70 Musique - avril 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 30 avril 2014

Field recording, l'usage sonore du monde


Pour la prose je savais. Or je faisais du field recording depuis tout ce temps sans le savoir. Le passionnant ouvrage d'Alexandre Galand paru sur la non moins excellente collection Formes de l'éditeur Le Mot et le Reste m'ouvre les yeux sur une pratique naturelle consistant à enregistrer sur le terrain aussi bien les ambiances que la musique. L'usage sonore du monde en 100 albums se réfère évidemment au récit de voyage de Nicolas Bouvier paru en 1963, qui inspira entre autres le cinéaste Stéphane Breton pour sa collection de films ethnographiques. Si les découvertes sont nombreuses parmi trois grandes sections, la captation des sons de la nature, celle des musiques des hommes et les compositions qui s'en emparent, on se perd un peu dans le classement à l'intérieur de chacune.

On peut aussi regretter l'absence d'analyse sur les motivations de tel ou tel compositeur à intégrer des séquences documentaires dans ses fictions, d'autant que c'est la partie la plus faible de l'introduction alors que ces mélanges occupent la majeure partie de l'ouvrage. Quelle raison a chacun de se confronter au monde sonore en dehors d'un contexte musical ? Quelle différence s'exprime entre nature et culture ? La sélection très orientée "musiques du monde" dans la seconde partie et "musique électro-acoustique" dans la troisième (analogie avec le travail solitaire du preneur de son ?) en oublie les rockers et les jazzmen aux motivations fort différentes, tels René Lussier (Le trésor de la langue dressant un pont entre le l'Histoire du Québec et la musique), Frank Zappa (producteur de Wild Man Fisher, artiste de rue schizophrénique), Barney Wilen (Moshi, influence d'un voyage en Afrique, et Auto Jazz - Tragic Destiny Of Lorenzo Bandini, énergie de la course automobile), Colette Magny (Mai 68 avec les reportages de Chris Marker), parmi tant d'autres. Ce n'est pas seulement une question de choix, car l'absence d'articulations historiques qui ont pourtant fait le succès de plusieurs ouvrages de la collection ne nous permet que de picorer ici et là des informations, certes précieuses. Après avoir interrogé le spécialiste des chants d'oiseaux Jean C. Roché, l'ethnomusicologue Bernard Lortat-Jacob et le musicien improvisateur Peter Cusack, Alexandre Galand nous offre néanmoins 100 pistes, autant d'albums pour la plupart méconnus, pour alimenter notre curiosité dans ce domaine ouvert de l'écoute sans frontières.

Chaque parcours est une invitation au voyage. Je me revois en 1966 arpentant le Maroc avec le petit magnétophone portable italien de ma sœur, enregistrant les Gnaouas, les singes magots de la forêt, les médinas de Fès et Marrakech, afin de sonoriser le montage diapo de nos vacances. Trois ans plus tard je capturais le son du Festival d'Amougies, seul témoignage musical aujourd'hui accessible du premier festival de musique pop et jazz européen. J'en profitai pour immortaliser l'ambiance du public, les annonces de Pierre Lattès et les coups de gueule de Mouna. Il me faudra ensuite attendre de rentrer à l'Idhec en 1971 pour développer mes expériences sonores, encouragé par l'enseignement de Michel Fano et Aimé Agnel. L'écoute radiophonique de Luc Ferrari et Barney Wilen au Pop Club de José Artur m'avaient déjà titillé, mais la découverte d'Edgard Varèse grâce à Frank Zappa fut déterminante. Pour simplifier, merci John Cage, toute organisation de sons n'est-elle pas musique dès lors que l'on signifie son début et sa fin ? En 1975, Défense de, mon premier album, intègre des bruitages et l'année suivante Un drame musical instantané branchera le téléphone du studio sur la table de mixage de manière à incorporer les coups de fil reçus pendant nos improvisations ! J'avais pris l'habitude de diffuser des reportages sonores parmi les instruments comme les chiffres du loto dans Rideau ! (1980), On tourne (1981) entièrement enregistré dans une usine de métaux, une partie de chasse dans Ne pas être admiré. Être cru. (1982) et le métro dans L'homme à la caméra (1983) avec le grand orchestre, le haras de Blois pour Les blancs jouent et gagnent (1987) ou le casino de Deauville pour le film L'argent de Marcel L'Herbier (1988), etc. Les saynètes que compose la litanie de mes répondeurs téléphoniques (1977-89), les radiophonies revendiquant leurs social soundscapes (1974-81) ou la Mascarade Machine (2010) transformant le flux hertzien en mélodies n'appartiennent-ils pas tout autant au genre du field recording ? En 1994 j'organisai les bandes rapportées du Haut-Karabagh par Richard Hayon comme un carnet de notes, récit de voyage où ces Musiques du Front se jouaient dans les cimetières, les tranchées et les ruines. J'ai longtemps marché, un micro fiché sur chaque oreille, mais aujourd'hui j'utilise un petit Nagra discret et compact. Sur scène il m'arrive aujourd'hui d'utiliser les samples que Chris Watson a commercialisé pour SonicCouture...

Le field recording devient un décor de théâtre (pré-établi) où se déroule l'action (par exemple, improvisée), sa véracité documentaire permettant aux auditeurs de s'immiscer dans des fictions imaginaires. Plus généralement composer des partitions sonores mêlant bruits, voix et musiques m'a poussé à considérer le field recording comme une composante essentielle de mon travail, et ce dans les trois cas cités par Galand, en enregistrant les bruits de la nature et des activités humaines, en privilégiant parfois des prises de son in situ, en intégrant ces éléments à des compositions hybrides. Même le studio est chez moi un terrain particulier où la vie quotidienne a sa place. L'improvisation y est pour beaucoup. Comme toute organisation sonore est musique, tout enregistrement devient ainsi field recording, pulvérisant les frontières qui séparent le vivant du vécu.

lundi 28 avril 2014

L'Afrique fantôme


Pour celles et ceux pour qui les mots ne suffisent pas, voici une petite séquence vidéographique de notre concert dans le cadre de Jazz à La Java le 14 avril dernier, filmée par Françoise Romand et montée par mes soins. En introduction Edward raconte son cauchemar (6'56)...


Jean-Jacques BIRGÉ - clavier, voix, Tenori-on, trompette
Alexandra GRIMAL - sax ténor et soprano
Antonin-Tri HOANG - clarinette, sax alto, clarinette basse
Fanny LASFARGUES - basse électro-acoustique
Edward PERRAUD - batterie, électronique

vendredi 25 avril 2014

Great Black Music


Comme l'ouvrage Folk et Renouveau, une balade anglo-saxonne qu'il avait cosigné avec Bruno Meillier, le nouveau livre de Philippe Robert consacré à la Great Black Music est un modèle du genre. On peut toujours critiquer les choix de ce parcours en 110 albums essentiels parce qu'il manque tel ou tel disque, la démarche reste exemplaire. Sur les deux pages dévolues à chaque album sont imprimés une reproduction de la pochette et un texte, basique. Mais au travers de la chronologie scrupuleuse s'élabore l'histoire, ici fondamentalement politique, de cette musique revendicatrice. En lisant dans l'ordre le descriptif de chaque album aux styles fort différents se devine en diagonal l'histoire du peuple afro-américain et ses combats. Deux notes en bas de page renforcent l'intelligence de cette modeste encyclopédie : d'abord la chaude recommandation d'autres disques de l'artiste, et plus important, un large éventail d'artistes auxquels il est relié de près ou de loin. Ce faisant, Philippe Robert génère une formidable extension où il nous laisse défricher les pistes signalées ou dans l'autre sens nous permet de vérifier nos affinités en comparant la fiche avec ce que nous connaissions déjà. Il est ainsi possible de lire le récit chronologiquement du début à la fin comme d'aller y picorer des informations en ouvrant à n'importe quelle page.
Je connaissais plutôt bien le blues, le rock, le jazz, le free jazz, le reggae et un peu le rap, mais, relativement ignare pour avoir boudé dans ma jeunesse le rhythm & blues qui était le pré carré des jeunes bourgeois qui ne rêvaient que de s'éclater en surprise-partie, et considérant souvent cette musique sirupeuse et mainstream, je découvre quantité d'artistes qui m'avaient échappé, ou du moins certaines de leurs plus belles réussites qui se bousculent depuis sur ma platine : Elaine Brown, Curtis Mayfield, The Temptations, Demon Fuzz, Alice Coltrane, Ohio Players, Earth Wind & Fire, War, Bobby Womack, Roy Ayers, Cymande, Millie Jackson, Fela Ransome Kuti & Africa 70, Lonnie Liston Smith & The Cosmic Echoes, Chic, Funkadelic, Antipop Consortium, et au dessus de tout Mandrill, Madvillain, Carl Hancock Rux, Meridiem, Percy Howard... Mais je suis loin d'en avoir fait le tour, si bien que je suis décidé maintenant à me plonger dans le premier travail que Philippe Robert publia chez ce même éditeur, Le mot et le reste, intitulé Rock, Pop, un itinéraire bis en 140 albums essentiels, persuadé d'y trouver quelques perles qui m'avaient échappé, puisque le principe de présentation est le même, bien que le classement y était alors alphabétique. Il copie en fait le principe de navigation du Net, sauf qu'imprimés sur du papier les liens hypertexte sont hélas incliquables. Je devrais également commander Musiques expérimentales, une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques même si l'auteur semble avoir honteusement oublié d'y chroniquer l'œuvre considérable d'Un Drame Musical instantané ! But nobody's perfect, et il lui reste encore, comme à chaque lecteur même le plus féru, de nombreux "biscuits pour l'hiver"... Il manque bien Quincy Jones (Back on the Block) et Wyclef Jean (The Carnival) à ce magnifique hommage à la Great Black Music !

jeudi 24 avril 2014

Nous faisions tous le même rêve


Deux constantes en sortant de scène : le concept de jouer les rêves des musiciens ou des spectateurs plaît énormément au public et nombreux me harponnent pour me dire que nous avons un nouvel orchestre. Edward Perraud le premier, qui joue de la batterie dans ce nouveau quintet, me confie sa surprise face à notre synchronicité. Tous les cinq sommes sur la même longueur d'ondes. Ce genre de sensation est flagrant au moment des codas lorsque nous terminons tous ensemble, sans hésiter, à la fin de chaque improvisation. Ensuite il y a l'écoute, travail du timbre, articulations, qui donnent à l'orchestre sa cohésion.
Depuis mes débuts j'ai toujours tendu à ce que nos instantanés sonnent comme des compositions préalables. Les egos s'effacent devant le propos. Suivre un programme, un thème dramatique structurant chaque pièce, canalise les énergies. J'ai l'habitude de revendiquer l'objet au détriment des sujets, l'entendre dans le cadre de la syntaxe d'une phrase indépendante où les musiciens (sujet) interprètent (verbe) une histoire (objet), qu'elle soit narrative, philosophique, abstraite ou purement sensible. Les digressions sont des subordonnées, mais toutes convergent vers la principale. Nous sommes dans la tradition du poème symphonique, genre qui a souvent déplu aux puristes, alors que l'opéra ou la musique de ballet ne les gènent pas. Berlioz, Richard Strauss, Charles Ives en sont de brillants exemples. Un drame musical instantané revendiquait la musique à programme, voire la musique à propos lorsque nous devenions plus conceptuels que narratifs.


Dans un premier temps les musiciens donnent l'exemple. Chacun/e raconte un rêve ou un cauchemar que l'orchestre joue ensuite, s'octroyant une liberté d'interprétation que le rêve suscite. Nous invitons les spectateurs à monter sur scène pour nous conter leurs propres expériences. Nous n'avons que quelques secondes avant de passer à l'action. Les auditeurs ont le loisir de chercher la concordance ou de se laisser bercer par ce que les rêves nous évoquent. La saxophoniste Alexandra Grimal s'est mise à chanter, jouant la comédie en brodant autour du cauchemar d'une spectatrice. Le rêve de la bassiste Fanny Lasfargues dévoile son intimité à la salle où siègent des proches, son réveil confirmant sa victoire dans la vraie vie. Dans la loge le saxophoniste Antonin-Tri Hoang interroge le sommeil profond où naissent les rêves et le moment de s'endormir. Ainsi je comptais les obus dans Sarajevo comme d'autres les moutons, guidant le troupeau dans la ville assiégée.
En nous éloignant de La Java nous faisions tous le même rêve : nous retrouver bientôt...

Photos © Françoise Dupas

mardi 22 avril 2014

Musique(s), la revue de toutes les autres


Pour photographier le premier numéro j'ai retourné la nappe, une idée d'Olivia rapportée du Marché Saint-Pierre. D'un épais tissu d'ameublement elle balaie d'un revers la fadeur du quotidien en rehaussant la cuisine des couleurs du monde entier, de toutes les époques. Le choix de Jeff Mills en couverture n'est pas innocent, son Time Tunnel est emblématique de la démarche des rédacteurs en chef Jérémie Szpirglas et Raphaëlle Tchamitchian soutenus par Jean-Marc Adolphe, l'homme de Mouvement. Là où le bookzine Muziq revendique d'aimer les mêmes musiques que vous la revue Musique(s) explore celles dont on ne parle pas assez. Si la première est nostalgique la seconde s'inscrit dans une perspective de recherche visant l'espace de liberté qui amplifiera la vie sensible. Grand format, beau papier, mise en page soignée, on sait d'emblée avoir à faire à des esthètes. Christophe Hamery en assume la création graphique. C'est léché, parfois trop léché, les plumes trempées dans une encre de qualité semblent souvent sorties de la même veine. Comme une réaction érudite au vite torché de tant de torchons dont la critique culinaire escamote les saveurs. Si les sujets sont proprement abordés on peut imaginer que la passion de l'inédit ou l'indignation du méconnu motivent les écrits. Comme si les rédacteurs y allaient mollo pour ne froisser personne alors que leurs revendications sont légitimes et salutaires !

Car tout y est, et ce qui n'y est pas y sera probablement dans les prochains numéros, quatre pour 25 euros, l'offre de lancement vaut le réveil. Il ne manque que la musique tant l'on aimerait accompagner sa lecture des écoutes suscitées. L'équipe imagine probablement que les curieux qui la lisent sont des malins capables de continuer leur enquête sur le Net, les magasins de disques, les programmes de concerts (les dernières pages abritent un agenda) ou les médiathèques. Le tout est de donner le goût. Guillaume de Machaut (épeler) aime assez à chahuter. Le violoniste du Quatuor Béla déchiffre la partition de Black Angels de George Crumb. Le compositeur Philippe Hurel et l'écrivain Tanguy Viel font glisser l'opéra vers le polar. La comédienne Françoise Lebrun offre le monologue de La maman et la putain à Michel Cloup (Diabologum). La Nouvelle-Orléans groove des années 20 de Cocteau ou Jeanson à la série Tremé. Les crayonnages de Morton Feldman rivalise avec ceux de Cabu. Au détour d'un paragraphe on croise le cinéma de Norman McLaren ou Tango de Zbigniew Rybczyński. Gainsbourg pille Dvořák. On voit toutes sortes d'accents dans cette publication en couleurs. La Sahrawi Aziza Brahim et les Touaregs Tinariwen, les rappeurs Invincible et Waajeed, Roms et Inuits, des mécènes, Claudio Abbado et Chakaraka sont abordés par la vingtaine de têtes chercheuses qui se lancent au gré des 144 pages... Can rue dans les brancards. Rameau et Poulenc sont rappelés de justesse. Yusef Lateef renvoie la balle à Roland Kirk. Mais c'est souvent entre les lignes que l'avenir se dessine. Au détour d'une phrase. Par le biais d'une citation. Si cela part dans tous les sens, c'est tant mieux, les petits ruisseaux font les grandes rivières et tous les océans communiquent. Privilège de la musique, au singulier comme au pluriel.

vendredi 18 avril 2014

Vol en impesanteur et en musique

...
Nous sommes redescendus sur Terre ! 18 minutes 26 secondes sur le plancher des vaches contre 30 fois 25 secondes en état d'impesanteur pour Pierre Senges lors de son vol parabolique à bord de l'Airbus Zéro-G... Il était temps de mettre en ligne la rencontre littéraire et musicale réalisée avec l'écrivain le 23 mars dernier. Une partie de plaisir. Pour Remarques faites (ou subies) la tête en bas j'avais choisi des instruments appropriés au récit de l'expérience, ils se révélèrent symboliquement chroniques. La pomme d'Isaac Newton abrite un de mes plus beaux carillons, les billes qui tournent dans le bendir sont autant de planètes d'un système héliocentrique, mon clavier délivre des sons atmosphériques, les leds du Tenori-on représentent des galaxies lumineuses ou des mouvements gravitationnels, la baudruche n'est rien d'autre qu'un ballon, quant à la trompette à anche et la flûte en PVC repliée sur elle-même elles figurent mon idée de la machine aéronautique !


Comme je m'étais vêtu de ma salopette orange fluo en toile de parachute, l'équipe de l'Observatoire de l'Espace du CNES fournit à Pierre Senges la tenue officielle des vols Zéro-G. Nous avions été précédés des élucubrations de Grand Magasin en contact permanent avec une vraie Madame Fusée, suivis du trio Laborintus interprétant Bonjour comment ça va ? de Luc Ferrari pour clarinette basse, violoncelle et harpe, et d'une conférence hilarante de Frédéric Ferrer sur le sujet extrêmement sérieux de l'avenir limité de notre planète impliquant de trouver une autre où aller nous poser ! Plutôt dans l'après-midi j'avais révisé mon sujet grâce à la présentation du travail de la chorégraphe Kitsou Dubois. Le violoncelliste Didier Petit tenait le rôle de Monsieur Loyal de ce quatrième Festival Sidération dont le thème était cette année "Obsessions et fascinations" tandis que Sonia Cruchon, perchée au fond de la salle, nous immortalisait le temps que durera le système qui nous permet de vous envoyer ces réflexions de l'espace...

mercredi 16 avril 2014

Birgé Hôtel, 1998


Numérisation des archives. Des dizaines de photographies sont publiées au compte-gouttes sur la page FaceBook d'Un Drame Musical Instantané. De nouvelles bandes magnétiques font sans cesse leur apparition sur le site drame.org, déjà 112 heures gratuites en écoute et téléchargement, réparties en 56 albums inédits (voir le catalogue complet).
En 1998 je bénéficiai d'une carte blanche aux Instants Chavirés de Montreuil. Birgé Hôtel était composé le premier soir d'improvisations musicales avec le trompettiste Bernard Vitet, le guitariste Philippe Deschepper et le batteur Steve Arguëlles sur des textes d'Alain Monvoisin. Lui ayant commandé quatre ans auparavant les dialogues de l'exposition Il était une fois la fête foraine, j'avais envie de l'entendre dans un registre littéraire différent de celui des bonimenteurs et des barons de la foire ! C'est aussi un témoignage de la dernière période en public de mon camarade Bernard Vitet. L'année suivante Arguëlles, qui remplaçait au pied levé Jacques Thollot initialement prévu et hospitalisé, participerait à l'album Machiavel avec Benoît Delbecq. J'avais laissé l'enregistrement du 12 mars de côté, car la batterie est sous-mixée, probablement parce qu'elle n'est pas reprise par les micros de la sono. C'eut été dommage. Philippe Deschepper fera ensuite partie de la dernière mouture d'Un Drame Musical Instantané avec Vitet et DJ Nem. Le Drame sera par ailleurs reformé en décembre prochain avec, entre autres, Hélène Sage et Francis Gorgé...
Le lendemain 13 mars c'était au tour d'un duo avec l'écrivain Michel Houellebecq suivi d'un quartet avec le violoniste Jean-François Vrod, de la contrebassiste Hélène Labarrière et du batteur Gérard Siracusa. Je n'ai pas publié la version live de Établissement d'un ciel d'alternance, moins bonne techniquement que le CD enregistré en 1996 avec Houellebecq et publié en 2006, mais la seconde partie, purement instrumentale, est tout à fait passionnante. Je joue rarement avec une section rythmique (relativement) traditionnelle et c'est la seule fois où je collaborai sur scène avec Vrod qui doublait au violon ténor. J'avais demandé à Siracusa d'apporter seulement des instruments de percussion et, têtu, il n'était venu qu'avec sa batterie ! Hélène Labarrière était, avec Agnès Desnos qui s'occupait des lumières, la seule fille de l'équipée, et sa basse fit merveille comme on pouvait s'y attendre. En fin de soirée, Vitet et Michel Houellebecq rejoignirent l'orchestre.
Pour illustrer le projet Birgé Hôtel je me suis souvenu du fabuleux et mythique Hôtel Atlanta à Bangkok dont j'avais pris quelques clichés, conservé dans son jus des années 50, un peu comme moi certains jours ! Deux longues suites et sept autres chambres structurent cet album de 3h15...

lundi 14 avril 2014

L'interprétation des rêves ce soir à La Java


Le chiffre 7 revient trop souvent ? Vous vous souvenez de votre naissance ? Quand avez-vous été poursuivi pour la dernière fois ? Avez-vous peur des lions ? Vous êtes-vous jamais promenés dans un tableau ? Chantez-vous pour vous endormir ? N'avez-vous jamais traversé le miroir ? Les morts reviennent-ils parfois ? Pensez-vous pouvoir remettre le compteur à zéro ? Comment vous débarrasser d'un cauchemar obsédant ? Comptez-vous les moutons ? Comment pouvez-vous vous souvenir d'autant de détails ? Vous ne rêvez jamais ? Si vous désirez tout savoir, ce soir à 20h30 l'orchestre répondra en musique aux questions les plus intimes !
Alexandra Grimal (sax soprano et ténor), Antonin-Tri Hoang (sax alto et clarinette basse), Fanny Lasfargues (basse électro-acoustique), Edward Perraud (batterie et électronique) et moi-même (clavier, Tenori-on, trompette à anche, etc.) improviserons également les rêves de quelques spectateurs !
Une première version de Rêves et cauchemars avait été enregistrée en trio au Triton par Messieurs Birgé, Hoang et Perraud en mars 2013. Un an a passé. Mesdemoiselles Grimal et Lasfargues se joignent à eux pour cette nouvelle aventure dans les méandres de l'inconscient.

Rêves et cauchemars, concert organisé par les Disques Futura et Marge dans le cadre de la programmation mensuelle Jazz à LA JAVA, 105 rue du Faubourg-du-Temple 75010 Paris, 01 42 02 20 52 (Mo Belleville & Goncourt, Bus 46 & 75, Noctilien Belleville, Vélib 116 boulevard de Belleville & 2 rue du Buisson-Saint-Louis) - Entrées : 10 € & 7 € (en montrant la photo de l'évènement, également étudiants, chômeurs, parents ou amis des musiciens programmés, personnes âgées)...

vendredi 11 avril 2014

Brut de répondeur


En 1977 l'usage du répondeur téléphonique était peu répandu en France. Les premiers messages enregistrés sur le répondeur Sanyo rapporté des USA par Luc Barnier montrent comment les interlocuteurs, déstabilisés par la machine, sont dans l'obligation de l'apprivoiser.
L'ensemble, sauvé grâce au système d'enregistrement sur cassettes audio, une en boucle pour les annonces, l'autre de 30 ou 45 minutes pour les messages laissés, constitue un cut-up dramatique d'une force incroyable. En quelques secondes, parfois quelques minutes, la nécessité d'aller à l'essentiel provoque des saynètes documentaires produisant l'effet de la fiction. Certaines sont énigmatiques, d'autres triviales, de temps en temps un concert intime crée une pause...
À se confier seul dans l'urgence face à une machine sans état d'âme émerge la profondeur analytique. Que l'on identifie les voix n'a pas d'importance, sauf pour ceux qui connaissaient les nombreux disparus qui nous manquent cruellement. Le ton de la voix, un silence, un rire forcé, une confidence... Le divan machine. L'usage généralisé ne permettrait plus aujourd'hui une telle franchise. La puissance évocatrice de cette collection fabuleuse de témoignages où les protagonistes sont livrés au miroir de la parole rappelle à la fois les paysages sociaux des radiophonies que je composais dès 1973, les confrontations godardiennes des Histoire(s) du cinéma et mon goût pour les pièces courtes et dramatiques qu'en musique on appelle vulgairement des morceaux. L'album Brut de répondeur est en écoute et téléchargement gratuits.

jeudi 10 avril 2014

Albert Marcœur bricoleur du dimanche


Cela se passe en banlieue ou à la campagne, dans une ferme ou un petit pavillon de province. Albert Marcœur raconte la France profonde des Français moyens avec un sens de l'observation à la Jacques Tati. Tendrement il débusque le cocasse dans le quotidien. Une veste marron à petits carreaux habille son corps voûté de petit retraité. Ses soubresauts quasi parkinsoniens s'évanouissent lorsqu'il rythme une bourrée sur la table qui lui tient lieu de pupitre. Pendant que je me remémore la soirée d'hier organisée au Cirque Électrique, Porte des Lilas, dans le cadre du festival Sonic Protest, j'écoute son premier album sorti en 1974. Je l'avais acheté parce qu'on racontait qu'il était le Frank Zappa français. C'était aussi bête que de comparer Un Drame Musical Instantané avec l'Art Ensemble, les Residents ou John Zorn, mais faute de n'y rien comprendre les marchands ont recours aux comparaisons éclairs. Marcœur faisait rire les copains, ses chansons étaient simples comme bonjour, avec des rythmes marteaux et des mélodies tournevis. Ce mercredi est comme un dimanche. Marcœur est resté fidèle à ses premiers émois comme en amitié. Pour le spectacle intitulé "Si oui, oui. Sinon non." le Quatuor Béla l'entoure avec beaucoup d'affection, enveloppant les chansons parlées d'un délicat nuage de cordes frottées. Peu de quatuors à cordes oseraient faire les chœurs d'un tel farceur, même s'ils le font avec cœur et la retenue qu'impose leur statut classique, costumes gris sur chemises noires. Le spectacle est si léger qu'aucune grossièreté ne saurait déparer l'élégance de l'ensemble. On les aurait vêtus de joggings que le spectacle n'eut pas été différent. La grande classe !


En première partie, L'Œillère (Nicolas Gardrat) gratte sa guitare acoustique barbare comme une mitraillette. Ses accords parallèles rappellent la détermination de Charlemagne Palestine, mais les arpèges claqués nous amènent vers des pauses où les frêles harmoniques forcent les spectateurs du bar au silence. Lui succède le chanteur bruitiste Phil Minton au meilleur de sa forme, attrapant le moindre soupir du public pour le tordre jusqu'au cri, le faire sourire aux anges ou l'enfoncer dans l'enfer. Zapping vocal permanent, borborygmes en phylactères, l'histoire qu'il raconte est de l'ordre de l'abstrait, auto-portrait à la manière de Francis Bacon, aussi incontournable qu'insaisissable. Si la soirée dure quatre heures chaque partie est suffisamment courte pour que j'en arrive presque à oublier la dureté du bois des bancs. Je rentre à pied.

mercredi 9 avril 2014

De la matérialisation des rêves


Rien à voir avec le concert de lundi prochain, même si le titre pourrait le laisser penser...
À 40 ans je pensais que j'aurais pu m'arrêter. Idée présomptueuse, j'avais besoin de me rassurer, de braver le sort, de me prouver que j'étais encore capable de renaître. Nous avions fait la une de grands quotidiens, nous avions été joués à l'Opéra, et l'œuvre du Drame était déjà considérable. J'avais composé plus de 1000 pièces, été lauréat de prix internationaux, rencontré les artistes que j'estimais le plus au monde, j'avais l'impression que ma vie avait été bien remplie, avec raison. Je pouvais tout autant remettre mon titre en jeu et continuer à faire des choses que je ne savais pas faire. Quiconque a suivi un cursus universitaire traditionnel ne peut imaginer le sentiment d'usurpation des autodidactes. Il m'aura fallu encore une quinzaine d'années pour m'en débarrasser, grâce aux générations suivantes qui se fichaient bien du chemin pour apprécier l'aboutissement. Aujourd'hui le bilan pourrait être le même si je n'étais monstrueusement curieux, sentiment que j'ai appelé la nostalgie du futur.
Mais revenons à la photo que Horace prit à notre demande pour illustrer le roman-photo ornant l'intérieur de l'album Rideau ! d'Un Drame Musical Instantané paru en 1980, une sorte de jeu de l'oie ou de Monopoly où Pierre Boulez incarnait à nos yeux le nouvel académisme institutionnel, la musique du pouvoir. Nous avancions en plein fantasme quand, quelques années plus tard, la chorégraphe Karine Saporta nous proposa de composer la partition de Manèges, commande du GRCOP (Groupe de Recherche Chorégraphique de l'Opéra de Paris). La probabilité d'être joués à l'Opéra de Paris était aussi forte que lorsque nous rêvâmes de composer pour un orchestre symphonique et qu'Alain Durel et Yves Prin, qui était alors à la tête du Nouvel Orchestre de Radio France, nous commandèrent La Bourse et la vie ! Les répétitions à l'Opéra nous permirent de visiter le sublime édifice baroque construit par Charles Garnier, certes pas aussi profondément qu'avec l'extraordinaire virtualité de Google qui nous promène du toit jusqu'au lac souterrain avec des vues à 360°, mais suffisamment pour nous faire voyager dans le passé imaginé par tous les trois alors plongés dans les opéras du XXème siècle. De Mélisande à Salomé et Elektra, de Louise à Wozzeck et Lulu, certains fantômes ne cesseront pourtant jamais de me hanter !

lundi 7 avril 2014

Rêves et cauchemars, lundi 14 avril à La Java


J'ai demandé à chaque membre de l'orchestre de raconter deux rêves qui les ont particulièrement marqués. L'orchestre interprétera ensuite librement ces fantaisies ou drames qui en disent long sur notre art tant il est intimement lié à nos vies. La salle historique de La Java se prête merveilleusement à ces retours vertigineux dans le passé qui façonnent notre avenir. Lundi 14 avril à 20 h 30 Alexandra Grimal (sax soprano et ténor), Antonin-Tri Hoang (sax alto et clarinette basse), Fanny Lasfargues (basse électro-acoustique), Edward Perraud (batterie et électronique) et moi-même (clavier et divers) y improviserons également les rêves de quelques spectateurs !

Merci à Gérard Terronès et aux Disques Futura et Marge de nous inviter dans le cadre de sa programmation mensuelle Jazz à la Java, 105 rue du Faubourg-du-Temple 75010 Paris, 01 42 02 20 52 (Mo Belleville & Goncourt, Bus 46 & 75, Noctilien Belleville, Vélib 116 boulevard de Belleville & 2 rue du Buisson-Saint-Louis) - Entrées : 10 € & 7 € - Préventes disponibles sur Digitick & Fnac

BIRGÉ / GRIMAL / HOANG / LASFARGUES / PERRAUD "Rêves et cauchemars"

N.B.: détail d'importance - l'entrée est "gratuite (un petit verre au bar est apprécié) pour tous les musiciens (quels que soient leurs styles et leurs origines), ainsi que pour tous les acteurs du jazz reconnus (médias divers, journalistes spécialisés, organisateurs de concerts, festivals, jazz clubs, producteurs de disques, techniciens...)."
Sinon 7 euros (au lieu de 10) en montrant un des mails ou la photo de l'évènement...
Pour les photographes et vidéastes, Terronès est plus exigeant. Condition : laisser utiliser aux musiciens, à la Java ou lui une photo ou une copie du film... Il se trompe toujours sur l'expression "libre de droits", il s'agit seulement des blogs persos, pas de la donner aux journaux sans qu'ils rétribuent le photographe...

vendredi 4 avril 2014

La musique des archives de la planète


Pourquoi ma photographie d'une bobine de film posée sur la moquette rouge de la chambre rose fait-elle irrémédiablement penser à Méliès ? Il ne suffit pas que le vieil objectif, posé comme si de rien pour camoufler un larcin, rappelle l'obus du Voyage dans la lune. Savoir lire les lignes du dessin transformerait-il n'importe quel cinéphile en cartomancien ? À ce jeu le passé se devine mieux que l'avenir. Les archives révèlent les intentions des explorateurs. L'enregistrement des preuves sont les signes d'un destin prévu de longue date. Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Tiens, j'ai justement proposé de reprendre le titre de Mallarmé pour une éventuelle série de concerts servis sur le plateau de la rentrée. À suivre. L'oracle pourrait livrer ses partitions. Je parle à demi-mot, il faut creuser toujours plus profondément. Plus tard on dira que tout avait été dit.
Le grenier a donc recraché de nouveaux trésors. Cette fois quatre bandes originales de films, réalisés par Jocelyne Leclercq pour la Cinémathèque Albert Kahn, dont j'avais composé la musique entre 1986 et 1990. L'accordéoniste Michèle Buirette a cosigné le premier, Paris 09-31, archives de Paris filmé par les opérateurs Lumière qu'envoyait par le monde le banquier philanthrope. Bunraku, Shōwa Tennō et Deux fêtes au pays des Kami forment un triptyque japonais. Lorsque j'appris que toute l'ambassade serait présente à l'inauguration je craignis tout à coup que mes japonaiseries leur paraissent insultantes. Jocelyne et son compagnon et monteur Robert Weiss m'expliquèrent que mes intentions étaient restées abstraites pour le public japonais. En somme je fus sauvé par mon imagination ! Ma grand-mère m'ayant raconté notre cousinage maurimonastérien avec Albert Kahn je me souviens que Mademoiselle Beausoleil, directrice du Musée où figuraient les archives de la planète, m'appelait l'héritier. La famille ne possédait pas que des philanthropes puisque Marcel Bloch-Dassault créchait sur l'une de ses branches. Nous figurions la pauvre, révélation rassurante pour l'enfant que j'étais déjà.
Ma numérisation quasi systématique des bandes magnétiques en passe de disparition offrit d'autres surprises. Ainsi cette semaine je découvre et mets aussitôt en ligne un dialogue avec Bernard Vitet où nous posions pour France Musique en 1977 les principes d'Un Drame Musical Instantané moins d'un an après sa fondation (index 35). Un trio avec Francis Gorgé et Hélène Sage (index 11), la musique d'un audiovisuel de Michel Séméniako et Marie-Jésus Diaz composée en duo avec Hélène (index 17), le long jingle pour les représentations de L'homme à la caméra à Déjazet sur Radio Nova (index 32), l'annonce de l'émission USA le complot pour France Musique (index 33), le générique de ma série Improvisation Mode d'emploi pour France Culture (index 34) ferment le ban. Cette jolie moisson est couronnée par Les archives de la planète, filmographie partielle de mon apport musical aux inestimables documents cinématographiques conservés à Boulogne-Billancourt puisque j'y œuvrai pendant 20 ans de 1984 à 2004... En écoute et téléchargement gratuits.

mercredi 2 avril 2014

Cristobal Tapia de Veer, l'électro d'Utopia


Chose inhabituelle, après mon article sur la série britannique Utopia, j'ai acquis le CD de la musique composée par Cristobal Tapia de Veer. La partition électro tranche radicalement d'avec ce que les réalisateurs nous infligent le plus souvent, d'un côté un sirop piano et cordes lénifiant, de l'autre des pompes kitchissimes et grandiloquentes. Le contrepied musical humoristique offre la distance nécessaire qu'exige parfois la brutalité de l'action. La mécanique rythmée insiste sur les rouages de la machine infernale du complot. Les sons organiques tranchant avec l'électro popisante du laptop me rappellent le travail de mon camarade Sacha Gattino. Dans le livret on ne sera donc pas surpris que le réalisateur Mac Munden se réfère à Krystof Komeda, Stock Hausen & Walkman, et à Delia Derbyshire sur laquelle il réalisa un documentaire pour la BBC. Il y a en effet des réminiscences de White Noise en plus des drones et des rythmiques de tubo-percussions. Le Chilien émigré à Montréal souffle dans des os humains, tape sur une crotte de rhinocéros et enregistre les cris primaux d'un ami réalisateur lorsqu'il ne programme pas simplement son ordinateur portable. 75 minutes revigorantes !