70 Musique - octobre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 28 octobre 2010

Le format CD est-il périmé ?


Cinq nouveautés parmi tant d'autres. Un disque de chansons : Areski Belkacem, compagnon de toujours de Brigitte Fontaine, compositeur de presque toutes ses chansons, son soutien moral, sort de l'ombre avec Le triomphe de l'amour, sympa, oriental, mais nostalgique (Universal). Un truc trip hop rockisant : le dernier Tricky, Mixed Race, est très critiqué pour non renouvellement de son inspiration et parce qu'il est un peu court, pourtant il s'écoute agréablement même s'il n'est pas à la hauteur de ses premières fusées (Domino). Un double trad : le virtuose arménien du doudouk, Djivan Gasparyan, a l'honneur d'une compilation Network, avec des formations très variées, on entend même Nusrath Fateh Ali Khan, Sainkho Namtchylak, Michael Brook, dialoguer avec son hautbois, c'est triste à souhait, très utile en certaines occasions. Un triple minimal : trois versions de durées variables de Strumming Music de Charlemagne Palestine, la première, indispensable, par le compositeur au piano Imperial Bösendorfer (52'14), la seconde par la claveciniste Betsy Freeman (35'24), la troisième pour cordes avec des étudiants du Conservatoire de San Francisco réunis par John Adams (24'26), totalement hypnotique avec effet paroxystique sur la durée (Subrosa). Un hybride jazz-rock-hip-hop-soul : le troisième Ursus Minor lorgne vers la pop, entendre musique populaire, avec la voix du batteur Stockley Williams, très proche de celle de Stevie Wonder, les rappeurs Boots Riley et Desdamona, et, joie, celle caverneuse du claviériste plus ou moins leader, Tony Hymas, c'est donc rythmé, entraînant, américain et toujours aussi personnel avec la remarquable basse du saxophone baryton François Corneloup et le nouveau guitariste Mike Scott, ex-Prince !
Cinq albums, aussi divers que variés, mes goûts sont éminemment éclectiques, sur un support matériel qu'on dit passé de mode. Bon d'accord, ça prend de la place sur des étagères bourrées jusqu'à la gueule, et j'ai décidé de me débarrasser de ce que je ne réécouterai jamais plutôt qu'en construire de nouvelles. Je ne vends pas, je donne quand ça me chante à qui ça comble. Mais, surtout, les clusters harmoniques de Charlemagne Palestine ne sauraient se contenter de la compression mp3 comme les transitoires des attaques de Tricky ou Ursus Minor. On se fiche évidemment de la galette en plastoc argenté, mais les petits livrets sont agréables à tenir en main surtout lorsqu'ils bénéficient d'un livret de 36 pages illustrées, ici une bande dessinée originale d'Ivan Brun (l'histoire d'un petit Africain qui traverse la Méditerranée au péril de sa vie pour être reconduit dans son pays manu militari), comme tous les derniers albums produits par nato (1 et 2). I will not take ''but"" for an answer fait donc partie de ce que l'on avait coutume d'appeler livre-objet ou disque-objet. Par contre, l'album de Tricky, plein de photos, n'indique pas le nom des musiciens, honteux, voire dangereux si l'achat du boîtier cristal ne produit pas de valeur ajoutée. The Soul of Armeniaest plein d'informations et j'ai trouvé agréable les pauses que les 3 CD de Palestine imposent lorsqu'il est nécessaire de se lever de son siège pour aller mettre le suivant. Rien de pire en effet que le flux incessant des lecteurs mp3 qui vont jusqu'à fabriquer des fondus enchaînés entre les morceaux des fois qu'un silence arrive à se glisser entre deux plages. Tout devient vague. Il n'y a plus de place pour le soleil. Car si écouter de la musique du matin au soir peut se concevoir, il est idiot de croire que l'enchaînement est une libération. Il n'y a rien de meilleur au monde qu'un début et une fin. Il n'y a pas de rencontre sans rupture.

mercredi 13 octobre 2010

Robert Wyatt et Katerine, quand simplifier réfléchit la complexité du monde


Depuis Shleep Robert Wyatt n'avait pas réussi un aussi bel album. Le tendre '......... for the ghosts within' est une œuvre à trois voix, cosignée par le saxophoniste anti-sioniste Gilad Atzmon, israélien naturalisé anglais (je pointe le lien vers Wikipédia anglais, le français étant un tissu d'allégations honteuses) déjà présent sur Cuckooland et comicopera, et la violoniste Ros Stephen qui dirige le Sigamos String Quartet augmenté du contrebassiste Richard Pryce. Avant que Wyatt ne les rejoigne, tous travaillaient déjà ensemble sur les standards jazz, en particulier un hommage à Charlie Parker, qui occupent la majorité des plages du CD (Laura, Round Midnight, Lush Life, What's New?, In a Sentimental Mood, What a Wonderful World). Si la voix du chanteur ne possède plus sa vertigineuse vélocité passée, le son du quatuor participe à cette fébrilité éraillée qui donne l'impression de marcher sur le fil du rasoir sans ne jamais se couper. Je suis moins fan des chorus orthodoxes du saxophone alto, mais l'orientalisme donne un coup de soleil au teint pâle du chanteur qui n'a jamais baissé sa garde, surtout lorsque Stormtrap (Abboud Hashem) rappe le texte de Shadia Mansour (Where Are They Now?) ou que la voix de Tali Atzmon chante les fantômes qui flotteront toujours sur la Palestine (The Ghosts Within). Les autres textes sont de l'éternelle compagne Alfreda Benge qui signe comme toujours la pochette et la reprise d'At Last I'm Free donnant à ce nouveau disque un petit côté Nothing Can Stop Us. Enfin je ne me lasserai jamais de Maryan composé par le guitariste belge Philip Catherine, homonyme du chanteur corrosif...

Justement, dans un registre radicalement différent, mais tout aussi minimaliste, l'autre disque qui tourne sur ma platine est le dernier album de Katerine intitulé Philippe Katerine, sorte de manifeste intime (présence vocale de ses parents, sa compagne Jeanne Balibar et sa fille) et universel où les textes se résument souvent à quelques mots, leur apparente simplicité dessinant en filigranes une puissante critique de notre société. Longtemps rebuté par les provocations potaches du chanteur, je n'ai saisi son travail qu'en regardant la vidéo d'un concert où il dégageait une énergie rock 'n roll étonnante. Je connaissais un peu ses chansons grâce à mes camarades des Recyclers, Benoît Delbecq et Steve Arguëlles, qui l'accompagnaient et signèrent les arrangements des Créatures et 8ème ciel. Lequel du destroy Robots après tout ou du dernier préfère-je ? Car plus Katerine prend de la bouteille, plus j'adore (et pas seulement Louxor) l'énergie du précédent, mais le minimalisme de Philippe Katerine recèle une causticité encore plus incisive, plus proche de Desproges que de Dutronc. En peu de mots et à peine plus de notes, Katerine capte l'essentiel, si l'on arrive à rire et réfléchir à la fois. Infos et extraits sur le site banane !

samedi 9 octobre 2010

ECM, l'adieu aux armes


Je me demande pourquoi la plupart des disques produits par le célèbre label allemand ECM me font un effet si dépressif ou soporifique. Cela peut s'avérer une qualité si l'on souhaite s'abstraire de ce monde de brutes où la vitesse est le maître mot. Les musiciens semblent travailler pour un salon de massage ou un stage de relaxation. Le son rond, réverbéré et hygiénique qui a fait la renommée du producteur Manfred Eicher et qui ravit tant de consommateurs n'est évidemment ni ma tasse de thé ni mon verre de schnaps. Pourtant les artistes convoqués ont le mérite de sortir du lot commun, aujourd'hui souvent issus de l'Europe de l'Est, des pays baltes ou nordiques. Les jazzmen m'ennuyant de plus en plus, engoncés dans trop de clichés, embaumant la musique vivante dans un sarcophage plus propice à un musée des antiquités, je me tourne vers des compositeurs contemporains sans étiquette aussi marquée. Ainsi ai-je eu envie de réécouter Kremerata Baltica du violoniste letton Guidon Kremer ou la quatrième symphonie du néo-classique estonien Arvo Pärt dont l'écriture minimaliste, pour ne pas dire simpliste, peut convenir à certains moments d'abandon primal, peut-être grâce à la direction du Finlandais Esa-Pakka Salonen. Même le joli hommage aux musiques de commande du compositeur georgien Giya Kancheli finit par me donner envie de zapper pour ne pas sombrer dans la neurasthénie, malgré la présence du bandéoniste argentin Dino Saluzzi. De même, le disque du guitariste Steve Tibbetts, le duo Marylin Crispell et David Rothenberg ou le Quiet Inlet qui réunit Thomas Strønen, Ian Bellamy, Nils Peter Molvær et Christian Fennesz ne me laissent pas de marbre, mais le contact de la pierre reste froid. Les disques sont à l'image de leurs pochettes, formatés au goût du patron. Presque toujours planants, ils finissent par sonner trop souvent impersonnels.
Il me faudra donc attendre les prochains albums de Michael Mantler dont je suis un des rares fans ou Heiner Goebbels que j'admirais déjà lorsqu'il était improvisateur, compositeurs autrement plus vifs et vivifiants, pourtant fidèles à ECM dont la réputation continue à m'étonner, à moins qu'elle ne soit le reflet exact de notre époque, molle et désespérée. Comme un adieu aux armes.