distorsions en anneau et les rituels rock'n roll. J'ai trouvé de nouveaux Charlemagne Palestine ; c'est le genre de musique à écouter sans discontinuité pendant 24 heures et puis passer à autre chose, comme un stage au sauna. je ne sais pas si on cuve pendant ou ensuite.


L'étonnante comédie musicale sénégalaise Karmen Geï, film de 2001 de Joseph Gaï Ramaka, interprétée par la sublime Djeïnaba Diop Gaï, danseuse à l'érotisme torride, nous enchante. J'ai toujours adoré les tambours de Doudou N'Diaye Rose, mais quand intervient le saxophone free de David Murray qui a signé la musique, j'en reste comme deux ronds de flan. Le brûlot politique s'épuise au fur et à mesure du scénario, mais les chansons sont superbes et le film assez gonflé ne ressemble à rien de connu, ni du cinéma africain pour l'export, ni une énième adaptation musicale d'après Bizet.
En fin de journée, Vincent Segal (il s'en fiche, mais il n'y a pas d'accent !) me rejoint pour structurer notre visite de l'exposition Vinyl dimanche à 17h. J'ai mis de côté quelques disques et préparé les instruments dont je compte me servir pour accompagner nos propos. Vincent a plein d'idées et ses nombreuses collaborations artistiques, de Michael Snow à Laurie Anderson, constituent un trésor d'anecdotes. Nous devrions interpréter un numéro de duettistes assez amusant (photo ©Françoise Romand)...

mercredi 17 mars 2010

Le crime se prépare et la mer est profonde


Sur les Champs Élysées le cinéma Le Balzac programme régulièrement des ciné-concerts en confiant à des musiciens d'aujourd'hui le soin de revisiter ou d'accompagner les chefs d'œuvre du muet. Ainsi la moitié de l'Orchestre National de Jazz improvisait hier soir sur les images du Cuirassé Potemkine tandis que l'autre moitié s'attellera à la même tâche le 13 avril prochain. Deux quintets pour un même film est une expérience forcément intéressante même si éloignés d'un mois l'un de l'autre. En 1983 à Dunois, Un Drame Musical Instantané joua deux fois de suite Caligari en s'obligeant à traiter le film la seconde fois sans aucune référence à la première. Ceux qui auront assisté à la séance d'hier soir peuvent donc s'attendre à une surprise à la prochaine !
Les cinq musiciens qui avaient choisi une diffusion acoustique montrèrent un joli son d'ensemble. Ève Risser frotta les cordes du piano avec des crins de cheval, Rémi Dumoulin enveloppa le public dans la musique en allant s'assoir dans la salle pour souffler dans son ténor, Pierre Perchaud distillait des notes cristallines à la guitare, Sylvain Daniel assurait seul à la basse toute la section rythmique et Antonin-Tri Hoang éructa quelques envolées ayleriennes à l'alto quand il ne slapait pas à la clarinette basse. Je savais pourtant que le film d'Eisenstein était un cadeau empoisonné, m'y étant cassé les dents il y a trente ans pour ne pas avoir su être assez brutal dans notre traitement. Même erreur chez les jeunes musiciens qui manquent cruellement cette fois de références politiques, remontant les escaliers d'Odessa à contresens en une promenade champêtre sautillante quand la séquence devrait être tragique et broyer tout sur son passage sous les bottes des soldats du Tsar. Pas assez préparée, l'improvisation montre ses limites lorsqu'elle fait fi des intentions de l'auteur, marquant un temps de retard sur l'action quand le rôle du son est de la précéder. Que le parti choisi soit illustratif ou critique, le modus operandi nécessite de connaître la structure d'un film pour l'accompagner afin d'anticiper le drame et, plus encore, de servir le propos du cinéaste. Cette remarque est aussi valable pour n'importe quel film sur lequel intervient un compositeur, nécessairement au service de l'œuvre, mettant de côté ses états d'âme, à moins qu'ils ne soient à propos. Eisenstein comprenait parfaitement le rôle de la musique, arrêtant sa collaboration avec Edmund Meisel lorsqu'il se rend compte qu'un tempo trop rapide à une représentation londonienne a engendré les rires du public. Les cinq musiciens surent jouer tout en retenue, probablement trop, s'attendant les uns les autres quand il aurait fallu foncer et prendre des initiatives. Le maître du montage n'a jamais fait dans la dentelle et la révolution russe de 1905 n'aurait jamais eu lieu si les meneurs s'étaient retournés pour attendre la foule ! L'orchestre sut donc faire bloc, mais il manqua de soliste capable d'entraîner les troupes à sa suite. "Ils étaient des marins durs à la discipline." Ces jeunes gens furent trop courtois pour une opération où les trompe-la-mort y laissèrent la peau. Le film et sa fine interprétation reflètent bien les difficultés de notre société actuelle, écartelée entre la solidarité du groupe et le désir individuel qui s'épuise en vaines conjectures. "M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde qui chante au fond de moi au bruit de l'océan. M'en voudrez-vous beaucoup si la révolte gronde dans ce nom que je dis au vent des quatre vents ? Potemkine !"

lundi 15 mars 2010

Ménage de printemps


Avec une semaine d'avance sur l'équinoxe (je reste incorrigible), la mouche dominicale m'a piqué : au lieu de me reposer comme j'en avais l'intention (absolument incorrigible !) j'ai passé la journée d'hier à repeller la maison à la recherche des patchs originaux de l'ARP 2600 acquis en 1973 et revendu vingt ans plus tard. L'idée n'est pas si saugrenue depuis que j'ai décidé de retrouver le synthétiseur avec lequel j'ai commencé, à condition d'en dégotter un en bon état, à un prix pas trop délirant. À l'époque je m'étais lourdement endetté, mais grâce à cette acquisition j'avais instantanément trouvé du travail et amorti l'investissement trois ans plus tard. Un samedi après-midi à Pigalle, le démonstrateur zélé qui m'a vendu l'ARP 2600 a décidé de toute ma vie.
C'est fou ce que l'on peut accumuler. Comme mes recherches ont été laborieuses j'ai d'abord eu le temps de trier, classer et jeter. Les partitions n'étaient évidemment plus où elles avaient été ni auraient dû être. Après le studio, le grenier et la cave, je finis par tomber sur le dossier dûment étiqueté sur la dernière étagère des archives. J'aurais préféré passer la journée allongé avec le Godard, mais ma névrose obsessionnelle m'interdit le repos tant que je ne suis pas arrivé à mes fins.
De 1971 à 1980, il s'est construit moins de 3000 exemplaires de cette machine fantastique, plutôt encombrante avec son look de central téléphonique, mais dont les qualités acoustiques ont toujours éclipsé à mes oreilles ses deux concurrents, le MiniMoog trop brillant et l'AKS (ou VCS3) trop plastoc. L'Anglais Macbeth en construit une réplique, mais le M5 lui ressemble sans en posséder ni le timbre ni les spécifications. Comme j'avais décidé de me débarrasser, faute de place et de budget, des instruments dont je ne me servais plus, j'avais bêtement vendu mon instrument fétiche sous prétexte qu'il n'avait pas de mémoire et ne répondait plus à la musique que j'avais envie de créer. Il était difficile de l'accorder, ses circuits moulés d'alors étaient irréparables, j'avais besoin d'autre chose. Je l'avais remplacé par un PPG Wave 2.2 à la transparence inégalée, puis par un DX7 enfin équipé de la norme MIDI permettant une connexion à un ordinateur ou à d'autres modules, synthétiseurs en rack et effets spéciaux. Je ne m'étais jamais résolu à upgrader le PPG dont les ondes abstraites avaient été supprimées par Wolfgang Palm, mais j'avais fait ajouter une carte SuperMax au DX7 dont l'arpégiateur et la pseudo multitimbralité me comblaient. Quelques mois après l'avoir cédé, je regrettais mon ARP qui aurait été idéal pour mon travail de designer sonore dans le multimédia. Les goûts du public oscillant comme un VCO, il était naturel que les gros sons analogiques redeviennent à la mode. Lorsque la noise me titille, lorsque je souhaite faire évoluer doucement les timbres, lorsque j'ai besoin d'expliquer de quoi un son est constitué, lorsque j'aimerais improviser en ne partant de nulle part, je n'entends que lui sous mes doigts, d'autant que j'en jouais en virtuose et avais aussi noté scrupuleusement une centaine de combinaisons démentes dont j'avais accouché. D'où l'impérieux besoin de vérifier que mes patchs avaient bien été conservés !
Ci-dessus on reconnaîtra la partition opératoire de 1975 du premier morceau de l'album Défense de (Birgé Gorgé Shiroc, GRRR 1001 ou réédition cd MIO 026-027 écoutable sur notre site). Si je pouvais vendre seulement six exemplaires vinyles de l'original devenu culte, je pourrais m'offrir l'objet rare. Quant à la réédition (cd+dvd, 7h30 de musique plus le film La nuit du phoque), MIO ayant cessé ses activités, elle est presque épuisée à son tour. Tout passe. Et repasse.

jeudi 11 mars 2010

Le swing immortel de Django Reinhardt


Troisième contribution de Stéphane Ollivier à la collection "Découverte des musiciens" chez Gallimard-Jeunesse (16 euros, pour les 6-10 ans), son Django Reinhardt rend merveilleusement l'énergie du génial guitariste. Ayant déjà relaté le superbe travail sur Louis Armstrong avec les mêmes illustrateur Rémi Courgeon et narrateur Lemmy Constantine, je ne peux que réitérer mes louanges. Le petit livre de 32 pages est découpé en 11 tableaux, agrémenté de photographies historiques et accompagné d'un CD de 35 minutes où la musique produit de drôles d'impatiences dans les jambes. Les morceaux choisis accompagnent avec à propos l'étonnante saga de cette énigme de l'histoire de la musique qui enchante la jeunesse d'aujourd'hui comme elle fit tourner la tête de nos aïeux, vingt ans d'enregistrements de 1933 à 1953 que la narration n'occulte jamais. J'écoute avec ravissement les musiciens avec qui Bernard a joué dans ses jeunes années et qu'il évoque dans des entretiens encore jamais publiés, Stéphane Grapelli, Hubert Rostaing, Alix Combelle, Maurice Vander, Pierre Michelot et bien sûr Django lui-même. Le disque se conclut sur Night & Day et Nuages enregistrés à la guitare électrique le 10 mars 1953, marquant un tournant bouleversant de modernité deux mois avant la mort de celui qui incarne pour toujours le jazz manouche, tant imité ces temps derniers dans la chanson française et jamais égalé, même en y mettant tous les doigts. En fouinant, on peut trouver le coffret de 25 CD Manoir de ses rêves édité par Harmonia Mundi pour moins de 50 euros.

dimanche 7 mars 2010

Encore une machine infernale


Il y eut de nombreuses machines infernales avant Der Lauf der Dinge de Peter Fischli et David Weiss comme ces architectures de dominos qui s'abattent indéfiniment dans d'incroyables ballets. Le clip réalisé par James Frost appartient à cette tradition de la réaction en chaîne. Filmé dans un entrepôt sur deux niveaux à Echo Park près de Los Angeles, il accompagne la chanson This Too Shall Pass de l'album Of the Blue Colour of the Sky. L'installation a été conçue et construite par le groupe OK Go qui a mis plusieurs mois à construire la machine avec des membres de Syyn Labs. Même si les mouvements des objets sont synchronisés avec la chanson, je ne suis pas certain que cela apporte grand chose. Tout ce travail pour illustrer une chanson nulle, c'est dommage ! Le son des catastrophes aurait été plus approprié.
La musique n'est pas la panacée universelle. J'en ai fait les frais hier encore. Lorsque nous nous sommes retrouvés en mixage avec Pierre-Oscar Lévy les ambiances et les bruitages se sont imposés face au quatuor à cordes que j'avais composé sur Les noces de Cana. La musique était très bien, mais à quoi rime de placer de la musique sur un film ? L'orchestre présent à l'image se justifiait parfaitement, mais le réalisme montre ses limites lorsqu'il est question de narration ou de distance critique. Le tableau de Véronèse sonorisé avec les enregistrements que j'avais réalisés au Louvre dans la salle où il exposé devenait banal dès lors que la musique masquait les convives, y compris le perroquet (ajouté au son pour souligner sa présence fugace) et le chien (appuyé par un commentaire discret du public comme la découpe de la viande, l'assemblée des notables, la présence de Véronèse lui-même à la viole ou l'acte alchimique). Je synchronisai l'effet de transmutation en faisant couler du liquide dans une jarre et j'ajoutai un zeste de vaisselle pour parfaire l'illusion produite par les visiteurs du Louvre dans leurs langues respectives et la réverbération de l'immense salle.
Prêchant contre ma paroisse, je me demande souvent pourquoi ajouter de la musique à un film. Quelle tradition la suscite ? Quelle absence est-elle censée combler ? Quel est son propos ? C'est encore pire au théâtre où l'on sent le bouton Play du magnétophone. Je préfère souvent la musique in situ comme chez Renoir ou Demme, ou si elle apporte un complément réel et sensique à l'image ou à l'action. Considérer que tout est musique et que l'orchestre, réel ou virtuel, participe à la partition sonore générale évite de focaliser sur un fantasme dont la réalisation nuit le plus souvent à l'objet que l'on croit servir en arrondissant les angles quand il faudrait surtout savoir les choisir !
Lorsque je livre une musique à un réalisateur, je lui dis toujours qu'il peut en faire ce qu'il veut, la triturer comme il l'entend si le film l'exige. S'il le fait en dépit du bon sens, je ne retravaille pas avec lui (ou elle), voilà tout. Pierre-Oscar avait raison de vouloir réduire mon quatuor du XVIème comme on réduit une sauce. Le rôt s'en trouve grandi, donnant à mon travail sa véritable dimension évocatrice. Et la phrase de Cocteau de résonner toujours à mes oreilles, "Ne pas être admiré. Être cru."

samedi 6 mars 2010

Repérages vinyliques


Il risque d'y avoir un monde fou dimanche 21 mars à La Maison Rouge pour l'exposition Vinyl qui s'y tient jusqu'au 16 mai. D'abord c'est un dimanche. Ensuite, à 17h je commenterai en paroles et en musique avec le violoncelliste Vincent Segal les pochettes et disques de la collection Guy Schraenen. Dans un précédent billet j'évoquai notre rencontre avec Vincent et le travail de Daniela Franco intitulé Face B. Pour préparer notre duo impromptu, Vincent et moi avons fait un saut au 10 boulevard de la Bastille où Paula Aisemberg et Stéphanie Molinard nous ont chaleureusement reçus.
Pendant deux heures et demie nous avons admiré l'important accrochage à la recherche de disques qui nous inspirent des commentaires, la musique coulant de source ! Nous avons bêtement commencé par des "Celui-ci je l'ai !", "Moi celui-là !" pour progressivement faire notre petit marché en commençant par la musique d'ameublement d'Erik Satie, bien à propos. Pourtant je ne peux m'empêcher de relever ici ceux que je fais aussi tourner sur ma platine. Le 45 tours souple de Salvador Dali m'a rappelé qu'Avida Dollars n'avait rien à faire des disques tant qu'ils ne seraient pas comestibles, ce qui leur conférerait pour lui un rôle liturgique et pour moi un attrait gastronomique supplémentaire ; or un Berlinois en a fait une de ses spécialités puisqu'il presse des "vinyles" en chocolat ! Plus loin je reconnais la pochette du Portal par Alechinsky, l'Eskimo des Residents auxquels on nous avait comparés alors sans que je sache exactement pourquoi, Footsteps de Christian Marclay que je compte piétiner avant de le jouer, le triple sillon Burroughs-Giorno-Anderson joué alternativement selon l'endroit où l'on pose l'aiguille grâce à la triple spirale, le Steve Reich dont la photographie est tirée de Wavelength de Michael Snow dont New York Eye and Ear Control et le double album sont également exposés, le John Cale par Warhol, des Beatles et des Stones légendaires, des Beefheart peints par l'auteur comme très nombreux de ces merveilles, et bien d'autres dont l'un des nôtres, le célèbre Rideau ! d'Un Drame Musical Instantané où figure ma main gauche photographiée par Horace et dont je compte apporter quelques exemplaires le 21 mars avec la droite ! Le catalogue est évidemment encore plus fourni, avec par exemple en plus notre À travail égal salaire égal illustré par la Rixe de musiciens de Georges de La Tour. J'aurais plutôt fait figurer la sublime pochette des Bons contes font les bons amis dûe à Vercors ou Carnage à Jacques Monory, mais les choix du collectionneur sont impénétrables. Les 274 pages du catalogue commencent par un glossaire critique avant d'attaquer chronologiquement la discographie où sont indexés tant de contributions d'artistes marquants de Dubuffet à tous les Fluxus, de Beuys à Opalka, de Haring à Laurie Anderson... Je regrette l'absence de la pochette du groupe Axolotl en papier de verre doré qui bousille celles des copains !
Pour dialoguer avec Vincent qui a connu quantité des musiciens exposés, je devrai être électriquement autonome, aussi ai-je choisi une instrumentation qui marche sur piles. J'amplifierai donc le Tenori-on et le Kaossilator avec mes haut-parleurs miniatures. Mais l'un et l'autre réserverons d'autres surprises tandis que nos commentaires organiseront la partition nomade.

vendredi 5 mars 2010

La symphonie des jouets


Avant de publier les échantillons des instruments solo de l'Ircam, la société UltimateSoundBank nous avait déjà gratifié de jouets musicaux électriques, soit 97 synthétiseurs et boîtes à rythmes avec des sons corny et drôles de la collection d'Eric Schneider. Les combinaisons et sandwiches pouvaient donner des résultats tout à fait surprenants et parfaitement dans le ton des musiques minimales à la mode. Avec Acoustic Toy Museum (299 €), l'éditeur français lié à Univers-Sons comble mes vœux. Je vais pouvoir rejouer du génial piano-jouet enregistré dans Défense de, des boîtes à musique programmables, des activity-centers de ma fille envolés depuis longtemps, des tuyaux à percussion que je transposerai dans le grave pour me rapprocher du percuvent construit par Bernard, des claviers de cloches, des guitares pourries, des batteries en carton-pâte mais avec des rythmes super, des boîtes à musique, des hochets anciens de la collection du Musée des Arts Décoratifs, etc. Et quand je dis jouer, c'est vraiment jouer ! Car en échantillonnant ces 250 jouets, UltimateSoundBank a rendu jouables les plus biscornus avec une qualité de son telle que le travail est presque mâché. Chacun est agencé dans UVI, leur moteur en téléchargement gratuit, pour passer rapidement d'un style de jeu à un autre. Tous les petits bruits parasites ont été consciencieusement préservés ou nettoyés, à vous de choisir votre programme ; sous les notes, des choix aléatoires automatiques entre plusieurs prises donnent la vie à ces machines de notre enfance, de celle de nos parents ou de nos enfants. En plus, les 15 000 échantillons peuvent être triturés par UVI, à la fois éditeur, boîte à effets, arpégiateur, en un tour de main... Il suffit de brancher un clavier en midi ou usb sur votre ordinateur et passez muscade ! N'importe quel compositeur retrouvera son âme d'enfant, certains recommenceront à sucer leur pouce, d'autres inventeront des alliages inouïs en élargissant leur palette de timbres... On aura compris, j'adoooooooore !

lundi 1 mars 2010

Face B, l'envers de Vinyl


Freddie m'appelait Monsieur Tout-à-l'envers. En 1993, j'en avais fait une chanson. Comme je commence toujours la lecture des journaux par la dernière page, il n'y a rien de surprenant à ce que j'aborde l'exposition Vynil à La Maison Rouge par la Face B. Je n'ai pas encore eu le temps de faire un saut à la Bastille, mais le violoncelliste Vincent Segal m'a invité à la commenter avec lui et en musique le 21 mars ! J'en suis extrêmement flatté, d'autant que Vincent découvrit notre trio en 1983 au festival Musiques de Traverses à Reims lorsqu'il était adolescent et qu'il me confie qu'Un Drame Musical Instantané influença les premiers pas de Bumcello.
Pour tempérer mon impatience de jouer avec lui en nous promenant parmi les disques du collectionneur, éditeur et commissaire d’exposition belge Guy Schraenen, où, paraît-il, mes disques sont bien représentés, je découvre Face B, le projet de Daniela Franco qui a demandé à des acteurs de la culture (arts plastiques, musique, littérature, design...) de lui fournir des listes d'albums en fonction de critères tels les dix disques qui illustrent une biographie, ceux sur les pochettes desquels on aimerait figurer, ceux dont la pochette est meilleure que le contenu musical, etc. J'ai répondu positivement à la requête transmise par Paula Aisemberg, directrice de La Maison Rouge, en envoyant "la liste des dix disques que j'ai achetés à cause de leurs pochettes et dont la musique ne m'a pas déçu, bien au contraire, puisqu'ils sont souvent à l'origine de ma vocation de compositeur". Toutes les pochettes sont consultables sur le site de Face B et sur les ordinateurs mis à disposition du public de La Maison Rouge. Les plus rares y sont accrochées jusqu'au 16 mai et l'ensemble fera prochainement l'objet d'une publication. Il paraît que le catalogue de l'exposition Vynil est aussi très beau...

En ligne, Face B permet d'admirer les pochettes choisies et d'en écouter quelques extraits, hélas pas les plus rares, mais retrouver les pochettes d'après leurs titres n'a déjà pas dû être une mince affaire pour Daniela Franco ! Les dix vinyles que j'ai achetés à la vue de leur pochette et qui augureraient de ma vie de compositeur sont donc :
The Rolling Stones - Their Satanic Majesties Request
The Mothers of Invention - We're Only In It For The Money
Silver Apples - (le premier album)
Captain Beefheart and His Magic Band - Strictly Personal
George Harrison - Electronic Music (pochette de G. Harrison)
The White Noise - An Electric Storm
Bonzo Dog Band - The Doughnut in Granny's House
John Cale - The Academy in Peril (pochette d'A. Warhol)
Michael Snow - Musics for Piano, Whistling, Microphone and Tape Recorder (pochette de M. Snow)
Albert Marcœur - (le premier album)
Je vous laisse découvrir les autres...

J'ai toujours été attaché aux disques dont le packaging était étudié pour coller au projet musical. La taille des 30 centimètres permettait un travail graphique que le timbre-poste du CD a réduit considérablement. Je ne suis pas du tout opposé à la dématérialisation du support s'il s'accompagne d'une création graphique et d'informations agréablement consultables. Machiavel, le dernier album majeur du Drame, rassemblait des pièces de 1980 à 1998 avec un très beau livret conçu par Étienne Auger. Parmi elles, 3/3 par 1/2 était composé à partir de la reconstitution d'un disque avec 3 tiers de différents vinyles découpés du Drame et l'œuvre interactive, réalisée avec Antoine Schmitt, qui complétait les dix titres vient d'être mise en ligne en téléchargement gratuit. Ce scratch vidéo interactif intitulé également Machiavel, est entièrement sonorisé avec les vinyles du groupe.