70 Musique - septembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 26 septembre 2019

Smoking Mouse, euphonium et accordéon


Le duo accordéon-euphonium est une association gonflée, pas seulement par le soufflet et les poumons, mais parce que l'euphonium est un instrument grave, plutôt rare, surtout dans le jazz et en soliste. Aujourd'hui tout est possible. Un saxophone baryton remplace de temps en temps la contrebasse, et ici ce tuba ténor ou un flugabone, instrument à vent qui lui est proche comme du trombone à pistons, mélodise de son timbre velouté. Sur la bonus track, exceptionnellement en re-recording, Anthony Caillet emprunte aussi trompette, bugle et sousaphone tandis que l'accordéoniste Christophe Girard, qui compose presque tous les morceaux, passe aux saxophones alto ou baryton et au trombone. Les ambiances sont variées, tendres ou nerveuses, mais toujours lyriques. On se laisse agréablement porter par les tourneries et les digressions mélodiques...


Smoking Mouse, Terracotta, cd Babil, dist. Inouïes, 15€

mardi 24 septembre 2019

Boucan, ça va déborder


Pourquoi j'écoute toutes sortes de musique à l'affût de l'étincelle qui me donne envie d'écrire ? D'écrire mon article quotidien, certes. Encore que je souhaiterais éviter qu'il se transforme en compilation de chroniques. Je ne suis pas journaliste. C'est une activité militante et solidaire. Écrire, pour moi, c'est d'abord composer. Tant de chemins inexplorés s'offrent encore à mon imagination. Et lorsque j'écris "composer" il s'agit d'abord de rêver à des futurs plus ou moins possibles, parce que j'aime me jeter dans le son comme un plongeur du haut de la plus haute falaise. La dernière fois que j'ai voulu faire le jeune, je me suis néanmoins démis l'épaule ! Compositions instantanées et préalables se revoient la balle. J'enregistre régulièrement des albums avec des improvisateurs et des improvisatrices, sorte de laboratoire où retrouver la passion et l'innocence des premiers temps. Mais dans quelle direction se tourner quand on a l'impression d'avoir tout goûté, du rock aux musiques les plus contemporaines en passant par la chanson, l'orchestre symphonique, le théâtre musical, le jazz, l'improvisation libre, le ciné-concert, les lectures de texte et l'opéra, avec des centaines de camarades, avec des robots, avec mes machines ? Et chaque fois, à mon grand dam, les copains de s'esclaffer «ah, c 'est bien toi !», alors que je cherche sans cesse à me renouveler. C'est pareil pour le blog que je poste quotidiennement sur drame.org et Mediapart. Comment ne pas me répéter après 4243 articles ? J'oublie tout. Le blog me sert de mémoire. Je repars à zéro chaque matin, comme dans le film Un jour sans fin (Groundhog Day), sauf que je rêve que ma journée soit chaque fois différente et que je m'endorme en ayant appris quelque chose...


Tout ce préambule pour en arriver au groupe Boucan. Leur album Déborder est un condensé de rock en colère où la mort rôde en vain dans les mots face à la musique explosant de vitalité. Ils sont trois, c'est souvent un bon nombre pour écrire ensemble. Le contrebassiste Mathias Imbert (ex Imbert Imbert), le guitariste et banjoïste Brunoï Zarn, le trompettiste Piero Pepin s'en donnent à cœur joie pour dynamiter leurs bases. Ils ont fait appel à John Parish, collaborateur de PJ Harvey, pour enregistrer et mixer ce disque qui me donne envie de revenir au rock après mes récentes incartades avec les New-Yorkais de Controlled Bleeding.
Avec le rap c'est le lieu où le quotidien est le plus en adéquation avec ce que vivent les gens, pas seulement le petit réseau intello de Parisiens dont je fais partie. Les paroles y sont souvent plus politiques qu'ailleurs, la musique plus collective en comparaison des chorus interminablement bavards du jazz, mais là comme ailleurs les empêcheurs de tourner en rond échappant au formatage sont ghettoïsés par un système bulldozer, une absence de curiosité envers l'autrement. Pas facile de penser par soi-même et a fortiori de faire abstraction de la conspiration du bruit qui nous assomme à grands coups de répétitions. La pop, comme les médias aux ordres, martèle "Enfoncez-vous bien ça dans la tête !". C'est aussi là où le bât blesse, car échapper au rythme soutenu ou au consensus, c'est risquer l'isolement. N'ayant jamais su sur quel pied danser, j'ai choisi de rêver et réfléchir. Mais les miroirs sont traitres et la tentation est grande de prendre la poudre d'escampette...

Boucan, Déborder, CD, dist. L'autre distribution

lundi 23 septembre 2019

Mike Patton et Jean-Claude Vannier


Corpse Flower, l'album de Mike Patton avec Jean-Claude Vannier, ne plaira pas à tout le monde. Mais quel artiste peut prétendre à l'amour universel ? Pour comprendre ce qui nous touche, il faut souvent remonter à notre enfance et à notre formation culturelle. Tant de mélomanes ne supportent pas le jazz, pire, le free jazz, ou bien le rock, pire, le heavy metal, ou la musique contemporaine, il y a difficilement pire (!), ou les chansons, etc. J'ai la chance de ne faire aucune distinction entre les genres, tant que je suis surpris ou transporté, même s'il y a des formes qui me barbent, mais il suffit d'une exception pour que je sois dans l'incapacité de généraliser...
Après avoir zappé l'intégrale du Top50, affligeant de banalité et de médiocrité (une fois par an cela remet les pendules à l'heure d'aller y jeter une oreille avant de la reprendre rageusement), je suis content d'écouter un disque de chansons, avec celui de Hasse Poulsen la semaine dernière, qui me donne envie de le remettre sur la platine. Comme les artistes que j'aime, Mike Patton change de façon de chanter en fonction des paroles et de la musique, comme des rôles qu'endosserait un comédien, à la manière de David Lynch dans ses propres disques. Jean-Claude Vannier est toujours aussi inventif dans ses orchestrations tout en exploitant la veine de Melody Nelson qui l'a fait connaître comme sur le titre éponyme de l'album. Des cordes très sixties et des chœurs facétieux se mêlent aux guitares électriques. J'ai toujours un petit faible pour ce qui est déjanté comme Cold Sun Warm Beer, Hungry Ghost et A Schoolgirl's Day, plutôt que pour les kitcheries de crooner telles Insolubles ou Pink and Bleue, mais Mike Patton s'en sort très bien et Jean-Claude Vannier retrouve une nouvelle jeunesse.


Sur ce disque en noir et blanc, dont les couleurs renvoient au passé avec les moyens du présent, Mike Patton s'est entouré de musiciens aguerris tels le guitariste Smokey Hormel, le bassiste Justin Meldal-Johnsen et la batteur James Gadson, tandis que Jean-Claude Vannier ne restait pas en reste, proposant le guitariste Denys Lable, le bassiste Bernard Paganotti, le percussionniste Daniel Ciampolini (Vannier a souvent préféré leurs couleurs variées à la batterie), le souffleur multi-instrumentiste Didier Malherbe, le saxophoniste Léonard Le Cloarec et le Bécon Palace String Ensemble. Le tout fait corps, et, par un jeu de va-et-vient à distance, les deux artistes réussissent le pari de chansons pop plutôt barrées, si on peut dire cela de Tom Waits, Nick Drake, Robert Wyatt, Tom Zé, et de ce côté-ci Brigitte Fontaine, Camille, Claire Diterzi, Léopoldine H H, Babx, Orelsan, Michel Musseau, Fantazio, Sylvain Giro ou Gilles Poizat... Je cite des vivants qui me viennent à l'esprit, histoire aussi d'agrandir le cercle, mais il y en a certainement beaucoup d'autres.

→ Mike Patton et Jean-Claude Vannier, Corpse Flower, Ipecac Records, CD ou LP ou Bandcamp

jeudi 19 septembre 2019

Not Married Anymore


Comme le titre est en anglais on peut supposer qu'il n'a rien d'autobiographique en ce qui me concerne. Qu'ils soient professionnels ou amoureux, tous les divorces ne se passent pas aussi bien que les miens. Il suffit d'envisager la rupture au moment de la rencontre. Pas de cynisme, mais rien n'est certain, toute association est susceptible de s'interrompre un jour, ne serait-ce que par la disparition de certains protagonistes. Il me semble aussi que plus le mariage est chargé symboliquement, plus le divorce éventuel sera complexe. Les jeunes couples qui dépensent des fortunes pour marquer le coup n'auront souvent pas fini de payer les dettes contractées à cette occasion avant de se séparer ! Pour ma part je me suis marié deux fois le plus simplement du monde, sans aucun tralala, j'ai vécu dix et quinze ans de bonheur, et nous avons chaque fois divorcé à l'amiable, ce qui n'empêche évidemment pas la douleur de la rupture. Le mariage n'a rien à voir avec l'amour. Il s'agit seulement du regard de la société ou de se conformer à une loi facilitant ou pas le modèle familial. Je reste en bons termes avec presque toutes mes ex comme je l'écrivais il y a peu. Ce n'est hélas pas le lot de tout le monde. Au moins une fois j'ai vécu un enfer. Beaucoup s'entredéchirent, se font payer le déficit des années antérieures ou exhument les cadavres entassés dans les placards.
Hasse Poulsen semble avoir morfler un max ! Les années difficiles qu'il a passées avant de retrouver son indépendance lui auront au moins offert d'écrire un beau disque, certes amer, mais diablement prenant. Délivré du quotidien, au moment d'enregistrer les textes et la musique il ne l'était pas encore dans sa tête ou son cœur. Il est si douloureux d'accepter l'échec lorsqu'on s'est accroché à des futurs paraissant accessibles. Les lignes de fuite nous échappent, les parallèles finissant pas s'écarter à l'infini. Les paroles de ces 15 chansons sont terriblement justes et leur musique abstraitement bluesy. Combien de jours et combien de nuits à les ruminer avant d'accepter l'inéluctabilité de la rupture ? Il aura fallu beaucoup d'amour, de déceptions, de tentatives infructueuses pour s'y résigner. S'accompagnant seulement à la guitare, épaulé par le contrebassiste Henrik S. Simonsen, le batteur Tim Lutte et l'ingénieur du son Gilles Olivesi, le guitariste danois signe un album magnifique, digne des grands songwriters américains. Précisons que le Danois a une mère anglaise. Sur les photos de Denis Rouvre, Hasse Poulsen reste stoïque malgré le lait jeté à sa figure. Si celui-ci ne l'est déjà, on peut lui souhaiter que le prochain opus soit celui d'une renaissance, parce que la vie est faite de hauts et de bas, alternance de bonnes et mauvaises nouvelles, une course d'obstacles qui, au fur et à mesure que l'on avance, peut devenir de plus en plus facile à sauter, à moins de s'enfoncer dans le passé. Dans tous ses projets, y compris la collaboration que nous avons partagée sur La révolte des carrés avec Wassim Halal, Hasse Poulsen va de l'avant, remettant sans cesse son titre en jeu, car il n'est pire risque que de n'en prendre aucun.

→ Hasse Poulsen, Not Married Anymore, Das Kapital Records, dist. L'autre distribution, sortie le 18 octobre
→ concert du trio le 19 octobre au Triton, Les Lilas

mercredi 18 septembre 2019

Django par le Trio de Théo Ceccaldi


Cette rentrée sera définitivement marquée par les archets. Après l'Unis-Vers de Mathias Lévy, le nouveau Balanescu Quartet où Alexander joue en re-recording des deux violons et de l'alto, et Terry Riley par le Kronos, paraît un nouvel opus du prolifique violoniste Théo Ceccaldi que l'on retrouve également dans le nouveau CD du palpitant trio Daniel Erdmann's Velvet Revolution et avec qÖÖlp où figure aussi son frère Valentin Ceccaldi au violoncelle. Voici donc Théo, Valentin et le guitariste Guillaume Aknine céder à la mode du jazz musette, sauf qu'évidemment ces trois histrions se font un devoir d'honorer autant qu'ils dépoussièrent avec une fougue aussi lyrique que rythmique. Derrière la virtuosité se cache un nouveau romantisme. Alors ça swingue et ça rock, ça casse et ça recolle, ça prend son temps ou la tangente, ça s'accélère et ça revient au bercail comme si la musique était de toujours.


S'ils seront bientôt à Lyon, Eymet, Marseille, j'ignore quand ils seront à Paris. Je reproduis ci-dessus le lien vers l'un de leurs concerts, au festival Jazz sous les Pommiers au printemps dernier.

→ Théo Ceccaldi Trio, Django, Brouhaha, dist. L'autre distribution, sortie le 18 octobre 2019

lundi 16 septembre 2019

Mes premiers chants apaisants


Mes premiers chants apaisants, le nouveau livre-disque de Martina A. Catella est tombé à point. Ayant la garde de mon petit-fils pendant un long week-end, toutes les ressources étaient bonnes pour passer avec succès cette étape. Il n'avait encore jamais dormi à la maison sans ses parents. Comme il est très gentil d'habitude, il n'y avait aucune raison que cela se passe mal avec son "papou". J'ai le dos en compote et les genoux douloureux à force de monter les escaliers en le portant, mais ce fut une partie de plaisir. Il possédait déjà quantité de jouets musicaux et de livres-disques ou avec des boutons sonores dont le rock de Paco ou Mes premières comptines du monde qui l'enthousiasment, de répétition en répétition. Comme pour le précédent album illustré par Vinciane Schleef, le nouveau contient un CD avec les dessins de Raphaëlle Michaud et surtout 15 chansons du monde, plus 8 extraits accessibles en poussant des petits boutons en plastique. Comme il a 18 mois, appuyer dessus est évidemment ce qui lui plaît le plus, alors que je préfère m'allonger pour écouter le disque, et franchement je l'ai bien mérité...
Mes premiers chants apaisants plaira donc autant aux adultes qu'aux petits. Martina Catella a formé nombreux chanteurs et chanteuses au sein des Glotte-Trotters dont elle est la directrice artistique et pédagogique. Ma fille Elsa a, entre autres, profité de son formidable enseignement. Vous seriez surpris de connaître le nom de ses élèves ! Pour ce second recueil elle a encore choisi des chanteuses différentes pour chaque coin du monde. Carine Henry pour la France (Béarn) avec Chloé Breillot (également pour le Vénézuela), Anaïs Athané ou Tamara Pavan pour l'Italie, Solea Garcia Fons et Étoile Méchali pour la Lituanie, Thanh Huong pour le Vietnam, Hacer Gülay Toruk pour le Kurdistan turc, Alexandra Grimal pour l'Inde, Nuria Rovira Salat pour la Russie, Cathy Gringelli pour la Géorgie, Camille Ablard pour la Corse, Aya El Dika pour le Liban, Xanthoula Dakovanou pour la Grèce. Elle ouvre le disque au piano avec la Première Gymnopédie d'Erik Satie et Jean-Jacques Fauthoux qui chante, enregistre et arrange nombreuses de ces pièces. Les musiciens David Babin (Babx), Gregory Dargent, Xuân Vinh Phuoc, Rusan Filiztek, Henri Tournier, Ninon Valder, Issa Murad et quelques autres sont aussi de la partie. En plus d'être un bel objet, c'est envoûtant, extrêmement reposant, et nous voyageons ainsi, allongés sur un tapis volant !

→ Martina A. Cattela, Mes premiers chants apaisants, Editions Auzou, coll. Mes premiers livres à écouter, 16,95€

lundi 9 septembre 2019

Le Kronos dans l'orbite de Riley


J'adore le mélange des voix parlées, des bruits et de la musique depuis tout petit. J'écoutais des 33 tours où étaient enregistrées des histoires mises en sons comme La Marque Jaune, Buffalo Bill, 20 000 lieues sous les mers, des Tintin, des polars qui faisaient terriblement peur, mais aussi la Musique tachiste de Michel Magne ou Miss Téléphone. Comme nous avons déménagé en 1958, je peux dater que c'était avant mes 6 ans. Pour mon travail musical et sonore je me suis inconsciemment inspiré de ces premières écoutes. Alors je jubile lorsque je découvre des œuvres qui me rappellent le concept de partition sonore cher à Michel Fano ou qui intègrent des sons non instrumentaux.


Le nouvel album du Kronos Quartet est de ceux-là. Voilà 30 ans que Terry Riley écrit régulièrement pour eux. Pour Sun Rings (2002) il intègre des sons de l'espace recueillis par le physicien Donald A. Gurnett pour la NASA, grâce à la sonde Voyager à proximité de Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. David Dvorin les a échantillonnés et transformés pour qu'ils se mêlent aux cordes de David Harrington, John Sherba, Hank Dutt, Sunny Yang et au chœur Volti dirigé par Robert Geary. Comme avec Sunrise of the Planetary Dream Collector (1980-1984) dont Cadenza on the Night Plain, et Salome Dances for Peace (1989), Requiem for Adam (2001), The Cusp of Magic (2008), cette collaboration est toujours aussi magique. J'écoute Terry Riley depuis 1968 et le Kronos depuis 1985, et je ne me lasse ni de l'un ni des autres !
L’idée commune selon laquelle l’espace est totalement silencieux, en l’absence d’air pour propager le son, semble inexacte. Les ondes de plasma de la magnétosphère, puis celles du médium interstellaire au delà du vent solaire, ont inspiré le compositeur. C'est une musique de la nature qui va chercher loin dans notre histoire, même si j'ignore vers où me tourner, entre hier et demain. L'histoire et la géographie s'y confondent. Lorsqu'intervient le chœur, on plane déjà très haut. La suite des dix spacescapes se termine avec le commentaire de l'astronaute Eugene Cernan admirant la Terre depuis l'espace et l'écrivaine Alice Walker répétant "One Earth, one people, one love." On peut toujours rêver. Je refais le voyage plusieurs fois dans la journée. Décidément, après le disque de Mathias Lévy et celui d'Alexander Balanescu ces jours-ci auront été marqués par les archets. Ils décochent des flèches qui font mouche à tout coup, nous perçant le cœur et nous envoyant dans les cordes.

→ Terry Riley par le Kronos Quartet, Sun Rings, CD NonesuchVariete, 16,99€

mercredi 4 septembre 2019

Balanescu, retour aux sources


Bucarest était l'endroit idéal pour dégotter le nouvel album du Quatuor Balanescu intitulé Balanescu ou Music by Alexander Balanescu. L'information est inexacte, car l'album s'ouvre sur la Rhapsodie roumaine n°1 de George Enescu et qu'Alexander Balanescu joue en rerecording des deux violons et de l'alto, le violoncelle étant entre les mains de Nicholas Holland ! Tout le disque est un retour aux sources du violoniste et compositeur roumain né à Bucarest. C'est le dernier volet de sa trilogie roumaine après Luminitza (1994) et Maria T. (2005).
Lorsque j'habitais en face du Père Lachaise, je passais de temps en temps devant la tombe d'Enescu, pas très loin de celle de Georges Bizet. Sa Rhapsodie est probablement son œuvre la plus célèbre. Elle inspire à Balanescu une variation très personnelle, Transrapsodia. Figure aussi SoulEtude, une pièce autobiographique tout aussi enthousiasmante dont le sujet est l'exil, de ses souvenirs d'enfance à son voyage autour du monde et de lui-même. J'achète tout ce que je trouve du Balanescu Quartet comme du Kronos Quartet (vient d'ailleurs de paraître Sun Rings de Terry Riley !). L'un et l'autre quatuor ont une façon très rock d'appréhender la musique classique. Mais les disques du Balanescu, plus romantique, sont beaucoup plus rares !
C'est son quatuor qui interprète notre Sniper Allée sur l'album collectif Sarajevo Suite dont je fus le directeur artistique en 1994. C'est lui aussi qui accompagne Dee Dee Bridgewater sur la Prière de Sarajevo que nous avions composée avec Bernard Vitet sur un poème d'Abdulah Sidran. Je regrette seulement qu'Alexander ait conservé les partitions originales de ces deux quatuors que je ne retrouve pas pour les faire rejouer. Il existe une version live de Sniper Allée sur YouTube.
Son nouveau CD est, une fois de plus, étourdissant !

→ Balanescu Quartet, Balanescu, Universal Music Romania (2019)

lundi 2 septembre 2019

L'Unis Vers de Mathias Lévy


Mathias Lévy a plus d'une corde à son archet. La première est la sensibilité ou la finesse du jeu. Pas de notes en trop ni de bavardage comme chez tant de violonistes et musiciens de jazz. La seconde est la variété. Où qu'il soit il se transforme en caméléon sans perdre sa voix. Lorsque je l'ai entendu alors qu'il accompagnait la bandonéoniste Louise Jallu, mes oreilles n'ont fait qu'un tour. La troisième est son inventivité. Il suffit d'écouter le trio que nous avons formé en mai dernier avec la contrebassiste et chanteuse Élise Dabrowski pour l'album Questions. Mathias Lévy était venu me voir pour participer à l'un des laboratoires que j'ai inaugurés il y a déjà dix ans avec les improvisateurs les plus ouverts et les plus imaginatifs de la scène actuelle. Il m'a demandé de trafiquer électroniquement son jeu en direct aussi bien qu'il s'est saisi de mon saxophone alto ou de mon venova. Il doit sa soif d'apprendre sans cesse à son parfait placement dans le temps. L'équilibre entre le passé qu'il assume remarquablement, on l'aura apprécié avec ses deux superbes albums précédents Revisting Grappelli et Bartók Impressions, et un avenir façonné par son insatiable curiosité ne nous permet pas de savoir quel chemin il empruntera la prochaine fois...


Que dire alors de son nouvel album intitulé Unis Vers ? Qu'il porte bien son nom. D'abord, parce que son trio avec le contrebassiste Jean-Philippe Viret et le guitariste Sébastien Giniaux est un vrai groupe, ensemble solidaire qui interprétait déjà le surprenant Revisiting Grappelli. Les deux invités de marque, le violoncelliste Vincent Segal et l'accordéoniste Vincent Peirani s'y fondent excellemment pour cette traversée vers... Ensuite, cet univers est rempli de tendresse et de joie de vivre, de vivre la musique en oubliant tout le reste. Pas totalement non plus, puisque la Philharmonie de Paris lui a prêté le violon de Stéphane Grappelli pour cet enregistrement merveilleux. C'est le principe de la collection Stradivari, prêter des instruments historiques du Musée de la Musique, pour que le patrimoine se conjugue au futur. Mathias Lévy lui fait honneur tout en s'affranchissant des clichés, pétrissant cette pâte pour créer quelque chose d'inattendu, comme chaque fois.

→ Mathias Lévy, Unis Vers, Harmonia Mundi, dist. Pias, 17,99€
Concert le 17 décembre à la Cité de la Musique