70 Perso - juillet 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 24 juillet 2006

Giraï, 96 ans


L'oncle de Françoise a survécu au génocide arménien de 1915. Les paysans turcs, qui ne pouvaient pas avoir d'enfant ou qui avaient besoin de main d'œuvre, adoptaient les garçons ravis à leurs parents. À Trébizonde, le père de Giraï, négociant en tabac, a été pendu à la cave, le bébé a été étouffé, sa mère s'est cachée pendant deux ans derrière une commode aménagée chez des amis. Elle a laissé filer son fils pour lui sauver la vie. Le petit s'est retrouvé à garder des vaches dans la montagne. Au passage de l'armée russe, les soldats montrèrent des photos aux gamins. Giraï aurait reconnu ses parents sur l'une d'elles. Récupéré par un oncle à Batoum et envoyé seul sur un cargo vers Constantinople, il ne retrouvera sa mère que quatre ans plus tard. Dans ce qui deviendra Istamboul, on ne persécutait pas les Arméniens comme en Anatolie. La mère et son fils fuirent à Paris, où ils vivront ensemble dans une toute petite chambre, même après la naissance de Rose en 1927. Rosette a dix-sept ans d'écart avec son frère.
Giraï, bien qu'il ait été freiné par le bris du col du fémur, est toujours aussi drôle, taquin et passionné par le monde en mouvement. Il y a encore deux ans, il grimpait toujours la côte à vélo, fomentant de nouvelles inventions vélocyclistes qu'il comptait faire breveter au Concours Lépine à Paris. Il déteste se sentir assisté, ayant très tôt compris que sa longévité dépendait de son agilité, intellectuelle et physique. Giraï (Gérard en arménien) a toujours préféré marcher plutôt qu'on le raccompagne chez lui en voiture. Et tandis qu'il trotinne, il fredonne des chansons des années 30-40, que dis-je fredonne, chante à tue-tête avec un trémolo à donner le vertige, pour exercer sa mémoire. Les jambes et la tête, gages de mobilité !
Cela m'amuse toujours qu'il m'appelle "mon petit", me renvoyant au paradoxe de l'âge. Il se passionne pour les nouvelles technologies, la mémoire des ordinateurs, la qualité des images numériques... Même s'il avait acheté deux magnétophones à bande, dès 1955, pour correspondre avec Françoise et Anny qui vivaient avec leur mère et leur grand-mère à Marseille, ce n'était pas sa sphère d'intervention. Il avait vendu des journaux à une terrasse de café de la Porte de Montreuil fréquenté par tous les gitans. Rosette se souvient bien de Django Reinhardt. Refait à neuf avec des fauteuils en skaï, le café fut déserté. Giraï livrait ensuite les kiosques le dimanche. Lorsqu'Adriana, la nièce de Françoise, est venue avec la décapotable de son père, Giraï n'attendait qu'une chose, aller faire un tour sur le port et le long de la plage. La capote automatique, encore plus que le GPS, le fascine comme le reste de nos gadgets électroniques. Il y a trois ans, je lui avais demandé quel était le plus beau moment de la vie. Il répondit sans hésiter "la jeunesse" et que s'il avait su alors ce qu'il avait appris depuis... Impatient, je le coupai, comme cela m'arrive souvent : "Tu serais une bombe ?!". "Non non non", hocha-t-il, "tout en délicatesse !".
Françoise a tourné une quantité de cassettes vidéo avec et sur Giraï qui serviront très probablement au prochain film qu'elle prépare.

lundi 17 juillet 2006

Sous les parasols


Comme il est agréable de se chamailler entre amis sur des sujets les plus variés, encore que cet après-midi tout le monde semblait d'accord sur les manipulations médiatiques, qu'on s'en foot ou qu'on assiste impuissants aux paranoïas guerrières... Le matin, nous avions commencé par le statut des intermittents pour terminer poussières d'étoiles. Tandis que les actualités squattaient mes derniers billets, nous nous reposions dans le Gard, partagés entre l'ombre et la piscine posée près des chevaux. Pascale et Jean ont transformé un ancien chai en somptueuse habitation et salle de spectacle lorsque l'envie s'en fait sentir. Quitte à venir s'isoler à la campagne, autant que le lieu soit accueillant, et nos amis de Nûba s'y entendent à merveille. À droite sur la photo, on reconnaîtra Jean-Pierre, un autre Allumé, cette fois du Triton, qui passait dans le coin avec Anna, nous faisant la surprise de leur visite. Antoine, le fils de nos hôtes, se joint à nous au déjeuner pour lequel j'avais confectionné des rillettes de sardines et Françoise avait composé un riz aux étrilles. Tout cela peut paraître anecdotique, mais la vie est aussi faite de ces moments de tendresse, plaisir de se retrouver entre amis, où la nature reprend ses droits et où nous pouvons laisser vibrer notre fibre animiste...

mardi 11 juillet 2006

Le coin de l'obsessionnel (2)


Quelques trucs à ne pas n'oublier d'emporter.
Mon couteau suisse, accroché à ma ceinture, ne me quitte pratiquement jamais, sauf en vacances, et encore ! Je m'en sers absolument tous les jours, en particulier le tournevis de précision pour mes lunettes qui se desserrent tout le temps, le stylo, le cure-dents, un couteau... Magnétophone portable et appareil photos. PowerBook avec iSight, borne Airport Express, câbles Ethernet, Ethernet croisé (pour connecter directement un vieil ordi), modem interne (en cas d'absence de connexion), FireWire, audio, lampe USB, disques vierges et d'installation, quelques DVD... Je pense à faire des copies de sécurité de toutes les données récentes. Une lampe de poche. De quoi écrire, de quoi lire (on trouve des bouquins partout, mais j'emporte le Diplo, les Cahiers, SVM Mac). Un maillot de bain. Des lunettes de soleil, même si ce n'est que pour se protéger des néons d'aéroport. Mon passeport et la carte du CNC qui permet de rentrer gratoche dans les cinémas d'art et essai. J'ai toujours sur moi mon attestation Assedic itou pour les musées nationaux. Je prends parfois mes jumelles, enfin la suite dépend de la destination. Cette fois, nous laissons Scotch, il a tout compris, monstrueusement inquiet par toute cette débauche de détails préparatifs, mais Elsa va très bien s'occuper de lui.

lundi 10 juillet 2006

Le coin de l'obsessionnel (1)


Je suis démasqué, mais on ne se refait pas, n'est-ce pas ? Comment, sinon, peut-on avoir la discipline de rédiger un billet chaque matin ? Je reprends le mode d'emploi de la maison avant le passage des pouvoirs à Jonathan en notre absence. Chacun porte sa petite névrose. Il y en a de banales, lorsque la vie nous a épargné de trop forts traumatismes. Pour les plus douloureuses, le recours à quelque thérapie s'impose de lui-même. Ce n'est jamais simple de laisser sa maison derrière soi et j'appréhende de la retrouver, dans quel état, à l'issue de mes voyages. Pour ne pas radoter, de la même façon que je raconte ici ma vie une fois pour toutes, je me débarrasse des obligations domestiques par un fichier Word que je laisse au gardien du temple. Lorsque je vivais seul, j'avais coutume d'appeler Xanadou cet édifice acquis avec mes droits d'auteur, une fierté de nouveau riche. Je passais mes soirées devant le grand écran, un morceau de chocolat dans une main, un joint dans l'autre. Je ne suis plus seul, je vis heureux, mais je ne suis pas certain d'avoir changé tant que ça. Quel travail !

Le mode d'emploi de la maison débute avec une liste de numéros de téléphone à appeler en cas d'urgence : les nôtres, ceux de ma fille, ma mère, les voisins, les amis. Suivent ceux de la maison, une tripotée, dont celui qui permet de joindre tant la métropole que les États Unis gratuitement (Jonathan est new yorkais). Je copie-colle la suite, toute une littérature qui peut paraître débile et sans intérêt à qui ne vit pas là, mais qui en dit pourtant long sur les us et coutumes, non ?
POUBELLES : Recyclables (papier, plastique) MERCREDI Verte (passe à partir de 17h) - Le reste LUNDI et JEUDI Bleue - Verre sur la petite place du boulanger.
GAZ bouteille de rechange dans garage, clef sous cuisine avec bouteille en cours.
CHAT 1/3 boîte matin ET soir – et laisser toujours de l’eau. En cas d’absence, opter pour croquettes (sous plaques cuisson) : une poignée par repas. Scotch passe par la chatière pour aller derrière, et par le soupirail de la cave pour devant. En cas de "son" absence, condamner les deux accès pour empêcher d'autres matous de venir pisser dans la maison.
ARROSAGE * extérieur tous les 2 soirs s'il ne pleut pas, bien arroser les grands bacs (conifères, noyer bambous !), arroser devant en traversant le salon avec le tuyau !!! (surtout pots et bambous) * intérieur 1 fois par semaine (le week-end, par ex.) = 2° : chb bleue & salle de bain – Escalier –1° : SdB et salon – RdC : cuisine, bureau Françoise dont tout en haut attention pas déborder, et entre fenêtres studio.
JARDIN Devant : Romarin, Estragon, Sauge, Thym, Thym citron, Ciboulette, Laurier / Derrière : Menthe, Sariette, Verveine, Thym, Laurier, Fruits selon saison.
INTERNET en cas de problème débrancher/rebrancher la prise électrique FreeBox et borne Airport – Ne pas éteindre le G5 si on s’en sert tous les jours - Pour imprimer avec la R300 il faut que le G5 soit réveillé. Sinon, prendre l’Epson 740 qui est par terre dans le studio - Suivent les mots de passe Mac et PC ainsi que tout ce qui concerne les alarmes que je ne suis assez fou au point de les détailler ici.
ELECTRICITÉ Ne pas mettre le four à la position maxi. En cas de panne, les sécurités compteur sont au-dessus de la grande loupe et à l’entrée du studio.
FENÊTRES Bien les fermer en cas d’orage.
VIDÉO Penser à allumer/éteindre le caisson de basse en cas de 5.1 - Projecteur : régler sur S-Vidéo pour VHS et Satellite, ainsi que le format 1=Normal, 2 ou 3= deux formats 16/9, 5=sous-titres… Éteindre en 2 coups (le projecteur met 2mn pour arrêter de souffler) - Ampli : VCR1=satellite et graveur DVD, VCR2=VHS, DVD=conserver position "standard" sur bouton gauche doré, etc. - Visiopass : satellite. Pour regarder la TV : allumer le graveur DVD, le Visiopass, l'Ampli sur VCR1- Modes d’emploi vidéo sous proj - Bases de données « vidéothèque », « carnet d’adresses » sur G5 - Ne pas ranger un CD ou un DVD à une mauvaise place, en cas de doute mieux vaut l’empilement et je rangerai en rentrant.
HI-FI RdC CD=appuyer sur Tape 1 (lit aussi les dvd si on allume le moniteur !). Pour radio, rien d’appuyé. Pour DVD, comme CD, en allumant en plus la TV avec télécommande appuyer 3 fois sur AV pour avoir AV3 !
FEU Attention d’ouvrir la trappe avant de se servir de la cheminée. Charbon de bois dans le cagibis jardin.
CAVE Allumer la seconde cave avec le bouton gris du bas à l'entrée de la buanderie (celui du haut éteindrait la chaudière !)... Lessive à droite de la machine, on peut rajouter du Soupline dans le compartiment de droite pour que le linge soit plus doux, choisir le textile, la température (en général 40° sauf les tissus délicats 30°), appuyer sur le bouton de droite "Marche"... on peut sécher avec l'essoreuse à gauche : choisir dans cet ordre le textile (je mets souvent "mélangé"), puis "prêt à ranger", puis "Marche"... À la fin nettoyer le grand filtre qui est à l'intérieur à gauche (in-dis-pen-sable !)... Penser à mettre les deux machines sur "Arrêt" quand terminé !
QUARTIER Très bons boulanger et boucher sur la petite place, épicier dix mètres plus loin... Au bout de la rue, tabac-journaux... Marché sympa mercredi et dimanche matins (au métro, c'est la rue qui part à gauche à la patte d'oie), fromager à gauche et poissonnerie à droite en entrant... Bonne librairie en face... Le supermarché le plus proche est Champion (seul rayon poissonnerie de la ville)... Bons films en bas au ciné (v.o.), 5 minutes à pieds... VÉLOS dans garage...
C'est grave, docteur ?

vendredi 7 juillet 2006

L'Harley sienne


Quel plaisir de revoir Bernard chevaucher sa Harley ! Une nuit il y a deux ans, il s'était fait voler sa moto devant chez lui, rue Pelleport. Depuis, il ne sortait presque plus. Je l'ai toujours connu détestant marcher. Il lui arrivait pourtant de venir à pieds jusqu'ici, de temps en temps. C'était une plaie de lui appeler un taxi tard le soir : parfois les chauffeurs se perdaient, d'autres fois ils devaient prendre quelqu'un d'autre sur le chemin, mystère, il est arrivé que l'on en appelle trois ou quatre avant d'en voir venir un seul. C'était un gag récurrent qui n'arrivait qu'à lui, n'arrangeant pas son côté casanier. Depuis le temps qu'il en parlait, il a fini par avoir les moyens de se racheter le même modèle d'occasion. C'est une bonne époque pour rouler dans le vent, lorsque l'on craint, comme lui, la chaleur. J'avais acheté un casque pour pouvoir jouer les passagers motocyclistes lorsqu'une occasion se présente...
La résistance à la marche à pieds met Bernard en danger, comme ma maman qui a de plus en plus de mal à se déplacer. Je repense à Giraï, l'oncle de Françoise et Anny, qui avait compris que sa vie dépendait de sa mobilité, intellectuelle et physique. Il y a encore deux ans, il n'avait que 93 ans (rescapé du génocide arménien, il ne connaît pas sa date de naissance exacte), il préférait rentrer chez lui à pieds pour entretenir sa santé et profitait du chemin pour chanter à tue-tête des chansons françaises des années 30-40, histoire de faire travailler sa mémoire, autre pôle indispensable de sa mobilité et de son autonomie. Sa fracture du col du fémur a été un coup de frein brutal à ses escapades à pieds ou à bicyclette, il a peur de retomber, alors il marche avec une canne. J'aime beaucoup parler avec lui du temps passé comme des avancées technologiques. Il parle de mon PowerBook comme d'une gigantesque mémoire, ça lui parle. Je pousse Bernard à acquérir un ordinateur pour le sortir de son isolement. Hier, il me disait comprendre que la virtualité accentuait la réalité des individus. Les amis qui ne sont pas connectés au Net disparaissent corps et biens. Bernard adorerait Babylone. En attendant, il passe nous voir et c'est un vrai plaisir de le voir heureux sur sa moto à 72 ans.
À gauche sur la photo, on aperçoit Jonathan qui arrivait à l'instant de New York où il enseigne au Queens College. Chaque été, il vient travailler à Paris sur l'exception culturelle française dans le cinéma et en profite pour voir les copains. Il garde notre maison lorsque nous descendons vers le sud. J'aime bien ses interrogations sur le monde, sur les différentes façons de voir les choses, ici et là-bas. Nous parlons des laissés pour compte, des banlieues enflammées, du potentiel politique qu'elles pourraient représenter alors que les partis traditionnels sont devenus anachroniques. Hier soir, la discussion avec Anny, Françoise, Bernard et Jonathan portait sur les motivations différentes des Américains au Vietnam, ou en Afghanistan et en Irak... Jonathan pense que jamais son pays n'osera attaquer l'Iran qui est un état puissant, rien à voir avec l'Irak. Le ton monte lorsqu'est abordé le rôle de l'Union Soviétique, sa politique hégémonique et son éclatement... Nous louons le courage et la détermination du peuple vietnamien. Quelle idéologie sous-tend les guerres d'indépendance ? Comment cela dégénère-t-il souvent ensuite ? Il y avait longtemps que nous n'avions pas passé une soirée "café du commerce", c'était marrant.

mardi 4 juillet 2006

Elsa, 21 ans hier


J'ai toujours un peu peur de me faire engueuler par Elsa lorsque je parle d'elle, ici ou ailleurs. À cet âge, et ça ne date pas d'hier, on a besoin d'exister par soi-même, sans que les parents viennent en rajouter une couche, on n'est plus des bébés. La photo rappelle ses 21 ans passés. À gauche, la cousine, Chloé, la famille, elle compte d'autant plus qu'Elsa en a peu ; Chloé, à qui tout réussit sans effort, est toujours aussi naturelle. En dessous, Alice, l'amie de toujours, même immeuble, même nourrice, chamailleries et réconciliations. À droite, sa petite sœur, Clara, la tendresse du regard ; Elsa, fille unique, en a toujours rêvé, une sœur. Au-dessus, Galilée, c'est la grande sœur virtuelle, passionnée, et toujours l'immeuble (il y avait une dizaine de gamines à peu près du même âge pour un seul garçon, Victor, le frère d'Alice et Clara ; je ne parle pas des plus âgé/e/s ni d'Antonin qui était plus jeune, mais dont j'aborderai certainement un des jours les prouesses musicales et artistiques). Elsa, au centre de ses amies, fêtait dimanche soir son anniversaire au milieu de tous ses copains et on recommençait hier parce qu'elle est née le 3, le même jour que Scotch, le chat ; elle adore ses trois matous, les deux autres, Ouist et Snow, vivant avec sa mère chez qui la photo est prise. Manque Agathe, l'immeuble encore, le clown de la bande, elle a appelé de Berlin... La pose de chacune leur ressemble bien... Derrière, on aperçoit le piano, un Gabriel Gaveau, la musique... Elsa est attachée aux lieux de son enfance, Ménilmontant et L'île Tudy, mais elle est déjà sur la piste d'envol, logique pour une trapéziste, départ annoncé... Elle n'habite plus avec moi depuis bientôt deux ans, elle grandit vite, je suis un peu triste de penser que je ne la verrai probablement plus avant la rentrée...