Jouer ensemble sans concertation exige une gymnastique schizophrénique consistant à écouter en même temps que l'on s'exprime. L'improvisation libre, que j'ai toujours préféré appeler composition instantanée, devrait autoriser d'aborder tous les genres, styles, mélodies, rythmes, etc. Toute association de sons devrait être possible comme dans une conversation entre convives bienveillants, et encore... Car les conflits ne sont pas interdits dès lors que le résultat global en bénéficie. Il s'agit donc de réduire au plus court le temps entre la composition et l'interprétation, et ce, sauf solo, sous forme collective ! Comme dans la vie, des relations d'amitié se tissent, faisant fi des divergences d'opinion puisque seule la résultante des forces nous importe. Il est inévitable alors de rattraper des balles au vol même lorsque les coups sont tordus. Par goût, de mon côté comme dans tout ce que j'approche, je cherche toujours à être complémentaire plutôt que redonder en suivant le mouvement !
Si néanmoins à La Java je sous-jouais pour intégrer mes sons orchestraux au subtil jeu harmonique du pianiste Benoît Delbecq (à la trompette, clin d'œil à Bernard Vitet, sur la photo de Gérard Touren © 2013 !), quelques jours plus tard au Triton nous préférions composer de courtes pièces instantanées nous obligeant à entrer dans l'ambiance de chacune avec une promptitude vertigineuse. Il arrive que l'on commence tous ensemble, mais une ou deux secondes suffisent à changer son fusil d'épaule en entendant le premier son produit par un camarade. J'écris entendre car je ne suis pas certain que nous écoutions, préoccupés par ce que nous jouons nous-mêmes. Suivre plusieurs discours simultanément tandis que l'on joue soi-même exige une concentration à la fois excitante et épuisante. Le saxophoniste alto Antonin-Tri Hoang et le violoncelliste Vincent Segal réagissaient au doigt et à l'œil grâce à leurs oreilles dressées dans notre univers nocturne où j'enchaînai piano préparé, sons de la banquise, trompette à anche et transe rythmique. Sur cette quatrième et dernière pièce nous rejoignirent la chanteuse Élise Caron se servant de son extinction de voix comme en aïkido et le percussionniste Edward Perraud jonglant avec ses cymbales en saltimbanque, trait commun à nous tous.