Le Kronos Quartet n'a jamais chômé à raison d'un album par an depuis 1973 sans compter les enregistrements pour des films et les commandes pour divers compositeurs contemporains. Nombreuses des 800 pièces créées n'ont pour autant jamais été publiées comme celles de Steve Lacy, Tom Waits, Mr Bungle, Einstürzende Neubauten, Frank Zappa ou le spectacle multimédia Sun Rings de Terry Riley. S'ils abordent le répertoire contemporain sans aucune frontière, de Monk et Hendrix à Morton Feldman et Zorn leur énergie rappelle le rock 'n roll, direct et électrique. Cela ne les empêche pas de jouer de la musique médiévale aussi bien que les romantiques allemands et autrichiens avec beaucoup de sensibilité, faisant tomber les barrières entre musiques savantes et populaires. Ainsi ils collaborent avec des compositeurs du monde entier, enregistrent en superposition à des bandes magnétiques ou sur leurs propres playbacks, se jouant même du temps en allant chercher de vieilles cires. Les commandes passées ont permis de révéler quantité de compositeurs traditionnels issus de terroirs peu représentés dans les salons bourgeois occidentaux, du Mexique au Japon, de l'Afrique à l'Afghanistan. Leurs albums sont souvent thématiques, programmes pensés pour faire œuvre par les rencontres étonnantes qu'ils se permettent sans a priori géographique, historique ou stylistique.
Grosse machine étatsunienne aussi subventionnée qu'acclamée, le Kronos publie cette fois un coffret, réédition de 5 CD, Pieces of Africa, Requiem for a Dream, Nuevo, Black Angels avec une nouvelle compilation, A Thousand Thoughts, accessible indépendamment. Y figurent des œuvres enregistrées tout au long de leur longue carrière et qui n'avaient pour la plupart pas trouvé place dans les CD précédents. On notera que les violoncellistes ont la vie plus difficile que les trois autres puisque le quatuor en épuisa trois, tous de grand talent. Ici 15 pièces se succèdent sans autre connexion que de faire le tour du globe terrestre et prétendre à l'inédit. N'y avait-il rien d'autre dans leurs tiroirs qui les empêche de rééditer Blind Willie Johnson, Rahul Kuchh Saaman, Omar Souleyman, Terry Riley ou Astor Piazzolla déjà parus ? C'est un peu gruger les amateurs qui comme moi possèdent la quasi intégralité du Kronos que de prétendre ainsi à la nouveauté sans préciser les doublons. Mais comme leurs cordes sonnent toujours d'enfer, on ferme les yeux et l'on réécoute, piochant au hasard n'importe lequel de leurs disques. Cela vaut mieux que la musique pompier à laquelle le quatuor participe, composée par Clint Mansell pour Noé, dernière kitcherie du réalisateur Darren Aronofsky, qui sort simultanément, et de trois ! Décidément le Kronos semble se moquer du temps qui passe, aventurier fringuant s'appropriant toutes les ressources de la planète...