Le rôle d'un éditeur est de promouvoir la musique en échange d'un pourcentage conséquent des droits d'auteur. À une époque où les enregistrements n'existaient pas, il pouvait par exemple s'agir de publier les partitions, seule manière alors de faire circuler la musique. Aujourd'hui cela consistera, par un autre exemple, à la placer sur un film, ce qui peut rapporter très gros en cas de succès. L'éditeur prendra en charge les frais d'enregistrement et de production d'un disque et sera rémunéré en conséquence. Les contrats SACEM (le E est pour éditeur) sont souvent de 50%, mais tous les excès sont envisageables, puisque, comme le rappelait Charles Trenet à la fin de la Java du Diable : " [...] le Diable s'aperçut qu'il n'touchait pas de droits d'auteur, Tout ça c'était d'l'argent d'foutu puisqu'il n'était même pas éditeur... Allez, remportons notre musique et retournons en enfer." Car le plus souvent l'éditeur ne fait rien du tout et vous carotte 50% ! Il peut aussi vous empêcher de publier en disque la musique que vous avez composée pour un film alors qu'il en a financé l'enregistrement. On me rétorquera que les droits d'édition couvrent ses frais et qu'il est donc normal qu'il se rétribue sur les droits d'auteur. C'est vrai. Mais on marche sur des œufs et il est indispensable de bien lire les contrats qui nous lient à eux. N'oublions jamais que le travail de l'auteur ou du compositeur est de l'ordre de la création artistique alors que celui de l'éditeur est financier. Il prendra le temps qu'il faut pour rédiger le contrat pendant que vous créerez vos œuvres. Que vous vous fassiez avoir est dans la logique des compétences de chacun ! Je me souviens de Patrick Brunie qui m'avait arraché des mains un contrat épais comme le Bottin tandis que je commençais à le lire, arguant que nous ne pouvions pas travailler ensemble si je ne lui faisais pas confiance ! Et Ramuz à la fin de Renard composé par Igor Stravinski : "Si ma chanson vous a plu, payez-moi ce qui m'est dû !". J'en sais quelque chose...
Mais voilà, je reçois cette semaine par la poste les trois volumes de partitions de Michael Mantler publiés par ECM, label de disques allemand sur lequel le compositeur autrichien enregistre depuis des années. C'est d'abord un cadeau qui me touche de la part du compositeur. C'est ensuite une contribution extraordinaire de ECM qui permettra peut-être à de nouveaux ensembles de jouer les œuvres inimitables de Michael Mantler. Admirateur de sa musique depuis un demi-siècle, me voilà reprendre mes écoutes, les épais volumes sur les genoux. Le premier concerne The Jazz Composer's Orchestra original de 1968 suivies des facsimilés autographes des partitions utilisées pour l'enregistrement ainsi que la version Update de 2013. Le second, qui s'intitule Voices and Words, présente Many Have No Speech (1987), Cerco Un Paese Innocente (1994) et Hide and Seek (1999), donc texte (Samuel Beckett, Ernst Merister, Philippe Soupault, Giuseppe Ungaretti, Paul Auster) et musique. Le dernier rassemble les sept concertos (2007) et les six suites pour orchestre (2019). Chaque volume est introduit intelligemment par Richard Williams.
J'ai souvent émis des réserves sur les enregistrements du label ECM, trop proprets à mon goût, trop lisses, trop réverbérés. Il n'empêche que Manfred Eicher fait un travail remarquable, ici de papier, plus régulièrement en galettes argentées. Il avait d'ailleurs publié un autre très bel objet, les Histoire(s) du cinéma (ainsi que Nouvelle vague) de Jean-Luc Godard...

→ Michael Mantler, Editions en 3 volumes, ECM, 35€ (1,3 kg !) chaque