70 Musique - novembre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 novembre 2021

L'âme des poètes transcrite par Guillaume de Chassy


Il y a deux ans j'avais salué son interprétation au piano des chansons de Barbara. La sobriété et le lyrisme de Guillaume de Chassy me plaisent parce qu'il fait ressortir la mélodie d'une manière merveilleuse. En invitant Élise Caron il mise encore sur la ligne claire. La chanteuse fait simplement oublier les versions de Yves Montand (Actualités d'Albert Vidalie et Stéphane Goldmann), Danielle Darrieux (Adieu chérie d'André Tabet et Jacques Companeez, L'étang de Paul Misraki), Suzy Delair (Danse avec moi d'André Hornez et Francis Lopez) et Lucienne Delyle (Je suis seule ce soir de Jean Casanova et Rose Noël) qui ont créé ces belles chansons du temps d'avant les yéyés. Guillaume de Chassy, faisant fi des époques, alterne avec des instrumentaux où il joue Bill Frisell, Serge Prokofiev, Charles Trenet ou Franz Schubert, et parfois le contrebassiste Arnault Cuisinier et Thomas Savy à la clarinette basse les rejoignent pour un disque tout en délicatesse.



→ Guillaume de Chassy, L'âme des poètes, CD NoMadMusic, dist.Pias

lundi 29 novembre 2021

Get Back !!!


Huit heures de documentaire sur les Beatles enregistrant Let it Be, leur douzième et dernier album avant séparation, peuvent sembler excessives, mais il est absolument passionnant de voir le travail à l'œuvre, un work in progress exceptionnel où la personnalité de chacun des quatre musiciens apparaît au fil des journées passées d'abord sur le trop grand plateau de cinéma de Twickenham, à l'acoustique médiocre, puis dans le nouveau studio de leur compagnie Apple Corps, bricolé, mais finalement maîtrisé par l'ingénieur du son Glyn Johns pour finir par l'ultime concert live sur le toit de l'immeuble au 3 Savile Row à Londres le 30 janvier 1969. Sur Wikipedia vous trouverez toutes les informations sur les trois épisodes de cette saga remontée par Peter Jackson, le réalisateur du Seigneur des anneaux, à partir des cinquante-sept heures de rushes filmées à l'origine par Michael Lindsay-Hogg et de cent cinquante heures d'enregistrements audio. Les caméras filment tout, captant l'intimité du groupe, laissant percevoir les arrière-pensées des uns et des autres, jusqu'à espionner une conversation en a-parte. Alors que la pellicule est restée enfermée pendant un demi-siècle dans un coffre, la qualité du 16 mm est superbe, le son impeccable.


L'absence de commentaires, hormis de rares cartons resituant la chronologie et les évènements hors-champ, fait de ce film un témoignage épatant sur l'acte de création, et l'esprit d'un groupe pop dont la maturité artistique est loin devant celle de leur gestion des rapports humains. Cet écart rend les protagonistes particulièrement attachants, dans leurs différences et leurs aspirations. Malgré leurs dissensions qui verront la fin de leur association, leur dissipation à zapper sans cesse vers d'autres chansons que les leurs ou celles qu'ils sont censés répéter, expose leur plaisir de jouer, de jouer ensemble. L'esprit potache de la bande des quatre était déjà explicite dans les films A Hard Day’s Night et Help! de Richard Lester.

Si Paul McCartney est le plus dissipé, c'est aussi le plus sérieux et le mieux structuré du groupe. Il passe son temps à prendre avec succès toutes sortes d'accents et de voix pour jouer des morceaux qui n'ont rien à voir avec leur répertoire. Il est certainement le plus attaché à l'esprit collectif, et la complicité entretenue avec John Lennon, perdue depuis que celui-ci a rencontré Yoko Ono, lui manque cruellement. La bande de copains sont devenus des professionnels. John n'est plus vraiment là, obnubilé par la passion pour sa compagne, assise en permanence à ses côtés et dont les hurlements sur certaines jams improvisées n'ont pas l'air du goût de tout le monde. Ses blagues sont plutôt lourdes, imitant également toutes sortes de voix pour faire rire les autres. Alors que les polyinstrumentistes John et Paul cosignent toutes leurs chansons depuis toujours, même si c'est devenu plus contractuel que réel avec le temps, George Harrison souffre d'être le petit dernier, le plus jeune, seul et étouffé par le dirigisme de Paul. Excédé, il quittera le premier le groupe avant de revenir sur la pression de ses camarades. C'était probablement à mon tour d'être le gamin, mais un an plus tard, il me semblera avoir pris de l'assurance quand je l'accompagnai chez Maxim's ! Il préparait évidemment le magnifique triple All Things Must Pass qui lui permettra de s'affranchir de l'autorité du duo Lennon-McCartney. Ringo Starr semble ailleurs, carrément à côté de ses pompes, la bonne pâte qui évite les conflits, le batteur qui assure. Quant à Michael Lindsay-Hogg, on a l'impression que son cigare est surtout là pour revendiquer sa filiation biologique avec Orson Welles, mais cela s'arrête là. Mal Evans, l'assistant du groupe, prend en notes la moindre élucubration verbale qui pourrait préciser les paroles d'une chanson. Le bienveillant George Martin a évidemment peu de travail avec ce projet de concert live, une pratique que les Beatles avaient abandonnée depuis 1966, réalisant leurs sensationnels disques de studio, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band et le double album blanc. De passage, le claviériste Billy Preston a la chance de rejoindre le groupe pour que les arrangements soient complets lorsqu'ils joueront en direct, sans overdub. Il est intéressant de constater que tout cela est produit seulement avec un magnétophone 8 pistes, ce qui semblerait ridiculement mince aujourd'hui à la plupart des musiciens.

La saga se termine donc en beauté avec un concert de 42 minutes sur le toit de l'immeuble, le rooftop concert, interrompu par la police et le froid. Le public est composé de proches, mais les badauds se pressent sur les toits autour et la foule en bas sur les trottoirs. Nombreuses chansons absentes de Let It Be se retrouveront sur l'album Abbey Road, enregistré l'été suivant mais sorti avant, ou sur les disques solo de Paul, John et George. Les Beatles se sépareront définitivement l'année suivante à l'initiative de John. Entre le premier album et le dernier, il n'y a que six ans, assez pour marquer indéniablement l'époque. Contrairement à Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain, Amy Winehouse, Blind Owl Wilson ou Jean-Michel Basquiat, tous morts à 27 ans, celle des Beatles n'est que celle de leur fructueuse association. John sera assassiné en 1980 à l'âge de 40 ans, le cancer aura raison de George en 2001 à 58 ans. Paul, Ringo, Yoko et Olivia, veuve de George, participent à la production de ce film autrement plus juste et passionnant que la version de 1970 intitulée Let It Be.

vendredi 26 novembre 2021

Cartographie de rythmes de Karl Naegelen


L'écoute du disque Cartographie de rythmes #1 Vitesses approchantes du compositeur Karl Naegelen est d'abord une expérience d'écoute, comme regarder un film de Michael Snow, en se laissant surprendre par des détails infimes qui pourtant nous font chavirer. Les deux percussionnistes, Sylvain Darrifourcq et Toma Gouband, jouant sur les décalages et les déphasages qu'offrent des tempi différents pour chacun d'eux, nous font pénétrer dans le monde des illusions sonores. J'avais ressenti cette sensation en écoutant Steve Reich générer quatre mélodies à partir de deux monodies ; ces œuvres de Naegelen sont évidemment cousines de Clapping Music. Darrifourcq est batteur, même s'il fait glisser de petits bols de métal sur ses peaux. Gouband joue des pierres et des végétaux, contribuant à cette évocation d'un autre monde. L'enregistrement et le mixage sont le fait d'Ananda Cherer. Lorsque le disque s'arrête, il aura suffi de seulement trente-trois petites minutes pour changer ma perception du temps et de l'espace...



→ Karl Naegelenn Cartographie de rythmes #1 Vitesses approchantes, CD Umlaut

jeudi 25 novembre 2021

Mingus in Greenwich Village


Le film Mingus in Greenwich Village de Thomas Reichman commence par un solo de contrebasse avant que l’orchestre ne reprenne, mais il est étonnant d’entendre Charles Mingus chanter en voix de tête sur scène à Boston, lorsqu’il compose au piano ou fredonne en jouant avec Caroline, sa fille de 5 ans. Au milieu d’un fouillis incroyable où il se prépare à être expulsé de son studio new-yorkais par la ville avec l’appui de la police pour loyers impayés, il évoque le racisme contre les Noirs et les Juifs (on y perçoit les ambiguïtés de ses questionnements, comme ses allusions à son manque d’éducation), sa sexualité débordante (propos qui ne passeraient pas aujourd’hui), et sort ses fusils jusqu'à tirer dans les murs !


L’ensemble produit une forte émotion. Les sous-titres m’aident à comprendre son accent, rapide et peu articulé, probablement celui de l'Arizona où il a grandi. Totalement en confiance avec le jeune réalisateur de 24 ans, le compositeur, alors âgé de 46 ans, se confie si librement que c’en est stupéfiant. En 1975 Thomas Reichman se suicidera dans son appartement de Greenwich Village et en 1979 Mingus mourra à Cuernavaca au Mexique, terriblement diminué par la maladie de Charcot. Ses cendres furent dispersées dans le Gange. Mais nous sommes en 1968. Mingus joue avec Lonnie Hillyer (trompette), Charles McPherson (sax alto), John Gilmore (sax ténor), Walter Bishop (piano), Danny Richmond (batterie)...


Lors de son éviction du 5 Great Jones Street, à Manhattan, où il espérait construire une école (Mingus rend hommage à ses maîtres Max Roach et Buddy Collette), la plupart de ses compositions écrites furent perdues, piétinées sur le trottoir, ramassées par les éboueurs, sa basse coincée entre deux matelas... Écœuré, révolté, il cite le célèbre poème Quand ils sont venus me chercher… du pasteur Martin Niemöller... En 1971 il publiera son indispensable autobiographie, Moins qu'un chien (Beneath he Underdog).

Thomas Reichman, Mingus In Greenwich Village, DVD Rhapsody Films :



Ante Scriptum : j'ai eu la chance de voir Charles Mingus sur scène, d'autant qu'il est l'un de mes compositeurs préférés, et certainement celui que je place en tête parmi les jazzmen, n'en déplaise à l'orthodoxie ellingtonienne. Je parle ici d'invention musicale, d'architecture, d'un monde à part, celui qu'il fait sien. Il fut le seul compositeur qu'en 1992 Un Drame Musical Instantané se risqua à jouer pour un concert entier, faisant le pari fou d'adapter intégralement le sublime disque en grand orchestre Let My Children Hear Music pour notre trio (articles 1 2 3) ! Les seuls autres exemples furent Henri Duparc, Hector Berlioz et John Cage, mais nous ne les jouâmes que le temps d'un unique morceau.

Post Scriptum : En 2010 j'avais chroniqué son œuvre posthume pour 30 musiciens intitulée Epitaph, produit par sa veuve Sue Graham Mingus, la maman de Caroline.

mercredi 24 novembre 2021

Le grand orchestre d'Un D.M.I. répète L'homme à la caméra (1986)


Vingt cinq ans plus tard, c'est drôle ou émouvant de reconnaître Bruno Girard, Didier Petit, Lê Quan Ninh, Hélène Sage, Geneviève Cabannes, Francis, Bernard et les autres. L'an passé, le label autrichien Klang Galerie a réédité L'homme à la caméra, pour la première fois en CD, avec en bonus la partition intégrale de La glace à trois faces et une nouvelle pochette magnifique d'Étienne Mineur. Je n'avais pas fait attention aux mots que j'avais écrits, prononcés par Bernard à la fin de l'extrait vidéo : "Perte de mémoire, nécessaire...".



Article du 18 janvier 2009

L'archéologie domestique révèle des traces insoupçonnées. Je creuse, époussette, feuillette. Apparaissent sans cesse des bribes de mémoire enfouies sous les piles accumulées au fil du temps, classées, brouillées par les déménagements, images, sons, programmes, articles de presse, partitions, lettres... Voici donc aujourd'hui un petit montage rapide du seul témoignage vidéographique du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. La scène se passe début 1986 à Paris. Nous répétons la reprise de L'homme à la caméra que nous avions créé trois ans plus tôt, le 5 octobre 1983, au festival Musica à Strasbourg. On reconnaîtra Francis Gorgé (direction), Bernard Vitet (cigarette), Youenn Le Berre (flûte), Hélène Sage (clarinette basse), Jacques Peillon (cor), Philippe Legris (tuba), Bruno Girard (violon), Marie-Noëlle Sabatelli et Didier Petit (violoncelle), Geneviève Cabannes (contrebasse), Lê Quan Ninh et Benoît Moerlen (percussion) et moi-même (fauteuil)... Impossible de me souvenir des noms de l'altiste et de l'hauboïste...
Nous avions imaginé la musique du film muet de Dziga Vertov en nous inspirant de ses écrits sur le "laboratoire de l'ouïe". C'est aussi la première fois que nous composions des chansons qu'interprétaient Geneviève, Didier et Bernard. Nous avons enregistré un 33 tours du spectacle lorsque nous sommes passés au Théâtre Déjazet à Paris. C'est une des plus belles partitions du grand orchestre, mais le disque n'a pas eu beaucoup de succès. Nous avions mal pensé la pochette qui pouvait laisser croire qu'il manquait les images de Vertov, or l'enregistrement avait été pensé hors contexte. Il aurait probablement été mieux reçu si nous ne nous étions pas référés au ciné-concert.
Pour la petite histoire, Youenn Le Berre est un des fondateurs du groupe celtique Gwendal, Bruno Girard du groupe d'influence d'Europe de l'Est Bratsch, Geneviève Cabannes du trio féminin Pied de Poule avant de rejoindre Castafiore Bazooka, Hélène Sage a composé de nombreuses musiques pour la danse, Lê Quan Ninh a intégré le quatuor de percussion contemporaine Hêlios sans négliger la libre improvisation, Philippe Legris est toujours sur la brêche (il a même enregistré une pièce du Drame pour tuba solo !), Didier Petit a fondé le label de disques in situ avant de se consacrer exclusivement à son instrument et à l'improvisation... Depuis, il m'est arrivé de jouer avec Hélène et Didier pour divers projets de création. Quant à mes deux camarades du trio historique du Drame, une recherche sur ce blog vous donnera plus d'informations que vous pourrez en assimiler en une seule fois !

vendredi 19 novembre 2021

Tout Bleu


Lorsque j'étais plus jeune, un petit bleu c'était un télégramme, quelques languettes de papier collées sur une feuille avec des phrases en style dit télégraphique parce que chaque mot coûtait, alors on allait à l'essentiel. Un bleu, c'est également une jeune recrue. L'heure bleue, c'est toujours l'instant fugace juste avant que le soleil se lève. Je me suis aussi souvent pensé fleur bleue, comme dans la chanson de Trenet, cordon bleu certainement, saignant comme le steak... Toutes ces analogies collent bien avec le groupe Tout Bleu de la multi-instrumentiste genevoise Simone Aubert. J'ai laissé de côté les bleus qui font mal, comme Le Grand Bleu, un film surfait, à mes yeux d'un ennui aussi profond que l'océan qui s'étendait derrière la plus petite salle de cinéma du monde, à l'île Tudy, où j'avais vu le succès de Besson, comme le sang des aristos, comme la peur qu'on sait mauvaise conseillère... Ainsi en écoutant Otium j'ai pensé qu'il serait juste de lui consacrer quelques lignes parce que c'est vraiment chouette et que j'avais jusqu'ici seulement évoqué le premier album de Tout Bleu, raté le single Creatures, et repéré Simone Aubert au sein du trio féminin Massicot et de l'excellent duo Hyperculte...


De quel temps libre parle Simone Aubert lorsqu'elle intitule le nouvel album Otium ? Certainement pas une pause méditative parce que ça déménage plutôt. Ni une retraite anticipée, ce serait la meilleure ! Peut-être simplement le choix de faire ce qu'on veut, sans se poser la question du succès ou de la pitance ? Juste créatifs. Sur de petites rythmiques comme des mouvements d'horlogerie mélodiques auxquelles se joignent la violoncelliste Naomi Mabanda, l'altiste Luciano Turella et le synthésiste POL, Simone Aubert chante le chaos du monde, l'ère de rien, mais je ne comprends pas les paroles de ses incantations répétitives. Elle joue aussi de la guitare et des pads. Ça plane bien...

→ Tout Bleu, Otium, LP / CD / Numérique Bongo Joe, dist. L'autre distribution, sortie le 10 décembre 2021

mercredi 17 novembre 2021

Un Drame Musical Instantané répète Le K (1992)


Il n'est jamais facile de condenser un spectacle en quelques minutes. C'est pourtant ce que je fais avec les archives exhumées d'Un Drame Musical Instantané. Ce sont des documents, des témoignages, la qualité de l'image et du son sont très limite, mais c'est tout ce qui reste. Ici une répétition du K, ailleurs une autre de Zappeurs-Pompiers 1 (1988) ou un concert de Machiavel au Pannonica (1999), plus tard une représentation de J'accuse avec Richard Bohringer dans le rôle de Zola et un orchestre de 70 musiciens (1989), une de Zappeurs-Pompiers 2 (1990), le grand orchestre du Drame en répétition (1986), des bribes de Machiavel en studio (1999), etc.


Le K fut créé le 4 octobre 1990 au Festival Musiques Actuelles de Victoriaville (Québec) avec le comédien Daniel Laloux. La création française se tint en février 1991 au Festival Futures Musiques avec Richard Bohringer interprétant cette fois le texte de Dino Buzzati. Une précédente version avait été présentée en 1985 avec Michael Lonsdale et le percussionniste Gérard Siracusa. Quelle que soit la version, figurait également au programme une autre nouvelle de Buzzati, Jeune fille qui tombe... tombe.


Le K fut publié en CD avec Richard Bohringer, d'abord chez GRRR, puis chez Auvidis, légèrement écourté, dans la collection Zéro de conduite. Au rachat d'Auvidis par Naïve, toute le collection disparut. Heureusement GRRR ressortit l'album dans sa version originale. Le K fut nominé aux Victoires de la Musique dans la catégorie pour la jeunesse aux côtés d'Henri Dès, mais c'est Walt Disney qui l'emporta avec Aladdin ! Je me souviens très bien de la joie de Pascal Comelade qui s'était laissé embarquer comme nous dans cette galère lorsqu'il me reconnut sur le fauteuil juste devant lui. Quant à Jeune fille qui tombe... tombe, il est sorti sous le label in situ, alors dirigé par Didier Petit, avec Daniel Laloux affublé de son tambour napoléonien. Je le préfère à notre enregistrement du K.

Au Théâtre de Quimper en 1992 (vidéo ci-dessus), Daniel Laloux avait repris le rôle du narrateur. Un Drame Musical Instantané, producteur du spectacle, ici en répétition, était composé de Francis Gorgé (guitare, ordinateur, instruments de synthèse), Bernard Vitet (trompettes, anche, piano) et moi-même (instruments de synthèse, trombone, voix). Le scénographe était Raymond Sarti, également auteur de l'affiche de la création et du graphisme du CD, le luminariste était Jean-Yves Bouchicot. Raymond avait inventé un décor tout en métal rouillé, vieux ventilos, loupes géantes et nuages mobiles. Jean-Yves éclairait la scène avec des machines improbables comme de vieilles photocopieuses dévoyées.

L'aventure magnifiquement avancée se termina en catastrophe. Nous jouions au Festival Musique Action de Vandœuvre-les-Nancy avec tous les atouts en main, distribution idéale, conditions techniques parfaites, éclairage, sonorisation, la partition sur le bout des doigts et enfin une vingtaine de programmateurs de festivals dans la salle. Ce sont des choses qui arrivent, nous étions si sûrs de nous que nous nous sommes relâchés et avons joué comme des pieds, mettant un terme à tout espoir de continuer à tourner le spectacle.

P.S. à cet article du 12 janvier 2009 : les versions Lonsdale et Laloux sont en ligne sur le site du Drame, en écoute et téléchargement gratuits...

vendredi 12 novembre 2021

Lors Jouin (5 articles)



LE GÉNÉRAL DE GAULLE
4 janvier 2009


Écouter et voir Lors, Laurent Jouin, me font voyager. Me fait ou me font ? Dans le temps, dans la ville, à la campagne, sur l'eau, euh, là je m'avance peut-être un peu... Donnant naisance, en alternance, à une profonde gravité et un grand éclat de rire. Pas ensemble. L'un après l'autre. Acteur comique, chanteur dramatique. De l'un à l'autre. D'un claquement de doigt.
J'ai filmé Lors à l'Ile Tudy en août 1996. Il chante a capella une chanson "traditionnelle" qu'il a collectée sur le terrain, Le Général de Gaulle, de Louis Raoul. Onze ans plus tard, il enregistrera ce petit bijou, accompagné par Robert Kevran, sur son CD/DVD Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours, pour maintenant par rapport à demain (Keltia Musique). C'eut été un crime que cela se perde !

LE BARDE
14 mai 2007


On continue dans la détente. Et on s'amuse, et on rigole... " Rikita rozenn gaer a Java, Deus da zansal ha deus da voucha, Da vouezh zo flour pa ganez da sonenn, Da zaoulagad evel diou steredenn... " Ainsi commence le refrain de Rikita (jolie fleur de Java) en version bretonne par le barde Lors Jouin dans l'album Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours pour maintenant par rapport à demain (cd + dvd de 26 minutes !). C'est sans aucun doute le disque le plus ringard de l'année, le plus kitsch et le plus authentique. Les Bretons s'y reconnaîtront sans mal, à en pisser dans leurs braies. Les autres auront peut-être besoin de quelque explication pour savoir si c'est de l'andouillette ou du cochon. Les deux certainement.
Lors Jouin joue le jeu sans aucun compromis en collectant ces chansons qui marquent l'histoire de la Bretagne, mais en les interprétant avec la plus grande honnêteté, collant à une réalité souvent complexe, quitte à prendre tous les accents du terroir, à chanter volontairement faux ou désynchronisé pour les clips vidéo, avec un orchestre de synthés et un remarquable accordéoniste. Plus vrai que nature !
Par exemple, En avant les Bretons est la marche que chantèrent quatre cents énergumènes partis sur le Front de l'Est, parce que les Français étaient leurs ennemis et que les Allemands étaient ceux des Français ; à la Libération, ce syllogisme pourtant si peu suivi permit à l'État de cogner sur les Bretons et des les mettre à l'index (on arrêtait quiconque jouait du biniou ou de la bombarde !). À la même époque, Le Général de Gaulle est un hymne à la Résistance, hommage aux soldats marins fusiliers bretons, certes emprunt d'une bonne dose d'anti-germanisme. "Faut de tout pour faire un monde", ce n'est pas différent de chez nous (lorsqu'elle était petite, ma fille me demanda un jour si la Bretagne était en France) ! C'est tout de même sur ce bout de la Terre que l'extrême-gauche fait ses meilleurs scores et Le Pen son plus mauvais... Le barde peut citer le réactionnaire Théodore Botrel, mais ne le glorifie point. C'est le travail d'un ethnologue, aussi attaché à la forme qu'au fond.


Le barde a choisi d'illustrer cette marche avec des pingouins, aux couleurs du drapeau breton, le gwen ha du (littéralement blanc et noir), bannière herminée inspirée au début du XXe siècle par le drapeau américain ! Mais ces Bretons sont de drôles d'oiseaux qui défèquent devant la caméra... Le spectacle n'entretient aucune ambiguïté politique, car le barde commente chacune des ses chansons d'anecdotes croustillantes plus drôles les unes que les autres. Comédien, imitateur, il prend tous les accents de Pleyben à Ploudéac, accompagné deux heures durant par Robert Kervran à l'accordéon et son "petit ensemble", un orchestre virtuel de balloche pur jus, sans le soufre qui arrêterait la fermentation des pommes. Que l'on voyage un peu et l'on se rend compte que les Tziganes roumains utilisent chez eux les mêmes synthés pourris plutôt que les violons de la world. De l'authentique, vous dis-je, même si ça nous défrise le bigoudi de la bigouden. Sur scène, un écran projette des images d'archives ou d'autres ringardises pseudo-pychédéliques. Le barde n'a peur de rien, il raille sa culture avec tendresse comme les Belges ou les Juifs inventent des histoires drôles. En Bretagne, tout passe par la musique et la danse.

Lien vers l'interview du Barde

À l'époque de Silex (fantastique label de disques racheté par Auvidis et enterré par Naïve), son fondateur, André Ricros, m'avait expliqué que le folklore est le terrain de la réaction et que la musique traditionnelle est celui du progrès, voire de la révolution. C'est lui qui compara Lors Jouin à Nusrath Fateh Ali Khan, dans un répertoire certes très différent de celui du "barde" ! Lors réalise ici un travail critique et burlesque qui remet le folklore à sa place en en utilisant toutes les ressources, fussent-elles du plus mauvais goût. Vive le mauvais goût s'il nous permet d'entendre La brune de Langoëllan, anonyme coquin paru jadis sur l'Anthologie de la Chanson Française : " De quoi te méfies-tu belle charcutière, J'ai dans ma poche du boyau tout suiffé... ".
Les Bretons qui connaissent Lors Jouin depuis trente ans comprendront facilement le canular, humour grinçant qui vise juste. Les "étrangers" auront besoin d'une petite introduction comme celle que je me suis fixée. Alors, plutôt qu'écouter des fadeurs panceltiques, il est indispensable de découvrir ses autres méfaits. Certains sont tendres et comiques comme avec Les Ours du Scorff que tous les enfants adoreront s'ils ne les connaissent déjà, d'autres plus graves et actuels tel son groupe Toud'Sames (tous ensemble) réunissant Jean-Michel Veillon à la flûte, Alain Genty à la basse, David Hopkins et Dom Molard aux percussions. Retrouvez les déchirants gwerziou a capella du cd Moualc'h ar meneiou ou Tan Dehi, son duo avec le guitariste Soïg Sibéril, ou encore Les Ânes de Bretagne avec son éternel comparse Gigi Bourdin, une sacrée paire de joyeux drilles. J'ai toujours rêvé d'engager Laurent (c'est Lors en gallo) comme comédien, son premier ou son second métier, peut-être dans le feuilleton que nous ne finissons pas d'écrire avec Françoise, un rôle de gardien de phare reconverti en gardien d'immeuble parisien...

ANNIE EBREL & LORS JOUIN SE DISPUTENT TOST HA PELL
1er janvier 2015


Je suis tombé par hasard sur un disque qui m'avait échappé, duo de deux grands chanteurs bretons, Lors Jouin et Annie Ebrel, mais ce qui m'a titillé ce sont les ambiances qui tapissent le décor de certaines des pièces, quelques gouttes de pluie, une cantine (fest noz ?), des murmures... Resituer ainsi les histoires chantées nous transportent dans une réalité qui rappelle les illusions du cinématographe ou de la littérature. Il est surprenant que les responsables artistiques n'y aient pas plus souvent recours. Je prêche évidemment pour ma paroisse, ayant plus d'une fois intégré des bruits réels et des ambiances paysagères à des albums dont j'avais la direction.
Pour le disque Tost Ha Pell les deux joyeux drilles jouent à se disputer et se répondre, le plus souvent a capella. Je n'y comprends pas grand chose, car tout est en breton, mais le livret offre la traduction de ces duos typiques : un paysan et un marin, une mère et sa fille, un Cornouaillais et un Trégorois, voire le coq du clocher et l'horloge ! La dispute ou diskourioù est un genre vocal un peu oublié bien qu'il reflète les us et coutumes d'une société. (Coop Breizh)


Si vous n'êtes pas Breton ou n'avez jamais passé du temps dans le nez de l'Hexagone, bout de la Terre avant plongeon dans l'immensité de l'océan, vous serez surpris d'entendre cette langue vivante dans l'extrait vidéo ci-dessus. Un jour que Lors Jouin m'avait emmené chez les frères Morvan et que je trempais comme eux un petit beurre dans le vin rouge, l'un des vieux chanteurs s'excusa de ne pas parler français devant qui n'en travais que pouic. Comme je lui répondais que cela ne me gênait pas du tout et que je les écoutais comme si c'était de la musique, il s'esclaffa : "À quoi cela servirait que je parle français avec mes vaches ?!".


J'ai toujours été un grand fan de Lors Jouin, qu'il chante de tristes gwerzioù ou de gaies chansons à répondre. Comédien hilarant dans le registre de Jacques Villeret, il interprète Le Barde avec un mordant qui en troubla plus d'un dans son pays. Je l'avais filmé chantant l'inénarrable Général De Gaulle, une chanson qui remonte à la Seconde Guerre Mondiale. Dans le second extrait vidéo il est avec l'exquise Annie Ebrel, accompagnés par d'extraordinaires musiciens, le violoniste Jacky Molard, Ronan Pellen au bouzouki et la contrebassiste Hélène Labarrière de plus en plus "trad" depuis qu'elle vit en Bretagne !

SI LA MER MONTE...
26 mai 2015


Les Ours du Scorff sont égaux à eux-mêmes, fabuleux. Le public qui connaît leurs chansons bretonnes par chœur, leur répond d'une seule voix. Gigi Bourdin semble se réveiller d'une longue hibernation, plus zen tu meurs. Lors Jouin parsème d'intermèdes comiques son chant puissant qui l'a fait surnommé par certains le Nusrath du Centre Bretagne. Le violoniste Fanch Landreau [disparu en ce mois de novembre 2021], le guitariste Soïg Sibéril et le banjoïste Jacques Yves Réhault participent à la fête où les grands retrouvent leur âme de petits, et les enfants leurs rêves en kouign-amann.

LES OURS SONT DEVENUS DES ÂNES
25 septembre 2017


Les Ânes de Bretagne, ce sont d'abord Gigi Bourdin & Laurent Jouin. Depuis un quart de siècle qu'on les connaissait en Ours du Scorff à amuser les enfants de leurs chansons spirituelles aux jeux de mots à la Bobby Lapointe, seraient-ils devenus adultes avec leurs textes coquins ? N'y comptez pas trop. Certes les arrangements de Hélène Labarrière et Jacky Molard, qui signent aussi les compositions, sont correctement vêtus, mais les textes de Gigi Bourdin sont toujours aussi facétieux. Le bestiaire de ces garnements a juste changé de zoo. Il reste fondamentalement breton, même lorsqu'ils singent le moyen-orient sur Le loukoum. La basse de Labarrière, les violons, guitares et mandoline de Molard sont épaulés de temps en temps par l'accordéon de Janick Martin, les percussions d'Antonin Volson ou la clarinette de Dominique Le Bozec. Comme la musique est dansante, on peut au choix savourer les paroles ou se laisser porter par le rythme des chants à répondre qui nous entraîne dans la farandole du fest-noz...

→ Gigi Bourdin & Laurent Jouin, Les Ânes de Bretagne, cd Innacor, dist. L'autre distribution, 16,50€

mercredi 10 novembre 2021

Zappeurs-Pompiers 1 (1988)


Il ne reste pas grand chose des centaines de spectacles que nous n'avons donnés qu'une seule fois. Nous avons oublié. C'est toujours beaucoup de travail, mais la mémoire est volatile par essence. Nous oublions les émotions intenses du spectacle vivant au profit des notes, des images, fixes ou mouvantes, que l'on a pris le temps d'imprimer. Comprenant tôt l'importance des traces, j'enregistrai beaucoup, d'autant plus que nous pratiquions l'improvisation la plus libre qui soit. Chaque bande magnétique capte un instantané du Drame et le sauve de sa fulgurance jupitérienne. C'est se saisir d'un éclair pour le rejouer à l'infini.


Document d'archives. La qualité de l'image et du son est ce qu'elle est, pas terrible! Le 22 septembre 1988, Un Drame Musical Instantané répète Zappeurs-Pompiers 1 au cours de la Manifestation Internationale de vidéo et de télévision de Montbéliard. Le comédien Eric Houzelot, qui vient de quitter alors la troupe 4 litres 12, et la chorégraphe Lulla Card (aujourd'hui Lulla Chourlin) improvisent avec le trio du Drame. Je monte les images en direct à la zappette (débuts de la télévision par satellite) tout en jouant avec Francis Gorgé et Bernard Vitet. L'année suivante, Zappeurs-Pompiers 2, créé au Cargo à Grenoble pour les 38e Rugissants, écrit et composé par le trio du Drame, le clown Guy Pannequin et Lulla Card succèdera à ce premier jet entièrement improvisé. Nous collaborerons encore dans la même jubilation avec Lulla lors de notre succès à la Péniche-Opéra, 20 000 lieues sous les mers.
L'album suivant, Qui vive ?, sur lequel figure la musique du "2" a figé mon souvenir. Une captation en a été faite, j'ai les rushes, mais il faudrait que je trouve un moyen de transférer mes BetaSP pour raviver ma mémoire. En attendant, j'ai réalisé un petit montage du "1" bien que l'image soit sombre et le son distordu. 2 minutes 26 secondes pour le ressusciter !

Article du 5 janvier 2009

lundi 8 novembre 2021

Let's Get Lost


Confronté à l'imposant facing du film consacré à Chet Baker en tête de gondole dans un supermarché de la culture, je craignais le pire, mais comme je ne connais pas bien le trompettiste dont m'a souvent parlé Bernard, je prends le risque de le rapporter à la maison. Le coffret est luxueux, puisque le film de Bruce Weber est accompagné d'un making of, d'archives du tournage, de deux clips du cinéaste soit Everything Happens to Me et C'est si bon, du court-métrage The Teddy Boys of the Edwardian Drape Society et d'un autre, celui-ci avec Chet et réalisé en 1964 par Enzo Nasso. Le livret inclut d'émouvantes images de William Claxton, premier photographe à avoir saisi la belle gueule du rebelle, tandis que Weber montre la figure ravagée du toxico. Enfin un CD offre deux morceaux inédits enregistrés pendant le film.
Surprise, le film ressemble aux débuts de Cassavetes, noir et blanc très jazz, mouvements de caméra swing, les témoignages ne plombant jamais les documents d'archives ni les scènes tournées en 1987, un an avant que l'on ne retrouve le héros fracassé sous la fenêtre de son hôtel à Amsterdam. La musique est partout, rythmant la chronique d'une vie plutôt schizophrène, suavité de la voix et de la trompette, tendresse du regard d'un côté, brutalité, magouilles et bobards du bad boy de l'autre. À la manière de Weber de filmer son héros et les jeunes gens qui l'entourent, on peut se demander qui du cinéaste ou du musicien refoule ses pulsions homosexuelles. Les filles ont beau jalonné le parcours du jazzman, toute sa vie sonne comme une fuite en avant, le masque se fripant au fur et à mesure de la descente aux enfers.
Bernard Vitet m'avoue qu'il est triste que sa collaboration avec Chet Baker ne soit jamais évoquée. Lorsque l'Américain débarque à Paris, il propose au Français de jouer ensemble, lui assurant qu'il ne cherche pas un faire-valoir, mais qu'un orchestre à deux trompettistes serait une idée formidable. L'aventure dure six mois où le duo alterne sur scène jeu d'échecs et chorus. Au Chat qui Pêche, à l'époque sans micro ni sono, la voix de Chet ne porte pas à plus d'un mètre. Intègre, il n'avait d'oreille que pour la musique qu'il entendait, là tout près, susurrée.

Article du 19 décembre 2008

lundi 1 novembre 2021

Summer of Soul (ou quand la révolution ne pouvait pas passer à la télé)


C'est à la fois émouvant et épatant de s'apercevoir que le passé est toujours le produit de l'avenir. La mémoire faire revivre les morts qu'on n'a jamais connus. Je l'avais senti lors de la construction de mon arbre généalogique, mais il en va de même pour toute l'humanité. On peut aussi s'interroger sur la véracité de ce qui nous est transmis comme le fait Shlomo Sand dans Crépuscule de l'Histoire lorsqu'on comprend qu'elle est contée par ceux qui tiennent les rênes du pouvoir qui, de plus, ne relate que ses hauts faits. Comme le montre également Raoul Peck dans son dernier film, Exterminate All The Brutes, l'histoire des Noirs aux États Unis est encore très occultée.


Il aura donc fallu quarante ans pour que le film sur le Harlem Cultural Festival auquel 300 000 spectateurs ont assisté à Harlem en 1969, le même été que Woodstock, sorte d'une cave où les rushes avaient été oubliés. Grâce au producteur Ahmir "Questlove" Thompson (batteur du formidable groupe de rap The Roots et producteur de Common, Erykah Badu, Bilal, D'Angelo ou Al Green) a réalisé un documentaire de deux heures, Summer of Soul (...Or, When the Revolution Could Not Be Televised), sur l'évènement à partir des cinquante heures tournées à l'époque par Hal Tulchin et d'interviews récentes. Devant une foule immense, du 13 juin au 24 août, pendant six dimanches, se produisent des artistes "black" (c'est l'année où le terme supplante celui de "negro" dans la presse américaine) de gospel, blues et jazz. Le film ne suit pas la programmation chronologique, mais il me semble présenter la musique en trois parties : d'abord le gospel, puis le blues pour se radicaliser politiquement avec le jazz. Mais partout s'exprime la fierté d'être noir dans une Amérique raciste où le pasteur Martin Luther King a été assassiné l'année précédente. Le New York City Police Department étant quasi absent, ce sont d'ailleurs les membres du Black Panther Party, en uniforme comme en civil, qui assurèrent avec succès le service d'ordre dans le Mount Morris Park (aujourd’hui Marcus Garvey Park). La pauvreté de la communauté est largement évoquée (le festival était totalement gratuit, sponsorisé par le café Maxwell !) et l'on sent que tous se fichent pas mal de l'atterrissage sur la Lune de Neil Armstrong le 20 juillet, voire qu'ils sont scandalisés de son coût en regard des urgences sociales gravissimes.
Si Jesse Jackson, Marcus Garvey Jr ou le maire de New York de l'époque, John Lindsay, prennent la parole, il est évidemment passionnant de voir et entendre Stevie Wonder s'accompagner à la batterie ou au piano électrique (il a 18 ans), Nina Simone en grande prêtresse révolutionnaire, Sly and The Family Stone, Mahalia Jackson, B.B. King, les Chamber Brothers, The Staple Singers, The 5th Dimension, David Ruffin, Gladys Knight and the Pips, Ray Barretto, Hugh Masekela, Sonny Sharrock, Abbey Lincoln et Max Roach...