70 Musique - mars 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 27 mars 2021

Couleurs du monde sur France Musique


En podcast sur France Musique, Françoise Degeorges me consacre son émission hebdomadaire Couleurs du Monde. La publication du CD Perspectives du XXIIe siècle, produit par le Musée d'Ethnographie de Genève, en est évidemment l'une des raisons principales. La productrice est récemment venue m'interviewer au Studio GRRR avec le réalisateur Pierre Willer qui tenait la perche. Je n'ai pas rencontré leur collaboratrice Floriane Esnault et j'ignorais tout du montage final, mais sur le site de France Musique est publiée la liste des extraits musicaux, avec une petite biographie, soit :

Les Années 1950 (CD Le Centenaire de JJB)
Improvisation sur les couleurs du monde (je ne me souvenais plus du tout de ce que j'avais bricolé lors de ma démonstration !)
Les Années 1960 - avec Hervé Legeay, Vincent Segal, Cyril Atef (CD Le Centenaire de JJB)
Les Années 2040 - avec Antonin-Tri Hoang (CD Le Centenaire de JJB)
Acceptez un conseil - avec Linda Edsjö (CD Pique-nique au labo)
Bolet Meuble - avec Francis Gorgé (LP Avant Toute)
Radio Silence - avec Bernard Vitet (CD Carton)
Nabaz'mob - l'opéra pour 100 lapins communicants réalisé avec Antoine Schmitt
Prise de contact - avec Antonin-Tri Hoang, Vincent Segal (CD Pique-nique au labo)
Musette (CD L'homme à la caméra/La glace à trois faces avec le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, solistes : Patrice Petitdidier, Bruno Girard)
M'enfin - avec Francis Gorgé, Bernard Vitet (LP/CD Rideau !)
Les Jambes - avec 17 voix du monde (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Berceuse ionique - avec Jean-François Vrod, Sylvain Lemêtre (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Aksak Tripalium - avec Nicolas Chedmail, Antonin-Tri Hoang, Sylvain Lemêtre (CD Perspectives du XXIIe siècle)
Amore 529 - avec Brigitte Fontaine, Bernard Vitet (CD Opération Blow Up)
Tapis volant - avec Alexandra Grimal (CD Pique-nique au labo)

L'émission est disponible en podcast pendant 3 ans.

vendredi 26 mars 2021

Pique-nique au labo sur Audion


Un article sympa sur le numéro d'avril de la revue anglaise Audion à propos de mon double CD Pique-nique au labo !
"Jean-Jacques Birgé a longtemps été un talent de premier plan sur la scène underground française. Au début des années 1970, il s'est fait connaître comme un maître du synthétiseur ARP 2600, d'abord en tant que membre éphémère de Lard Free avant de créer le phénoménal Birgé Gorgé Shiroc. Puis, après avoir côtoyé des musiciens de jazz et d'avant-garde plus "sérieux", il a changé de cap, s'aventurant davantage dans l'art sonore et la musique contemporaine, et en tant que membre d'Un Drame Musical Instantané. Plusieurs décennies plus tard, PIQUE-NIQUE AU LABO est son nouvel album "solo", ou devrais-je dire, son album en tant que chef de projet. En effet, ce double disque présente Monsieur Birgé en collaboration avec 28 autres musiciens sur une période de dix ans. Il ne s'agit donc pas vraiment d'un solo au sens normal du terme. Il joue d'une grande variété d'instruments, pour la plupart électroniques, généralement opposés à des instruments acoustiques. Par exemple, dans Improvisation 2 qui ouvre l'album, il joue avec l'étrange jouet japonais Tenori-on, échantillonnant la voix d'Elsa Birgé face aux riches sonorités du violoncelliste Vincent Segal. Il y a beaucoup de surprises de ce genre tout au long des 22 pistes de l'album, et parfois on a du mal à faire coïncider les instruments annoncés avec ce que l'on entend. Parmi les joyaux, citons Sous Surveillance, une rencontre entre l'électroacoustique, les bruits et la basse, faisant penser à Xenakis ou aux débuts de Dumitrescu. Cou, avec des blocs de son épais et des percussions inversées. Balance, une collision folle de tambours, d'instruments divers et d'électronique. Il y a aussi beaucoup de choses extrêmement chaotiques et noisy, et des choses où même moi, je devrais être dans le bon mood pour les apprécier. En somme, avec une telle diversité et une telle invention, il montre qu'il n'a jamais perdu son sens de l'aventure et que très peu d'albums sont plus expérimentaux que celui-ci !"
Alan Freeman

Odeia chante la Commune


J'étais persuadé avoir écrit un article sur cette chanson bouleversante, mais n'en ai nulle part trouvé trace. J'ignore comment Michèle Buirette était tombée sur Plainte qu'elle chantait avec notre fille Elsa et sa camarade Galilée lorsqu'elles étaient petites en les accompagnant à l'accordéon. "J'ai vu sous ma fenêtre égorger nos voisins, j'ai appris à connaître le temps des assassins...". Nous pensions que Prévert en était l'auteur, or s'il s'agissait en fait de Henri Bassis, la musique était bien de Joseph Kosma. Chaque fois qu'Elsa la reprenait j'avais les poils qui se hérissaient sur les bras. Il y a aussi des chansons qui vous font pleurer, comme Barbara que j'ai réécoutée hier, une des plus belles constructions dramatiques que je connaisse, sur une musique du même Kosma. Lorsqu'Elsa reprit Plainte avec le groupe Odeia, j'étais aux anges...


Pour le 150e anniversaire de la Commune, je ne pouvais me priver du plaisir de l'entendre. Elle figure sur leur dernier disque intitulé Parlami. Le quatuor, formé avec le violoniste Lucien Alfonso, le violoncelliste Karsten Hochapfel (ici à la guitare portugaise) et le contrebassiste Pierre-Yves Le Jeune, n'en a encore jamais enregistré de vidéo, mais j'en avais capturé un petit extrait lors d'un concert en appartement qui complète merveilleusement la version du disque (ci-dessus). De nos jours on ferait bien de multiplier ce genre d'évènement !


J'ai fini par retrouver l'origine de cette chanson. Elle figure sur un 33 tours intitulé "À l’assaut du ciel, La Commune de Paris, chronique en 7 tableaux". C'était il y a 50 ans. Sur l'enregistrement du spectacle joué par l’Ensemble Populaire de Paris (de chants et de danses de l’Union Régionale des Syndicats CGT) à l'occasion du centenaire de la Commune figurait Plainte chantée par Liliane Balay accompagnée par Michel Kus. Un disque Chant du Monde évidemment. Mais c'est la version d'Elsa et Odeia qui m'emporte...

mercredi 24 mars 2021

L'Alba À principiu


Combien de fois ai-je remis À principiu de L'Alba sur la platine sans être capable d'écrire un mot ? Tout de suite senti l'accroche. De quel coin du monde arrivait ce petit objet rond dans sa pochette promo quasi anonyme ? Je déteste cet entre-deux que la photocopie qui l'accompagne n'éclaire qu'en la relisant plusieurs fois parce que les informations y sont noyées dans le laïus d'un pigiste bien obligé d'arrondir ses fins de mois. Il manque le véritable objet qui justifie l'achat plutôt que de se contenter de son fantôme dématérialisé, avec le livret, les paroles parfois, etc. Là c'est vraiment nul, même la vidéo avec entretiens et extraits a disparu pendant que j'écrivais mon petit compte-rendu. Et puis de toute manière je préfère toujours me reporter aux auteurs plutôt qu'à leurs thuriféraires. Jean-André Fieschi m'avait bien appris qu'il vaut toujours mieux lire un livre de Jean Renoir qu'un livre sur lui. Il y a bien celui, magnifique, sur son père Pierre-Auguste, mais c'est une autre histoire.
Ici on peut d'abord penser à l'Inde, à la Roumanie, je raconte n'importe quoi, y connaissant si peu. En 1975 je jouai pourtant de la guimbarde sur un 33 tours des Fédérations de la Corse du PCF à la demande de mon maître, originaire de Bastelicaccia. On comprend évidemment vite qu'ils sont corses. C'est qu'ils ont de sacrées belles voix. Qui cela ? Comment savoir ? J'épluche la page, ravi par l'écoute. L'orchestre est du niveau. C'est rudement bien. Les chants polyphoniques révèlent l'évidence. Les guitares électriques se mêlent aux instruments traditionnels du pourtour de la Méditerranée... Ghjuvanfrancescu Mattei à la guitare, Éric Ferrari à la basse, Ceccè Guironnet aux instruments à vent, Sébastien Lafarge à l'harmonium, et puis aussi Laurent Barbolosi au violon, Fanou Toracinta et Antoine Chauvy à la guitare, Petrughjuvani Mattei qui chante avec presque tous les autres, Dédé Tomaso... Je glane les infos sur la Toile...


Invités, le percussionniste Mokhtar Samba souligne ce voyage autour de Mare Nostrum, ou encore le guitariste zimbabwéen Louis Mlhanga, sur la onzième et dernière chanson, montre que L'Alba s'enfonce désormais dans les terres ensoleillées. Comme j'ai du mal à me repérer au milieu de ce fouillis de lignes, j'abandonne l'idée de comprendre qui est qui, qui joue quoi et où, je m'abandonne et je remets ça. Juste la musique. Le chant. Une histoire entre hier et aujourd'hui, entre ici et là-bas, toujours plus loin. La musique est espéranto.

→ L'Alba, À principiu, CD Buda Musique, dist. Socadisc, 15€

vendredi 19 mars 2021

L'air de rien - avec Élise Caron et Fidel Fourneyron


Entre cet album enregistré le 11 mars avec la chanteuse Élise Caron et le trombone Fidel Fourneyron et celui réalisé deux jours plus tôt avec la flûtiste Naïssam Jalal et le violoniste Mathias Lévy, c'est le jour et la nuit. Tout abus sera puni est une œuvre réveillée et pleine d'entrain, alors que L'air de rien est une évocation sombre et nocturne. Faux miroir l'un de l'autre, ils n'ont de commun que ma présence et le dispositif, tirage aléatoire des thèmes joués au fur et à mesure de la journée. Et puis, si la chanteuse joue de la flûte, la flûtiste chante à son tour. Ou encore, le tromboniste comme le violoniste travaillent le timbre de leur instrument, pervertissant parfois le son "naturel". L'air de rien m'apparaît comme un album noir, plongée dans les profondeurs de l'âme humaine, alors que mes compagnons comme moi-même avons l'habitude de fantaisies sonores primesautières. Peut-être que le climat général de la "crise" sanitaire déteignait sur nous ce jour-là. Il pleuvait. Cela ne nous a pas empêchés de nous amuser comme des gamins...


Élise Caron est tombée amoureuse de l'un de mes synthés-jouets chinois. J'en ai toute une panoplie acquise il y a quinze ans chez Tati Barbès. Chacun ne coûtait qu'une quinzaine ou une vingtaine d'euros. Ils sont tous composés d'une partie séquenceur pré-enregistré, d'un clavier et de disques scratchables. Je n'ai pas pris le temps de montrer à Élise qu'il y avait même un microphone sur certains ! Elle m'avait d'ailleurs demandé un micro avec réverbération maximale que nous avons placé dans la cabine, loin de nous. Lorsqu'elle le souhaitait, Élise ouvrait et fermait la porte, grincement à la clef. Quant à Fidel Fourneyron, j'aurais dû fixer plus tôt une bonnette sur le Neumann, cela m'aurait évité d'avoir recours à un filtre numérique anti-pop au mixage ! Au fur et à mesure des pièces il devient de plus en plus lyrique au trombone ; au début il se fond discrètement dans des ambiances graves qui se mélangent à mes sons souterrains. J'étrennais pour la première fois mon kazoo amplifié, ainsi que, comme deux jours plus tôt, ma shahi baaja, une cithare à touches électrique. N'ayant pas eu le temps de cuisiner, au déjeuner je leur ai servi un assortiment de viandes laquées avec le délicieux riz gluant de chez Super Tofou. Étonnamment les pièces de l'après-midi sont plus dynamiques. Je crains toujours que la digestion nous endorme. C'était loin d'être le cas. Nous n'arrivions plus à nous arrêter. Ces deux journées m'ont redonné la pêche. Je n'avais pas joué ainsi depuis décembre 2019, mais entre temps était sorti Pique-nique au labo, double CD des précédentes improvisations commencées en 2010. D'autres séances sont déjà prévues avec de nouveaux musiciens et musiciennes ! J'aime rappeler que les musiciens ont en commun avec les comédiens le privilège de jouer, jouer comme des enfants, ce qui manque par exemple cruellement aux artistes plasticiens et aux romanciers.

Fidèle aux cartes du jeu Oblique Strategies que j'avais soumis à Élise et Fidel, nous avons été confrontés aux thèmes suivants : Y a-t-il des parties? Considérez les transitions. / Est-ce que c’est fini ? / Faites une action soudaine, destructive, imprévisible. Incorporez. / Analysez précisément les détails les plus embarrassants, amplifiez les. / Regardez dans quel ordre vous faites les choses. / Ne stressez pas pour une chose plus qu’une autre. / Du jardinage. Pas d’architecture. / Que ferait votre ami le plus cher (votre amie la plus chère) ? / Détruisez : rien ou ce qu’il y a de plus important. / Utilisez une vieille idée. / Ne brisez pas le silence. / Ne craignez pas d’afficher vos talents. / Toujours les premiers pas. / Avons-nous besoin de trous ? Ce genre de journée vous requinque...

→ Birgé Caron Fourneyron, L'air de rien, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org

Photo du trio © Peter Gabor

lundi 15 mars 2021

Tout abus sera puni avec Naïssam Jalal et Mathias Lévy


Mardi dernier, le 9 mars, nous avons enregistré 9 compositions instantanées en tirant au hasard les thèmes d'après le livre graphique de mc gayffier publié l'année dernière. Naïssam Jalal joue de la flûte et chante, tandis que le violoniste Mathias Lévy s'empare, le temps d'un morceau, de ma guitare folk ou de mon sax alto ! Que l'on s'amuse bien s'entend. Parmi les 100 variations pour tenter de déjouer (ou jouer avec) la sentence, nous sommes tombés sur les pages Tout Repu Fera Urée, Tout Kilo Sera Abdo, Tout Abus Sera Puni, Tout Étau Sera Limé, Tout Mini Sera Muni, Tout Pâté Sera Gâté et Tout Pavé Sera Jeté. Pas moyen de faire rentrer notre musique dans un carré ! L'heure de nous séparer approchant, nous terminons sur la quatrième de couverture qui est toute noire et, comme cela ne suffit pas, nous improvisons un dernier À la cool. Peter Gabor, qui est venu filmer la séance pour le documentaire qu'il tourne depuis trois ans sur ma pomme, nous immortalise faisant les zouaves. Ayant enregistré seulement trois pièces avant le déjeuner, nous étions affamés. J'avais cuisiné une pieuvre au court-bouillon (délicieusement tendre) avec du riz (mélange de riz parfumé, riz rond et riz gluant avec une phalange d'eau au-dessus, surtout ne pas remuer avant son évaporation) et une purée de butternut, rutabaga et patates, ce qui eut forcément des incidences sur les enregistrements de l'après-midi.


La couverture du livre de Marie-Christine était tout indiquée pour devenir celle de notre ouvrage. Dans son introduction la plasticienne de surface analyse l'avertissement avec humour et précision, son absolutisme et la menace définitive. Elle fait référence à la phrase du Schpountz déclinée sur tous les tons par Fernandel dans le sublime film de Pagnol, "Tout condamné à mort aura la tête tranchée", déclinaisons qu'elle fait sienne et que nous reprenons à notre manière. Après qu'elle ait conçu et réalisé l'aspect graphique de mon dernier CD, Pique-nique au labo, il était juste de lui renvoyer la balle à l'occasion de cette nouvelle rencontre, la première depuis décembre 2019 et la première à ne pas figurer dans le double album en question.


Il y a deux ans, j'avais enregistré l'album Questions, avec Élise Dabrowski et déjà Mathias Lévy, qui s'était drôlement bien passé, mais j'ignorais si je saurais composer avec le lyrisme moyen-oriental de Naïssam Jalal. Je me demande comment cela se goupille, mais je me suis senti en pantoufles (Naïssam avait apporté les siennes !). La virtuosité de mes deux invités me pousse à faire des choses qui me sont inhabituelles. C'est évidemment ce que je recherche. J'imagine qu'eux deux n'ont pas souvent non plus l'habitude d'avoir à faire avec un olibrius encyclopédique dont les sons sortent de nulle part. En fait, toutes les séances sont jouées au casque pour ne pas provoquer de larsen dans le studio, car si mes instruments électroniques sont en prises directes j'utilise pour mes invités des Schœps et des Neumann très sensibles. J'enregistre toujours droit, sans aucune correction, ni pendant, ni après. Ce sont les musiciens qui font leur son. Il s'agit simplement de bien placer les micros. Par contre, je rééquilibre la balance au mixage et nettoie quelques scories comme des coups dans le micro assénés dans le feu de l'action ! Les nouveaux outils informatiques en font un jeu d'enfant, du moins quand on a connu des systèmes autrement plus rébarbatifs. Il n'y a plus qu'à espérer que vous aurez autant de plaisir à nous écouter que nous avons eu à nous rencontrer.

→ Birgé Jalal Lévy, Tout abus sera puni, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org

N.B.: deux jours plus tard, toujours au Studio GRRR, ayant reçu à leur tour la chanteuse Élise Caron et le tromboniste Fidel Fourneyron, nous enregistrâmes un second album intitulé L'air de rien et qui sera évidemment en ligne dans les jours prochains !

Photos du trio © Peter Gabor

vendredi 12 mars 2021

Fausto Romitelli (1963-2004)


Pour défendre les jeunes musiciens ou les défunts méconnus, et écrire quotidiennement sur leurs créations, j'exerce une veille permanente. Ma solidarité s'appuie également sur les conseils de rabatteurs amis qui m'indiquent ce que j'appelle "des biscuits pour l'hiver". Fin des années 60, mon camarade de lycée Michel Polizzi et François qui travaillait chez Givaudan, magasin de disques au carrefour Raspail-St Germain, m'initièrent à la pop et au free jazz, aussi bien qu'au reggae ou Harry Partch. Jean-André Fieschi me réconcilia avec le classique et l'opéra. André Ricros m'apprit la différence entre musiques folklorique et traditionnelle. Depuis, je bénéficie des suggestions épisodiques de quelques uns qui connaissent ma curiosité, tels Jean Rochard, Stéphane Berland, Franpi, Antonin-Tri Hoang et quelques autres.

PROFESSOR BAD TRIP
Article du 26 avril 2008

Si Franck Vigroux ne jouait pas ce soir au Zebulon de New York avec l'accordéoniste Andrea Parkins, il serait venu écouter l'interprétation de Professor Bad Trip par l'Ensemble Intercontemporain à la Cité de la Musique. Hervé Zénouda m'en avait déjà parlé en 2005. Vigroux m'a fait connaître l'œuvre de Fausto Romitelli comme les étudiants de l'Ircam m'avait parlé de Salvatore Sciarrino six ans plus tôt à Valenciennes. Lorsqu'ils ne sont pas versés dans les sempiternels revivals, ce que les plus jeunes écoutent est toujours riche d'enseignement. J'avais noté la date en septembre et nous y voilà !
La première partie réunit l'enivrant Steve Reich avec Eight Lines et le plus conventionnel Philippe Hurel avec son concerto pour piano, Aura. Si Reich continue de nous donner le vertige en nous entraînant dans les méandres de la musique répétitive, Hurel nous laisse de marbre malgré son intéressant travail sur les quarts de ton. Musique bourgeoise de rigueur : comme la plupart des compositeurs dits "contemporains", par son acceptation surannée de la modernité, il la caricature en défendant les attributs de la classe sociale qui l'a engendré(e). Entr'acte.
Françoise remarque qu'elle a rarement entendu un compositeur contemporain aussi contemporain que Romitelli, et Sylvain Kassap de renchérir en insistant sur la réécoute indispensable de la version discographique de Professor Bad Trip par l'Ensemble Ictus, dont le répertoire correspond mieux au génial italien disparu en 2004 à l'âge de 41 ans que l'E.I.C. C'était tout de même amusant de voir Pierre Strauch s'escrimer au violoncelle électrique fuzz aux côtés de Vincent Segal à la basse, le seul de l'orchestre à oser hocher la tête ! Des trois leçons de Romitelli, la dernière laissa la mieux transparaître la magie de son art, mélange réussi de toutes les musiques "contemporaines ", au sens propre cette fois, au sein d'un langage et d'une syntaxe parfaitement maîtrisés. Les trois cordes, les trois vents, le piano, la percussion y côtoient la guitare et la basse électriques comme la bande électronique sans que cela choque à aucun moment. Romitelli se permet même de faire jouer du kazoo et de l'harmonica miniature à ses interprètes. Tout coule de source, même si c'est celle du Styx.
Pendant le concert, je scrute la salle et constate à quel point elle est éclairée. Généralement, on la noie dans le noir pour focaliser l'attention sur la scène. Dans les concerts de rock, de jazz ou de variétés, on sent bien que ça remue, on n'a pas besoin de souligner sa présence par l'image. Rien à cacher, tout le monde se tient bien. Franchement, même si c'était une belle soirée, cela manquait furieusement de soufre.

PERLES DE CULTURE
Article du 21 février 2007


Professor Bad Trip et An Index of Metals (Cypress Records) de Fausto Romitelli, compositeur contemporain autant inspiré par le free que le rock, par l'école spectrale que par l'électro-acoustique, sont d'authentiques chefs d'œuvre. Même s'il touche à une probable et relative immortalité, son prénom ne l'aura hélas pas empêché d'être emporté par un cancer en 2004, à l'âge de 41 ans. La musique est d'une puissance incroyable, la richesse du matériau sonore inépuisable, l'architecture une cathédrale. Donnez à un adepte psychédélique de Henri Michaux, un fanatique de l'impureté, un enfant de "l'artificiel, du distordu et du filtré", les moyens proprets de l'institution contemporaine, et vous pourriez réussir le cocktail alchimique explosif qui a cramé ma galette argentée. L'ensemble belge Ictus le suit dans ses expérimentations démentes. Avec ou sans électronique ajoutée, la musique sonne inouïe. Dans le disque intitulé Professor Bad Trip, à côté des pièces d'ensemble, il y a un solo de flûte à bec contrebasse qui sonne comme de grandes orgues et Trash TV Trance, un solo de guitare électrique dont pourraient s'inspirer à leur tour les expérimentateurs les plus aventureux.


An Index of Metals est un double, version audio et version dvd en vidéo-opéra cosigné avec Paolo Pachini. La musique est encore plus corrosive que dans les œuvres précédentes. Utilisation de tous les bruits parasites, grattements de vinyle, friture numérique, clics, infrabasses, dans un univers varèsien adapté au nouveau siècle... On passe d'un monde à l'autre sans ne jamais quitter l'univers. La guitare électrique se même parfaitement à l'orchestre. Qu'écoutait donc Romitelli pour se détendre lorsqu'il rentrait chez lui ? A-t-il jamais fait de la scène lorsqu'il était adolescent ? Qu'y a-t-il vu et entendu ? Tant de questions sans réponse me brûlent les lèvres tandis que je suis assailli par les sons qui m'entourent et "ignorant des choses qui le concernent". Deux versions image, un ou trois écrans. Deux versions son, stéréo ou 5.1. Le travail vidéographique est décent, mais la "modernité" (comprendre "qui suit la mode") affadit le propos musical beaucoup plus ouvert et généreux. Le texte lui-même propose des hallucinations autrement plus originales (Drowninggirl, Risinggirl, Earpiercingbells). J'imagine une interprétation à la Godard dans son Histoire(s) du cinéma plutôt que ces textures cliniques, fussent-elles empruntées au réel (exercice de style que de fabriquer des images de synthèse sans aucun artifice ; je choisis ici mes moments préférés comme illustrations). Mais quel bonheur de découvrir un nouveau compositeur que l'on ignorait encore la veille ! Romitelli s'est éteint à Milan le 27 juin 2004. An Index of Metals est son requiem.
Ces albums sont sous-tendus par des dramaturgies de matière qui racontent une histoire, poèmes tremblés parfaitement maîtrisés. Ils mènent inexorablement au travail de Vigroux. Je me reconnais dans le drame (entendre théâtre et plus précisément théâtre musical radiophonique) comme dans le Drame (comprendre Un Drame Musical Instantané). Lorsque j'entends ou que je vois des choses qui me plaisent, je n'ai plus à les réaliser moi-même, ça me fait des vacances. Quel soulagement !

P.S.: en 2016, à La Scala de Paris, j'eus la chance d'assister à une version d'An Index of Metals par la soprano Donatienne Michel-Dansac, créatrice du "rôle" avec Ictus, accompagnée par United Instruments of Lucilin dirigés par Julien Leroy. Pas de vidéo, mais des lumières de François Menou, peut-être plus adaptées à l'œuvre.

lundi 8 mars 2021

Jazz Mag et Jazz News sont dans un bateau...


Jazz News s’honore en arborant la flûtiste Naïssam Jalal en couverture. La revue montre régulièrement son attachement pour l’avenir quand sa sœur aînée, Jazz Magazine, s’enfonce répétitivement dans le passé. Que la plupart des musiciens ne lisent plus ce dernier, éventuellement au profit de Jazz News, est un signe qui ne trompe pas, car n’oublions pas que ce sont eux qui font l’actualité et non les journalistes, organisateurs de spectacles, tenanciers de clubs, agents, attachés de presse, blogueurs, producteurs de disques, etc. Ils et elles sont la source à laquelle s’abreuvent tous les autres. Or la France peut s’enorgueillir d’abriter des centaines de musiciens et musiciennes inventives qui se sont affranchi/e/s du modèle américain. La starification morbide de Jazz Mag le pousse au revival vintage et à passer à côté des musiques vivantes qui ont fait valser les étiquettes mercantiles.
Se mettre du côté des artistes a prouvé l’intelligence de certains contre l’arrogance des autres. Quand l’ancien club Dunois offrait la gratuité aux musiciens, ils s’y retrouvaient tous et le jeune public suivait. En refusant cette pratique, la plupart des clubs se condamnent à n’accueillir que des tempes grises et des crânes dégarnis en quête de leurs illusions perdues.
Bien entendu il ne s’agit pas d’opposer les différents professionnels les uns aux autres, mais pour que le monde de la musique se fédère et promeuve la solidarité entre tous, il est indispensable de reconnaître la légitimité des artistes comme base active du combat. Je ne cautionne pas « la résistance » affichée dernièrement par Jazz Mag qui consiste à censurer des labels historiques toujours à la pointe de la créativité et de l’engagement politique. Sa couverture avec « la Liberté guidant le peuple » tient tout simplement de la tartuferie.
Si l’on ajoute que les revues Jazz Mag et Jazz News, appartenant toutes deux au même propriétaire, Édouard Rencker, PDG du groupe Makheia, et s’étant associées en ce début d'année sur ce thème de la résistance, se retrouvent ironiquement affublées de suppléments de 24 et 18 pages payées par la BNP-Paribas, tant les musiciens que les lecteurs ne peuvent manquer le ridicule qui entache le propos. Qu'ils aillent chercher des sponsors se comprend, mais qu'une banque finance la résistance est aussi cynique que les yaourts Yoplait affichant le mot Liberté sur les abris-bus alors que le couvre-feu, et les lois iniques que la crise escamote, nous en privent !
Ce n’est donc pas un hasard si depuis 15 ans je pratique ce blog militant en solidarité avec toutes celles et tous ceux que les médias officiels négligent, et pour dénoncer un vichysme plus vivace que jamais.

P.S.: et aujourd'hui 8 mars, passionnant numéro de CitizenJazz, une belle revue qui n'existe qu'en ligne... Et abonnez-vous gracieusement au Journal des Allumés du Jazz !

dimanche 7 mars 2021

Pique-nique au labo sur Jazz News

jeudi 4 mars 2021

On n'obtient pas toujours ce que l'on veut


Le disque de "rock" sur lequel je travaille avec Nicolas Chedmail et Frédéric Mainçon nous semble prendre ses racines dans l'album Their Satanic Majesties Request des Rolling Stones. Paru fin 1967, c'est probablement leur disque qui obtint le moins de succès, trop psychédélique et fouillé pour leur public. Déjà que le nôtre me fait penser à Captain Beefheart et Scott Walker, cela ne présage rien de bon ! Les Stones se radicaliseront donc, avec Street Fighting Man et Sympathy for the Devil sur l'album suivant, Beggars Banquet, juste après le single Jumpin' Jack Flash. C'est de cette veine qu'est fait Gimme Shelter, filmé pendant la tournée américaine de novembre-décembre 1969 qui finira avec le tragique concert d'Altamont. Viendra d'ailleurs ensuite Let It Bleed. En effet, "You can't always get what you want !"

DES PIERRES ROULAIENT DANS LE CHAMP
Article du 30 mars 2008

L'autre soir, j'ai regardé Gimme Shelter de Albert Maysles, David Maysles et Charlotte Zwerin que je n'avais jamais vu malgré sa réputation et celle du festival gratuit d'Altamont qui marqua la fin des années 60 et du petit nuage psychédélique que Monterey et Woodstock avaient réfléchi. À l'époque, j'avais probablement craint un truc violent, comme je voyais le hard rock, que Led Zeppelin, entre autres, incarnait à mes oreilles. Les Rolling Stones en faisaient partie, trop lourds, trop physiques à mon goût. Je préférais le côté planant de la West Coast (j'ignorais qu'Altamont se situait près de San Francisco) et je n'en avais plus que pour Zappa et Beefheart. Altamont eut lieu le 6 décembre 1969 à l'initiative des Stones. Y étaient programmés Santana, Jefferson Airplane, The Flying Burrito Brothers et Crosby, Stills, Nash and Young, les anglais clôturant l'évènement. Devant le manque d'organisation catastrophique, le Grateful Dead avait annulé sa prestation.


Au delà de l'énergie de Mick Jagger qui m'a toujours bluffé, depuis le concert de 1965 auquel j'assistai à l'Olympia, je suis subjugué par le film, véritable documentaire de création sous la forme d'une enquête policière sans que les auteurs aient eu besoin d'ajouter le moindre commentaire. Ils eurent la chance de se trouver là pendant les préparatifs, les tractations avec l'avocat retors des Stones (qui avait été celui de Jack Ruby, l'assassin d'Oswald dans l'affaire du Président Kennedy), le concert évidemment, mais également tout ce qui s'est passé off stage, magnifiques instants capturés parmi la foule des 300 000 spectateurs, ambiguïté de Mick Jagger sur la conduite à tenir, et, surtout, le meurtre d'un jeune black par un des Hell's Angels survoltés. Meredith Hunter, facilement repérable dans son élégant costume vert pomme, avait dégainé un flingue vers la scène lorsqu'il fut ceinturé et poignardé par les Anges, chargés du service de sécurité. Les cadrages d'Albert Maysles sont époustouflants, le montage de Charlotte Zwerin aussi intelligent que le sera son génial film sur Thelonious Monk, Straight No Chaser. Il n'y a pas que la musique, Gimme Shelter est tout simplement un grand film noir.
Ce documentaire exceptionnel, édité en dvd sur le label de référence Criterion, remasterisé de main de maître, avec un paquet de bonus passionnants, [...] est, depuis cet article de 2008, paru en édition française.

mardi 2 mars 2021

Tony Hymas de Delphes


Lorsqu'on est un musicien de jazz, pilier du groupe Ursus Minor... Lorsqu'on est un musicien de rock, compagnon de Jack Bruce ou Jeff Beck... Lorsqu'on écrit pour orchestre symphonique... Lorsqu'on retranscrit Léo Ferré pour piano ou qu'on a accompagné Frank Sinatra... Lorsqu'on évoque la Résistance française et les Indiens d'Amérique, L'origine du monde de Courbet et la Commune de Paris, que Pascale Ferran a fait un long métrage de votre duo avec Sam Rivers... On aborde forcément le piano d'une manière très personnelle. Le nouveau disque solo de Tony Hymas est étonnant par la diversité des musiques et leur unité retrouvée sous les doigts du Britannique. Et je ne vous ai pas parlé du montagnard qui, un été, nous accompagna au Cirque de Gavarnie avec la contrebassiste Hélène Labarrière, trio de godillots sous un soleil où chaque rayon déclenchait un sourire...
Le jeu de Tony Hymas est franc, direct, comme les Anglo-Saxons savent le faire sans mâcher leurs notes. Au premier hymne delphique, premier morceau de musique écrit connu, daté de 128 avant J.-C.), qu'il s'approprie, succède naturellement la première Gymnopédie de Satie (1866-1925), avant qu'il n'attaque rageusement Winsboro Cottonmill Blues de Frederic Rzewski, sorte de poème symphonique des Temps Modernes. Suivent l'évocation de la mort d'un manifestant par Leoš Janáček (1854-1928) dans sa Sonate I.X.1905, "accident imbécile" survenu à Brno en Moldavie ce jour-là, et un mix de deux chansons liées à la Commune de 1871 dont La semaine sanglante. Hymas salue encore trois femmes compositrices que l'Histoire racontée par les hommes ignore avec un aplomb incroyable, le fougueux Essaim de mouches de Marie Jaëll (1846-1925), le tendre Éclogue de Mélanie dite Mel Bonis (1858-1937) et l'humoristique Air de ballet Callirhoë de Cécile Chaminade (1857-1944). Au regard des dates de ces musiciens et musiciennes on ne sera pas étonné de découvrir La plus que lente de Debussy (1862-1918), quitte à sauter le siècle pour retrouver Si tu vois ma mère de Sidney Bechet (1897-1959) sur les genoux duquel vous savez qui sauta si vous me lisez régulièrement ! Revenu à nous, l'inspiration révolutionnaire ne quitte pas Hymas avec un tango du film L'affiche Rouge de Frank Cassenti par le Cuarteto Cedron, La complainte du partisan que ma fille Elsa chantait sous sa direction dans le magnifique Chroniques de résistance, As Crechas de Jacky Molard et Gitans d'Avignon d'Ursus Minor. Voilà, ça réveille. Tony Hymas a passé l'âge de lire Tintin, mais pas celui de se révolter et de l'exprimer avec ses armes noires et blanches. Si après cela, vous préférez rester chez vous en attendant que ça passe, c'est que vous n'avez rien compris au film !
Comme toujours sur le label nato, le livret bilingue est soigné sous la houlette de Marianne T. et Christelle Raffaëlli, chaque pièce étant illustrée pleine page par Anna Hymas et l'ensemble "artisanalement produit" par Jean Rochard.

→ Tony Hymas, de Delphes, CD nato, dist. L'autre distribution, sortie le 5 mars 2021