Comment évoquer des disques qui m'ont fait passer un bon moment, mais sur lesquels je suis incapable d'écrire ? Mon incompétence me retient d'allonger des superlatifs ou de résumer ma sensibilité sans argumenter. Ce sont souvent des musiques plus classiques que les inventions que je traque inlassablement. Mes goûts me feraient passer à côté d'eux si le postier ne les glissait dans ma boîte aux lettres. Je les appelle les disques de l'après-midi, pas assez bizarres pour l'aube, pas assez intrigants pour que je m'y plonge pendant mon passage au sauna, pas assez dingues pour m'électriser toute la matinée, trop jazz pour les partager avec Françoise pendant la préparation du dîner, mais ils m'accompagnent très agréablement tandis que je regarde mésanges, rouge-gorge, geais, merles s'ébattre dans le jardin lorsque je lève le nez de mon clavier où je tape ces lignes.
Ainsi j'ai savouré Laniakea du pianiste Pierre Bœspflug et du trompettiste René Dagognet, Fines lames du vibraphoniste Renaud Détruit et de l'accordéoniste Florent Sepchat, Be Jazz For Jazz des Madness Tenors qui réunit Lionel Martin, George Garzone avec le pianiste Mario Stantchev, le bassiste Benoit Keller et le batteur Ramón López, et même What if ? du ténor Hugues Mayot avec Jozef Dumoulin aux claviers, Joachim Florent à la basse et Franck Vaillant à la batterie. Les jazz de Bœspflug sautent d'une décennie à une autre sans a priori de style et le son du bugle de Dagognet m'enchante. Mon petit faible pour l'accordéon et le marimba rejoint celui pour les Mikrokosmos de Bartók. C'est la même chose avec les ténors, même si j'apprécie les grands altistes j'ai toujours préféré les instruments en si bémol, du soprano au basse, alors lorsque les ténors se mettent à danser (le nom des Madness Tenors se réfère à un album de Sonny Rollins avec John Coltrane !) je remue seul sur ma chaise, surtout si les envolées lyriques tirent sur le free. L'album de Mayot se rapproche de mes préoccupations familiales, mais il tire trop souvent vers le jazz rock pour me convaincre. Dans les disques que j'écoute je cherche des timbres inédits et des constructions qui m'épatent plutôt que de belles mélodies ou des variations acrobatiques. Il n'empêche que tous ces albums sont d'excellente qualité et raviront les amateurs.
Je suis plus attiré par les ensembles orchestraux que vers les solos, duos ou trios. Sachant que les "critiques" parlent d'eux-mêmes plus que des sujets qu'ils traitent, je reconnais ma sympathie pour la symphonie, les bruits bizarres et les récits évocateurs. Dès que la musique s'échappe d'un genre identifiable elle me harponne, et je m'intéresse à tous, de la chanson française aux variétés internationales, des plus classiques aux plus contemporains, du rock aux musiques du monde, et le jazz en fait partie comme le tango, le blues ou le flamenco. Je n'ai jamais compris pourquoi Cab Calloway me donnait irrésistiblement envie de danser alors que j'aurais plutôt tendance à me cacher quand les autres s'y mettent. Quant à la musique de chambre, il est plus rare que j'y cède. Mes diverses enceintes ne connaissent pourtant pas la taille des salles qu'elles reproduisent...

→ Madness Tenors, Be Jazz For Jazz, CD Cristal Records (en vinyle chez Ouch! Records), sortie le 27 janvier 2017
→ Hugues Mayot, What if ?, CD ONJ Records, dist. L'autre distribution, sortie le 3 février 2017
→ Pierre Bœspflug & René Dagognet, Laniakea, CD Cristal Records, sortie le 3 mars 2017
→ Renaud Détruit & Florent Sepchat, Fines lames, CD Cristal Records, sortie le 10 mars 2017