Il m'a toujours semblé qu'il y avait deux sortes de musique, celle qui s'écoute et celle qui fait danser. Danser sur celle qui s'écoute vous transforme la plupart du temps en hurluberlu ou en cascadeur tandis que l'on peut toujours jouir de la musicalité de l'autre en faisant banquette. Les chansons occupent une frontière qui offre de bouger bras et jambes tout en prêtant attention aux paroles. Si danser est un exutoire formidable permettant d'échapper au quotidien, l'écoute nous plonge plus profondément dans les tréfonds de l'âme humaine. Y aurait-il alors une musique du corps et une musique de l'esprit, un éloge de la fuite quand l'autre exige le recueillement ? Même s'il existe des danses de salon et d'autres de rue, des modes qui passent et des œuvres éternelles, composer interroge le musicien dans son rapport aux musiques que l'on dit savantes ou populaires, et chacune exige un savoir-faire qu'il serait stupide de dénier à leurs champions. Car il est aussi improbable de créer un tube que tout le monde a sur les lèvres qu'un maillon essentiel de l'histoire de la musique ! Dans tous les cas l'avantage d'avoir un succès à son actif est de laisser penser aux commerçants que son auteur est susceptible, un jour, d'accoucher d'un nouveau. La question restante concerne le renouvellement de son inspiration au risque de décevoir son public, soit la sempiternelle répétition de ce qui a plu à ses admirateurs et -trices. Certains ont astucieusement choisi de danser d'un pied sur l'autre, composant des choses qui nourrissent son homme (ou sa femme) simultanément à des expérimentations confinant l'audience à quelques happy few. Succès public ou succès d'estime, le public est censé s'y reconnaître.


Le saxophoniste François Corneloup, qui jouait sur notre ¡Vivan las Utopias! avec Un Drame Musical Instantané, a su diversifier les fronts sur lesquels il se bat, jazzant avec les uns, funkant avec les autres, expérimentant ou folklorisant quand cela lui chante. S'il swingue à mort au baryton lorsqu'il assure la basse d'Ursus Minor, il a choisi le lyrique soprano pour mélodiser dans son groupe de bal, Le Peuple Étincelle, qui rassemble Fabrice Viera (guitares, cavaquinho, chant, porte-voix), Éric Duboscq (guitares basse), Michaël Geyre (accordéon) et Fawzi Berger (zabumba, pandeiro, percussions, appeaux). Formé à l'école de la Compagnie Lubat, il connaît la fête et sait la faire partager à son auditoire, composant un répertoire varié de biguines, rumbas, scottish et polkas qui sentent bon les produits du terroir. Les convives ne s'y trompent pas, tournant et virevoltant sur cette musique de bal jouée par des virtuoses qui en connaissent les ressorts. C'est peut-être l'écueil du disque de ne pouvoir rendre l'euphorie que leurs concerts génèrent, car je me vois mal jouer les dervishes seul dans ma salle à manger à l'écoute de ces ritournelles où la répétition fait plus tourner la tête que les guiboles, escalades tonales qui sentent la sueur et dissipent dans l'allégresse les dernières vapeurs d'alcool.

Le Peuple Étincelle, CD label daquí, 14,99€ (9,99€ en mp3)