Alors que la guerre a repris au Haut-Karabagh, enclave arménienne en territoire azéri, je constate que le CD Haut-Karabagh, Musiques du front, paru chez Silex en 1995 et dont j'avais assuré la direction artistique, n'est plus disponible depuis fort longtemps. Récupéré par Auvidis, lui-même racheté en 1999 par Naïve qui à son tour en 2017 tombe dans l'escarcelle de Believe, le disque comme toute la formidable collection de musiques du monde Silex (ainsi que la collection non moins extraordinaire Zéro de Conduite) finira au pilon à l'orée du nouveau siècle. Cette constatation me désole, d'autant que le field recording de l'ingénieur du son Richard Hayon est exceptionnel et que je suis très fier du montage que j'en ai réalisé alors.
Le Haut-Karabagh est un territoire arménien attribué à l'Azerbaïdjan en 1921 par l'Union Soviétique. Relié à l'Arménie au sud-ouest par le corridor de Latchine, il a toujours été la proie d'invasions : arabes, turque, mongole, turkmène, persane et russe. Depuis le début du siècle, le Haut-Karabagh, dans un rapport de force de 1 contre 10, est en situation d'autodéfense face a l'Azerbaïdjan. Toutes les propositions pacifistes faites aux Azéris par l'Arménie pour l'indépendance du Karabagh se sont toujours soldées par la violence et des massacres. Après la dissolution en 1989 du bloc soviétique, le Haut-Karabagh s'auto-proclame République en septembre 1991. Depuis, c'est l'inévitable escalade d'une guerre de principes pour les uns et de survie pour les autres.
J'avais rencontré Richard Hayon à Sarajevo pendant le siège. Il avait auparavant enregistré au Haut-Karabagh musiques et vie quotidienne en direct sous les bombes, dans les tranchées et les ruines. Je lui avais demandé d'écrire à la main les notes de pochette comme le journal de bord de son aventure où il avait rencontré le célèbre Commandant Avo tué sur le front d'Aghdam en juin 1993. Des cartes manuscrites et des photos illustrent les 24 pages de ses descriptions. Silvio Soave avait mixé ce disque qui représente pour moi une de mes plus belles réussites dans ce domaine, après l'album collectif Sarajevo Suite la même année. Juste après le siège de la ville martyre, les Bosniaques, plutôt liés aux musulmans de Turquie, n'avaient pas compris que je prenne la défense d'orthodoxes, les Arméniens. Les Justes n'étant pas toujours les mêmes, j'ai choisi de toujours prendre parti pour les opprimés, que ce soit en Palestine ou dans mon propre pays.
Vous pourrez donc écouter ici les 21 index de ce disque qui, à ma connaissance, est le seul à avoir été enregistré au Haut-Karabagh. Au delà de son intérêt musical, ce CD présente un témoignage historique. Il s'ouvre sur les pleurs d'une femme sur la tombe de son fils au cimetière de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh. Ce Jour des Morts, un violoniste accompagne son chant de douleur et de chagrin. C'est un disque poignant. Comme dans tous les films qui racontent le génocide dont ils furent victimes, les Arméniens n'en finissent jamais de pleurer.