70 Musique - janvier 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 31 janvier 2014

Segal de père en fils


Vincent Segal m'envoie un SMS avec la dédicace de Bernard Vitet sur un disque de Miles Davis appartenant à son père qu'il vient de retrouver. Vers 1954 Alain avait seize ans lorsqu'il assiste à un concert de Bernard avec Art Taylor à la batterie, Art Taylor qui a joué avec Miles. C'est probablement le quintet du pianiste Jack Diéval avec le bassiste Jacques Hess et le saxophoniste François Jeanneau. Comme il trouve que notre trompettiste a le son de Miles le jeune Alain Segal lui demande un autographe.
En 1983 Vincent a seize ans à son tour lorsqu'il assiste à un concert d'Un Drame Musical Instantané qui participera à son émancipation du classique. Père et fils auront donc croisé chacun à seize ans la route de Bernard qui leur aura laissé à tous deux un souvenir indélébile. La signature de Bernard est restée la même, mais il passera du bop au free, et du free au Drame. Dommage qu'il ne soit plus là pour l'entendre cette belle histoire !

mardi 28 janvier 2014

Vinyle ou CD, et encore quoi ?


En écrivant le billet Vinyle ou CD pour quelle musique ? la semaine dernière je ne pensais pas déclencher autant de commentaires polémiques sur Médiapart où ce blog est publié en miroir.
Mon propos était pourtant de désamorcer les jugements à l'emporte-pièce, quelles que soient les certitudes de chacun, en suggérant que, pour les auditeurs, à chaque support correspond une pratique, de la même manière que, pour un artiste, à chaque support correspond une œuvre, et réciproquement...
J'écoute des vinyles, des CD, des mp3 et autres fichiers compressés de plus ou moins bonne qualité, des séquences YouTube ou leurs équivalents, voire des bandes magnétiques, des cassettes, des DAT, des 78 tours, comme j'écoute diverses stations radio et que j'assiste à des concerts et autres spectacles !
Tout dépend des conditions, que je sois chez moi concentré sur ce que j'écoute ou en train de faire la vaisselle, que je compose dans mon studio ou si je conduis, ou encore lorsque je m'endors, etc.
Avantages et inconvénients résident dans chaque pratique. Certains penseront que le débat est absurde et que seule la musique vivante mérite le déplacement, mais alors il faudra là aussi évoquer les conditions d'écoute. Combien sont indisposés par le niveau sonore insupportable de certains concerts ? Les puristes ne comprendront pas que l'on n'interprète pas les œuvres classiques sur les instruments d'époque. Les musicologues se moqueront des audiophiles qui font écouter leur luxueux et onéreux matériel et se fichent de ce qu'ils y diffusent. D'autres ne supporteront pas le format mp3 qui supprime les "détails sans importance", détails qui restituent pourtant le plus fidèlement la vie. Et je ne parle pas de la musique dans les lieux publics, les restaurants, les magasins de vêtements, les ascenseurs, ou le sirop qui envahit les films... Etc.
L'important est d'avoir conscience de ce que nous écoutons, comment nous en profitons ou le subissons, en connaissance de cause. Comme toutes les autres formes d'expression artistique, la musique réfléchit le monde, enjeux économiques et révoltes créatrices, soupapes de sécurité et formatage des cerveaux, libération des pulsions et partage du plaisir d'être ensemble... Nous pourrions aussi étendre la question à tout ce qui passe par le canal auditif, pas seulement la musique !

vendredi 24 janvier 2014

Jean Morières s'est envolé


La terrible nouvelle nous assaille, rappelant la fragilité de nos existences. Il suffit qu'un fil casse pour que notre toile se replie à jamais sur nous-même comme un linceul qui nous colle à la peau, barque de fortune flottant sur le Styx, bulle de savon s'évaporant dans les nuages ou poignée de terre rejoignant le magma. Quelque soit le chemin chacun y trouve son élément. Il suffit d'un quart de seconde pour refaire le trajet à l'envers et le papillon redevient cocon. Certains départs sont trop précipités. Jean Morières n'aurait rien vu venir. Il savait respirer le bon air de la campagne, pratiquait la méditation avec la même discipline qu'il travaillait sa flûte zavrila, il aimait rire et chanter. Mardi après-midi le coup l'a frappé en haut d'une petite colline comme il se promenait dans la garrigue. Tout s'est arrêté sans prévenir. À Pascale, à Mathilde, Antoine et Fani, il laisse une foule d'images, de sons, de paroles, de gestes, de sentiments où son esprit critique se vêt d'humour et de tendresse. Mais ce soir, plutôt qu'à sa flûte apaisée et rêvée je choisis de le réentendre endosser l'enveloppe de son double mordant, le caustique Eddy Bitoire, pseudonyme non dupe de ce que nous réserve l'avenir. À plus tard.

jeudi 23 janvier 2014

Vinyle ou CD pour quelle musique ?


Nombreux jeunes et moins jeunes audiophiles redonnent au vinyle une seconde chance en encensant ses qualités dynamiques. Au vu des stocks du label GRRR cet enthousiasme m'enchante, mais je crains de devoir rajouter un bémol à la clef. S'il est certain que la campagne qui a accompagné l'avènement du CD fut somptueusement mensongère, tout n'est pas aussi rose que ce revival aimerait le laisser croire.
Revenons vingt ans en arrière. On nous vendit le numérique pour son support inaltérable : c'est évidemment faux, un vinyle craque alors que la moindre rayure envoie le CD à la poubelle, et contrairement à la galette en plastique argenté le vinyle résiste au temps si l'on n'y touche pas. Par contre il est évident qu'un vinyle s'use plus vite et les scratches se multiplient si l'on a un tourne-disques basique. Comparons les écoutes. On nous vendait les qualités dynamiques du CD : c'est sujet à caution, les tests montrent que selon les musiques un support peut fonctionner mieux qu'un autre, ce qui peut contrarier les puristes revenus au disque noir. Il est un domaine où celui-ci l'emporte, l'emballage : jamais le petit format de 12 cm n'égalera une pochette de 30x30 cm, les graphistes en savent quelque chose. De plus la manie d'écrire les textes des livrets en minuscules (lorsque ce n'est pas en jaune sur fond blanc !) n'arrange pas ni les myopes ni les presbytes. Ces comparaisons font pourtant fi d'un certain nombre de paramètres que seul l'usage permet de préciser. Par exemple, un auditeur lambda a une écoute attentive limitée dans le temps. Vingt minutes était une durée parfaite et le silence qu'imposait le retournement du disque lui profitait. Pour les œuvres longues tels opéras et symphonies l'exercice était malgré tout fastidieux. Si l'on constate que les avantages et les inconvénients sont différents selon les cas, il convient de comparer des pressages récents et anciens pour se faire une idée juste de ce revival vinylique.
Mieux, rappelons-nous l'émotion partagée lorsque nous allions graver le master d'un nouvel album. Orsini travaillait en orfèvre, nous expliquant la moindre correction qui améliorait l'enregistrement original. Il fallait le voir la loupe rivée à l'œil pour scruter le sillon. Lorsque les exemplaires pressés étaient livrés nous avions toujours une bonne surprise, l'objet sonnant toujours mieux que la bande magnétique. Ce bonus qualitatif ne se présente plus qu'au master si l'on travaille dans un studio luxueusement équipé de compresseurs à lampes et autres machines qui valent une fortune. Oubliez les masterings sur ProTools qui ne leur arrivent pas à la cheville ! Ce n'est pas seulement une question d'oreille, mais aussi de matériel. Aujourd'hui aucun musicien n'assiste plus à la gravure ni au pressage, souvent réalisés dans un pays de l'est. Pas plus qu'il ne va à la mise en machine de sa pochette à l'imprimerie. Conclusion : les impressions sont fades, les noirs sont bouchés, les contrastes et les couleurs écrabouillés. Pour les rééditions il faudrait également partir de la bande master analogique (si elle a été conservée correctement, sans variation de température, rembobinée sur la fin pour éviter le pré-écho) et non presser le vinyle d'après une copie numérique ! Mes tests comparatifs ne vont certainement pas dans le sens fantasmé par les vinylophiles... Et pendant ce temps mon camarade Vincent Segal écoute des 78 tours sur une platine classieuse, jugeant avec raison qu'en matière de dynamique ses bakélites sonnent cent fois mieux que la matière plastique !
Je termine avec les derniers vinyles que l'ont m'a offerts et que je regarde tourner avec leur macaron central qui donne le tournis. Watt est un quatuor de clarinettes et clarinettes basses composé de Julien Pontvianne, Jean Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang et Jean-Brice Godet qui interprètent une musique de drône fortement inspirée par La Monte Young ; sons continus de la sinusoïde presque pure au sang impur qu'abreuve notre sillon, machine soufflante à simple effet en produisant de variés selon la perception de chacun.
DDD envisage de vendre en bundle les vieux albums du Drame accompagnés de remix de DJ américain, anglais et allemand comme le label parisien a commencé de le faire avec Luc Marianni, la curiosité rivalise avec l'impatience !
The Din of Eon est le second LP de Transistor, duo de Franck Vigroux et Ben Miller, très proche de Scott Walker dernière période y compris la pochette de Philippe Malone qui rappelle l'ambiance de l'usine dans le film Pola X, les synthés analogiques du Lozérien se mêlant à la voix envoûtante de l'Américain en sombres évocations noir et blanc de la veine du Portugais Bernardo Devlin.
Chez tous, les craquements sont bien présents dès la troisième écoute, mais on se fiche du support, seule importe la musique... Excusez-moi, ce n'est pas comme un flux mp3, il faut que je me lève pour tourner le disque !

mercredi 22 janvier 2014

Le premier gros succès du Drame


Il avait suffi que l'on réunisse seize musiciens et musiciennes, il y avait six filles dans l'orchestre, pour que l'on nous écoute enfin. Le succès fut immense, transformant notre statut professionnel. Jusque là le trio d'Un drame musical instantané jouait beaucoup, mais ne convainquait que quelques copains et journalistes. Je suis injuste, mais c'est ainsi que nous le vivions. Ce vendredi 13 de l'année 1981 le Théâtre Berthelot à Montreuil était bondé. Nous manquions cruellement de répétitions parce que nous refusions d'exploiter les camarades musiciens comme le faisaient les autres big bands. Il fallait donc écrire simple ou du moins l'espérer. Je m'étais refusé jusqu'ici à faire entendre cet à-peu-près qui nous faisait souffrir. Les archives révèlent néanmoins des qualités que j'avais oubliées, n'ayant rien réécouté depuis lors.

De cette création nous n'avions publié que La Preuve par le Grand Huit dans l'album À travail égal salaire égal, une pièce écrite par Francis Gorgé, précision qui aujourd'hui prend son sens alors que nous signions systématiquement collectivement tout ce que nous composions. Nous savions bien que le succès peut advenir du moindre détail et nous intervenions tous partout plus ou moins. De plus cela évitait les tractations fastidieuses de pourcentages litigieux. Nous n'avions pas envie de finir prématurément comme le Unit. Lorsqu'il n'y a pas de question d'argent les (mauvaises) raisons de s'engueuler sont réduites à néant. Nos inévitables conflits faisaient sens, nous pouvons en être fiers ! Bernard Vitet avait, à mon goût, l'écriture la plus équilibrée et la plus expérimentale, sérialisme et variétés aidant. Il avait un talent fou pour sortir des mélodies inoubliables. Francis était plus influencé par la musique classique, en particulier par les Français du XIXe et du XXe siècle. Dans La lettre l'influence de Poulenc est évidente. Bernard ne terminant jamais une pièce il était plus facile de composer avec lui ! J'écrivais tous les textes et les parties les plus aléatoires ou les plus spontanées, m'appuyant sur les personnalités plutôt que sur leur instrumentation, mes modèles étaient Varèse et Ives. Lorsque nous composions pour orchestre, j'étais forcément le moins déçu de nous trois, mais j'ai déchanté lorsque j'ai tenté d'étendre l'improvisation collective à un grand ensemble. Pour cette soirée j'avais caché un micro à l'accueil qui renvoyait les conversations du public dans la salle où s'installaient celles et ceux qui étaient déjà rentrés. Francis était le véritable chef d'orchestre de la bande. J'en étais le directeur et l'organisateur. Bernard se fondait à l'ensemble, prodiguant ses conseils de l'intérieur !

À cette époque la norme midi et la musique assistée par ordinateur n'existaient pas, aucun moyen de tester les partitions avant les répétitions ! On découvrait nos maladresses sur le terrain. À côté des trois mouvements du Grand Jeu dont j'avais composé Le malheur en hommage à Gustav, du Concerto de l'ordre dont nous avions confié les parties à divers membres de l'orchestre, de La lettre (pour mezzo-soprano, violon et orchestre), il y avait Les trois singes qui deviendront plus tard Révolutions, future Face B de l'album Les bons contes font les bons amis. Nous avions également adapté Crimes parfaits (la version électroacoustique initiale est présente sur le CD Machiavel) pour trois petits orchestres, remplaçant le coup de théâtre de la coda enregistré en reportage par un subterfuge qui fit craquer plusieurs spectateurs : Bernard sortit d'une valise un pistolet-mitrailleur et tira une salve vers la salle plongée dans le noir avec des balles à blanc. Il ne rêvait alors que plaies et bosses. Au dernier moment il avait décidé de diriger cette pièce avec des gants blancs, mais à la première tourne de la partition il ne put s'en saisir et toutes les pages s'envolèrent ; je dus les ramasser à quatre pattes pour les lui tendre dans l'ordre. De mon côté je fus pris d'un trac terrible au moment d'une partie soliste au piano et jurai que cela ne se reproduirait jamais. Le vibraphoniste Jacques Marugg me conseilla de prendre du Gelsemium et dès lors mes camarades apprécièrent mon aplomb à la moindre anicroche. Je n'en ai plus besoin, mais ces granules homéopathiques firent leur preuve pendant de nombreuses années !

Pour avoir exhumé 51 minutes d'archives scrupuleusement enfouies, et pour cause, j'ai appelé cet étonnant album Laissés pour compte. Ces pièces écartées complètent astucieusement les trois vinyles du Drame pour grand orchestre dont L'homme à la caméra marqua l'apothéose. La perversion administrative qu'imposaient les subventions de la Direction de la Musique alliée à la direction de cette colonie de vacances me poussèrent à dissoudre cet ensemble où régnait pourtant une joyeuse ambiance. Nous avons eu la chance de composer ensuite des œuvres pour des ensembles plus importants, orchestres d'harmonie, symphoniques ou contemporains, mais aujourd'hui l'évolution technologique me permet d'improviser un orchestre complet au bout des doigts, ce qu'aucun ensemble ne m'offrira jamais. Or le plaisir de la composition instantanée, entendre la réduction maximale du temps entre la composition et l'interprétation, reste pour moi un plaisir inégalé. Cela demande évidemment une préparation minutieuse, d'un côté des connaissances encyclopédiques et de l'autre une anticipation des possibles qui fassent la meilleure place à l'impossible.

vendredi 10 janvier 2014

Supersonic joue Sun Ra


Nos pas de petits cosmonautes luttaient depuis des heures contre les ondulations de chaleur qui nous ramenaient sans cesse vers la terre. Au détour du jardin un énorme tuyau crénelé gonflait le vaisseau où se reposaient une vingtaine de pionniers arrivés d'une planète située par delà l'océan. Ils accueillirent les deux enfants comme si nous étions sortis du livre de Saint-Exupéry, nous racontant des histoires de moutons sauvages ensorcelés par Agnes Moorehead. C'était le prénom de ma sœur. À cette heure de la sieste le ventre de la baleine ressemblait à une arrière cuisine où les uns taillaient leurs anches tandis que les autres rêvaient de mondes où le blues avait la liberté du rêve. Une salve de cuivres sonna le réveil de l'orchestre qui s'ébroua avant qu'apparaisse le Maître. Les costumes brillaient dans la lumière artificielle. Nimrod était notre guide. Alan avait troqué sa basse pour un violon. Pat et John avaient pris les devants. Ils jouèrent pour nous seuls, Philippe Gras prenait des photos (moi aussi !), Yasmina, a black woman (the only one !), avait pris Agnès sous sous aile. Un vent de fraîcheur soufflait des étoiles. Nos routes se croisèrent chaque fois que le soleil d'Égypte faisait son apparition. Un jour enfin, mes avances protocolaires me permettant d'approcher le Maître, je lui posai les questions de ma jeunesse. Ses réponses avaient la forme de nuages interstellaires, de petits jets de vapeur joués à l'envers sans regarder le clavier. Je ne suis pas certain d'avoir compris grand chose, mais j'aurai un jour le même Farfisa. Ses ritournelles me transporteraient depuis ce 3 août 1970 à la Fondation Maeght où nous avions atterri par hasard jusqu'à mon dernier soupir.
Cette semaine j'ai croisé un nouveau vaisseau, galette noire constellée de signes à décrypter sur ma platine. Le disque file à une vitesse Supersonic, sans que l'on sente le temps passer ni le temps passé. La musique de Sun Ra est intemporelle. L'équipage rassemblé par Thomas de Pourquery l'interprète fidèlement en se l'appropriant, captation d'héritage légitime où les chœurs battent le cosmos comme si coulait dans leurs veines un fluide brillant et vital. Peut-être sommes-nous en face d'un pli du temps ? Combien sont-ils ? Arnaud Roulin contrôle les touches noires et blanches, Frederick Galiay et Edward Perraud entretiennent la pulsation, Fabrice Martinez actionne les pistons, Laurent Bardainne et Thomas de Pourquery soufflent leurs fusées à réaction, et tous, d'une seule voix, de reprendre les incantations qui nous font décoller. L'hommage est merveilleux, la liberté du jazz intacte, l'essai transformé, la balle est dans votre camp, commandez Supersonic, ça fait du bien ! (Quark, L'autre disribution)

mardi 7 janvier 2014

Bercé par Harry Nilsson


Depuis quelque temps je me réveille plusieurs fois par nuit, d'abord trois heures après m'être endormi, puis une heure plus tard, enfin chaque heure qui suit si j'arrive à rester au lit. La semaine dernière, après la lecture assidue du livre Rock, Pop, un itinéraire bis en 140 albums essentiels de Philippe Robert (Ed. Le Mot et le Reste), j'ai placé sur la platine en automatique quatre des premiers albums de Harry Nilsson dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Si j'ai glissé illico dans les bras de Morphée comme d'habitude, je me suis laissé bercer pour ne me réveiller que le lendemain matin.
Comment ai-je pu passer à côté de ce chanteur auteur-compositeur que les Beatles adulaient ? Le cousinage est évident tant dans les mélodies que dans les orchestrations dont George Martin était friand, cousines de celles de Van Dyke Parks. Il collabora d'ailleurs avec les quatre Beatles, en particulier John Lennon et Ringo Starr dont il fut très proche, ainsi qu'avec Parks, comme avec Randy Newman, Nick Hopkins, Klaus Voormann, Bobby Keys, Peter Frampton, Chris Spedding, Paul Buckmaster, Keith Moon, Jim Keltner, Leon Russell, Lowell George et tant d'autres. Phil Spector et Brian Wilson en avaient fait également leur chanteur préféré. Sa voix couvrait trois octaves. J'ai fini par reconnaître quantité de morceaux repris par d'autres ou entendus dans les films Skidoo, Head, Midnight Cowboy, Popeye, Me Myself and I, Reservoir Dogs, Forrest Gump, Casino, The Ice Storm, High Fidelity, Punch-Drunk Love, etc. Les afficionados connaissent One (1968), Everybody's Talkin' (1969), Without You (1971) ou Coconut (1972), mais plus que par ces tubes je suis fasciné par l'invention et la cohérence des albums Pandemonium Shadow Show (1967) et Aerial Ballet (1968) qui ne déparent pas Pet Sounds, Sergent Pepper's ou Their Satanic Majesties Request. À se demander sérieusement s'il n'influença pas en retour les uns et les autres ! Dévasté par la mort de Lennon, comme lui issu de la classe ouvrière, il milita contre les armes à feu. Les paroles de ses chansons pouvaient être graves, drôles ou sarcastiques sous une apparence désuète avec des passages off qui rappellent que l'on est en studio, distance brechtienne très années 60. Je suis passé à l'intégrale, un coffret de 17 CD paru récemment chez RCA. Tous ses albums recèlent des pépites, même si la musique se banalise au fil du temps, constante qui a touché presque tous les artistes de cette époque exceptionnelle. En 2010 John Scheinfeld réalisa un biopic typique du genre, Who Is Harry Nilsson (And Why Is Everybody Talkin' About Him?), où l'on apprend son manque de confiance en lui et qu'il évita les concerts toute sa vie. Grand buveur, Nilsson mourut le 15 janvier 1994 d'une attaque cardiaque, c'était il y a vingt ans.

vendredi 3 janvier 2014

Le voyage d'hiver revu par Kouna et Lussier


Depuis Le trésor de la langue, son chef d'œuvre de 1989, je suis avec le plus grand intérêt les activités du Québéquois René Lussier, compagnon de Fred Frith, en particulier dans le célèbre film Step Across The Border. Lussier est le réalisateur du dernier album de Keith Kouna, Le voyage d'hiver d'après Franz Schubert. Ce Winterreise avait déjà inspiré avec bonheur Hans Zender et l'Ensemble Modern en 1993.
Dans un genre radicalement différent les arrangements de Lussier et du pianiste Vincent Gagnon révisent Schubert en proposant une orchestration moderne où l'on est surpris de découvrir l'influence du compositeur autrichien sur des contemporains comme Kurt Weill ou Danny Elfman ! Utilisant un vocabulaire populaire (le texte est le grand gagnant de l'entreprise) Kouna a adapté en français actuel les poèmes de Wilhelm Müller qui inspirèrent les 24 lieder pour piano et voix composés par Franz Schubert un an avant sa mort en 1827. Sa voix rapeuse rappelle étonnamment celle de Serge Hureau ou Marianne Faithfull. Le premier a su réhabiliter les faces B des plus grands chanteurs de variétés en les affublant d'orchestrations inhabituelles, la seconde a donné une nouvelle jeunesse à maints standards en leur rendant leur fragilité ou leur rage. Il aura donc fallu quatre ans de travail pour accoucher de cette incroyable adaptation pour chanteur punk-rock et quinze musiciens qui montre ce que les musiques actuelles doivent au passé. Comme le clamait Bertolt Brecht, il n'existe ni forme ancienne ni forme nouvelle, mais seulement la forme appropriée.
Ambiances Ambiguës propose une version numérique téléchargeable et une version physique en édition limitée, agrémentée d'un livre de 64 pages avec 24 aquarelles et encres sur papier 12x12 de Marie-Pascale Hardy.

jeudi 2 janvier 2014

Mobilisation Générale


De temps en temps je passe au magasin de disques Le Souffle Continu où Théo et Bernard m'orientent vers les nouveautés qui pourraient me plaire. Si j'ai apprécié la planante Schulze-Schickert Session de 1975, les électroacoustiques Couleurs de la nuit de François Bayle de 1982 et le récent Nurse With Wound intitulé Chromanatron, c'est une quatrième antiquité qui m'a le plus réjoui.

Mobilisation Générale est une compilation de protest-jazz réunissant d'excellents morceaux enregistrés entre 1970 et 1976, pour la plupart méconnus. L'ensemble rappelle la musique que jouait l'Art Ensemble of Chicago sur l'incontournable Comme à la radio de Brigitte Fontaine, d'ailleurs ici présente avec Areski sur la seule chanson que je connaissais déjà, C'est normal. Les rythmiques présentent les prémisses de l'Afro-Beat, le free jazz tient du rituel et sonne profondément lyrique. Quant aux paroles elles évoquent une époque radicale où la jeunesse ruait dans les brancards et se retrouvait dans des projets militants laissant espérer des lendemains qui chantent. La réaction a tout fait pour leur donner tort et les faire rentrer dans le rang. La résurrection de ces pépites pourrait donner des idées à la jeunesse actuelle, qu'elle soit trop gâtée ou désespérément démunie. Dans les temps qui s'annoncent, tant iniques que cyniques, la révolte va nécessiter de s'organiser. Pour se construire elle aura besoin de modèles qui lui ont tant fait défaut dans les dernières décennies, libre à elle de ne pas les suivre, ce serait même recommandé pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Car c'est aussi dans l'analyse du passé que peut se construire le futur. Ensuite tout reste à inventer !


La suite concerne les maniaques comme moi qui lisent les notes de pochette.

Faille majeure, le livret vite torché de l'album conçu et réalisé par Julien Digger's Digest & Jb Born Bad Records ne donne pas le nom des musiciens ou rarement. J'ai donc cherché, parfois sans succès, qui étaient les participants à ces formidables instants.
Ainsi pour Je suis un sauvage chanté par Alfred Panou l'Art Ensemble était bien composé de Lester Bowie, Joseph Jarman, Roscoe Mitchell et Malachi Favors.
Attention l'armée est joué par le Collectif Le Temps des Cerises en 1969 avec entre autres Carlos Andreu (vc), Jean-Jacques Avenel (bs), Philippe Castellin (textes), Antoine Cuvelier, Kirjuhel (gt), Denis Levaillant (perc), Robert Lucien, Jacques Mahieux (dms), Jean Méreu (tpt), Guy Oulchen, Super P4, Gérard Tamestit (v), Jean-Pierre Turola, Christian Ville (perc) tandis qu'Atarpop ne serait que l'équipe de graphistes (j'ai d'ailleurs trouvé la Face B sur YouTube, Le moral nécessaire).
Le livret précise tout de même que sur De l'Orient à l'Orion NK Nagati est accompagné du pianiste Siegfried Kessler, mais qui sont les autres ?
Je compte sur mes lecteurs pour compléter les absences et corriger les erreurs. Frédéric Rufin & Raphaël Lecompte interprètent Les éléphants.
J'aurais dû appeler François Tusques pour vérifier qu'en 1973 sur Nous allons vous conter... le Collectif du Temps des Cerises était bien composé de Carlos Andreu (vc), Denis Levaillant (perc), Claude Marre (tuba), Michel Marre (sax, cornet), et peut-être Poc (tb), Manu et Pierre Ferlier, Méreu, Tamestit, Oulchen, Alain Hako, Alain Bruhl, Joël Grasset, Trnaia Munera, Marie Iracane, Jean-Claude Guillet, Boussaba...
Si Nous ouvrirons les casernes est de Mahjun, Daniel Happel (gt) et Jean-Pierre Arnoux (dms) accompagnent-ils Jean-Louis Lefebvre (v, fl, gt, vc) ?
Quant au Full Moon Ensemble dirigé par Claude Delcloo (qui ne fut certainement pas un batteur génial contrairement à ce que raconte le livret, mais c'est lui qui avait les affaires !) il serait composé du guitariste Joseph Déjean qui a composé cette Samba Miaou sur des paroles de Bob Kaufman, Ron Miller (bs), Martine Tourreil (el p), Jef Sicard (fl, a t sax, bs cl), Gérard Coppéré (s t sax, fl) et Sarah (vc, perc).
On peut tout de même lire que le Baroque Jazz Trio était composé du batteur Philippe Combelle, du violoncelliste Jean-Charles Capon et du claveciniste-pianiste Georges Rabol, et que sur Le cri le flûtiste Michel Roques fait équipe avec Capon et le comédien Bachir Touré.
Si Nicole Aubiat chante Hey ! avec la troupe du Chêne Noir de Gérard Gelas qui sont les autres ?
Et qui est avec Béatrice Arnac sur Athéé ou A Té composé par Claude Cagnasso ?
Ces notes de pochette ni faites ni à faire sont frustrantes. Dommage qu'elles ne soient pas à la hauteur de la musique !