70 Perso - février 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 20 février 2007

Epimanondas, 36 ans après notre premier concert


Retrouver Edgard trente-cinq ans après nos débuts sur scène est extrêmement émouvant. Chacun se souvient d'un petit bout de l'histoire et le puzzle se reconstitue avec, malgré tout, de grands vides communs à tous les trois. Edgard a pourtant une mémoire phénoménale. Des faits ignorés de Francis et moi expliquent un peu ce que nous avons traversés alors. Des personnages prennent tout leur sens. Certains naissent, d'autres meurent. Nous sommes heureux de nous retrouver là, tous les trois, au coin du feu, à écouter aussi avec stupeur ce que nous avions créé...
Le mercredi 3 février 1971, nous organisions le premier concert de rock au Lycée Claude Bernard où nous étions en Terminale. La seconde partie était constituée d'un orchestre bicéphale, "Le Grand Berthoulet et ses péquenots flippants" réunissant Red Noise, le groupe de Patrick Vian (fils de Boris Vian) et Planétarium. Le samedi, Dagon, groupe des frères Lentin, Jean-Pierre à la basse et Dominique à la batterie, avec le guitariste Daniel Hoffman et le flûtiste Fabien Poutignat (dit Loupignat, fondateur des broches lumineuses Loupi !), venus de Buffon, remplaçait Berthoulet. J'ai eu la chance de jouer avec les uns et les autres ; avec Patrick Vian, Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon et Jacques Higelin à la Mutualité pour un concert de soutien au Secours Rouge, avec Dagon à la Fac Dauphine dans un costume avec des plumes multicolores collées à mon arrière-train (je manipulais des publicités radiophoniques...). Si H Lights, le groupe de light-show que j'avais fondé avec Antoine Guerreiro (liquides bouillants), Michel Polizzi (idem), Jean-Pierre Laplanche (manipulations) et Thierry Dehesdin (photos), projetait ses images psychédéliques sur la scène, le clou du spectacle était pour nous Epimanondas, notre propre orchestre. Le jeune Luc Barnier, entré dans le groupe après le départ de Michel pour les USA et devenu depuis monteur cinéma (Assayas, Bagdadi, etc.), nous donna un coup de main. Epimanondas réunissait Francis Gorgé à la guitare, Edgard Vincensini à la basse, Pierre Binsard à la batterie. Francis écrivait la musique et moi les paroles. Je chantais (en anglais !), manipulais des bandes magnétiques, jouais du sax alto et de la flûte, des percussions, de la guimbarde et d'un instrument électronique fabriqué à partir d'un amplificateur de téléphone. Cet appareil m'accompagnera, entre autres, au vernissage de l'expo Warhol au Musée d'Art Moderne.

Edgard est devenu avocat pénaliste, un cœur d'or sous un déluge de paroles, c'est toujours le même. Il tirait la langue lorsqu'il jouait de la basse. Francis le taquinait "Edgard, joue !" comme on me répétait enfant "Jean-Jacques, mange !". Je me suis bien rattrapé. Edgard est toujours le même. Il plaidera avant, pendant et après le dîner. Présent dans presque toutes les grandes affaires (les écoutes de l'Élysée, Elf, etc.), il raconte la vie politique de la cité, ce qui ne fait que conforter ce que je pressentais. La démocratie est un vain mot. Révolté contre l'iniquité de la justice et la faillite de la liberté dans notre pays, il dresse un portrait sans aménité de ceux qui nous gouvernent ou en rêvent (évidemment sans rien dévoiler de ce qui est couvert par le secret professionnel). Nous passons une soirée fabuleuse entre évocation des anciens potes et résumé de nos vies tumultueuses... Hélas, Pierre, qui avait fait de l'import-export à Hawaï et travaillait dans l'industrie de luxe, s'est fracassé le crâne l'année dernière en accrochant un tableau dans la chambre de sa fille. De notre côté, Francis et moi avons continué à jouer ensemble jusqu'en 1992 où il a quitté Un Drame Musical Instantané pour devenir le spécialiste QuickTime en France. Ni lui ni moi n'avions eu de nouvelles de nos anciens camarades de jeu jusqu'à ce que la fille d'Edgard et la nièce de Pierre retrouvent ma trace sur ce blog (voir commentaires du blog du 20 août 2005).
J'ai remis à chacun une copie numérisée de notre concert inaugural du 3 février, ainsi que celle d'une répétition l'année suivante pour un nouveau répertoire avec Guy (Edgard se souvient de son sobriquet, "Tom Pouce"!) remplaçant Pierre et le flûtiste Antoine Duvernet qui rejoindra plus tard Urban Sax, l'orchestre dirigé par Gilbert Artman, fondateur de Lard Free. Je fis d'ailleurs partie de ce groupe pendant quelques mois vers 1974, en trio avec Richard Pinhas (Heldon) à la guitare tandis que j'étais aux commandes de mon ARP2600 (concerts au Gibus et au Bus Paladium !). Edgard se souvient que le troisième concert d'Epimanondas, le 12 mars à la Maison des Mines, était retransmis à la radio et que nous étions tous en blanc (sauf moi en noir !) pour nous fondre aux projections lumineuses du light-show. Nous nous sommes quittés très tard après nous être promis de ne pas attendre trente-cinq ans pour nous revoir.

jeudi 15 février 2007

Le transport que je préfère, c'est celui de mon cœur...


La photo de Brassaï fait remonter d'étranges souvenirs. Pendant trois ans, une fois par semaine, j'ai pris le métro de la Porte de Saint-Cloud à la Bourse pour faire régler mon appareil dentaire passage des Victoires. J'achetais des petits fascicules de bande dessinée dans la station pour lire pendant le voyage. Dedans, il y avait de la publicité pour les lunettes à rayons X qui permettaient de voir à travers les vêtements. J'étais abonné à Tout l'Univers depuis que je ne recevais plus Tintin. C'étaient les années 60.
J'avais commencé tôt à voyager seul. Ma grand-mère venait me chercher à l'arrêt d'autobus devant l'Hôpital des Enfants Malades. Je n'avais que cinq ans et nous venions de déménager de la rue Vivienne à la rue Léon Morane dans le XVième. J'adorais rester dehors sur la plate-forme arrière avec le contrôleur qui faisait cricric en passant les petits tickets étroits dans la boîte qu'il portait sur le ventre à la ceinture et en tournant sa manivelle. J'entends encore le diling de la chaîne qu'il tirait pour signaler le départ au conducteur. Nous adorions monter ou descendre en marche même si c'était interdit.
À la même époque, mes parents ont confié ma sœur et moi aux passagers du compartiment pour que nous n'oublions pas de descendre du train à Grenoble. Agnès avait trois ans et je m'en occupais avec le plus grand sérieux. J'ai continué jusqu'à ce que nous ayons dix-huit et quinze ans. Mon tempérament inquiet est le fruit de cette responsabilité.
Lorsque j'eus onze ans, mes parents m'envoyèrent à Greenways School, dans le Wiltshire, pour apprendre l'anglais. J'y ai tenu mon premier Journal. Il commence le vendredi 24 juillet 1964. This morning, at a quarter to 9, I went by coach to Beauvais. At a quarter past ten, I took the plane. At eleven o'clock, I took the coach. At a quarter to 2, I arrived at London. A lady was waiting for me. This afternoon, I took the train to Salisbury ; Mrs Clarke's son brought me to Greenways. I unpacked my clothes and put them in the drawer. And I had dinner at 10 to 10. Then I went to sleep in my bed. Good night! C'est précis. Mes grands-parents avaient coutume de nous offrir une montre à nos six ans, à condition que nous sachions lire l'heure. Je remontais la montre à aiguilles chaque soir avant d'aller me coucher. Mon diary est illustré avec des cartes postales, des papiers de bonbons anglais, photos de mes copains (c'était un collège international), tickets, plumes de perdrix... Le 6 août, je suis resté médusé par les cris hystériques des fans des Beatles pendant la projection d'A Hard Day's Night dans une salle de Salisbury. Il y avait toujours deux films par séance. Quelques jours plus tard, perché sur la branche d'un grand arbre du parc, j'ai réussi à embrasser Valérie, qui venait de Suisse. C'était la première fois que je tombais amoureux. Nous avons visité Stonehenge et la fabrique de chocolats Fry. J'en ai gardé un souvenir terrible du travail à la chaîne.
Les feuilles volantes se perdent. J'ai continué à écrire dans des petits cahiers. Pas loin de quatre-vingt. En regardant la photo de Brassaï, je repense au poinçonneur des Lilas, maintenant que j'habite à côté. Le titre est extrait d'une chanson écrite pour Elsa lorsqu'elle avait neuf ans...

mercredi 14 février 2007

Entièrement


J'ai déjeuné avec ma fille au restau thaï. Le soir j'ai regardé un film de Frears. L'histoire d'un producteur qui montait une revue musicale. Samedi dernier, Françoise m'a entraîné à la médiathèque de Bagnolet. J'ai parcouru un livre sur Sidney Bechet. Il était question de la catastrophe financière qu'avait représentée l'opérette Nouvelle-Orléans au Théâtre de l'Étoile. Un conflit social entre la direction du théâtre et son personnel ; Sidney se faisant porter malade pour assister à un match Salle Wagram. Mon père a mis sa vie à rembourser cette faillite. Histoire de conscience. Et moi, je suis là. À vivre mes rêves.
Papa, j'ai repensé au mien, mort il y a bientôt vingt ans. J'aimerais bien lui passer un coup de téléphone. Je ne crois pas à quoi que ce soit de rassurant après la vie, si ce n'est le repos, bien mérité si possible. Pourtant, j'ai imaginé un jour le rejoindre. Drôle d'idée. L'infini. Les atomes. Je m'aperçois que je l'oublie petit à petit. Pour être précis, ne restent que les émotions, un regard, le rire et ses pleurs de joie, sa voix, je ne sais plus, ça s'efface ; il me manque. Je n'ai pas pu retenir mes larmes. Ça faisait longtemps. Maman m'a appelé cet après-midi. C'est bon d'entendre une voix que l'on aime. Je pense aussi à Elsa et à Françoise. À chacune de nos solitudes. À chacun.
Il y a du vol à vieillir. L'héritage. On prend la place de ceux et celles qui nous ont précédés. Insidieusement. Sans qu'on en décide. On les pousse peu à peu. En approche. On bouge en fonction d'eux. Avec ou contre. J'étais redevenu un petit garçon. Pas un peu. Entièrement. Celui de mon père.

dimanche 4 février 2007

Les ailes d'Elsa


Elsa, qui vient de mettre son site en ligne, est de retour au Cabaret Sauvage à Paris le 23 février avec La Caravane Passe et La Clique de Plèchti pour un nouveau Vrai-Faux Mariage avec vrais danseurs, faux mariés (Yann-Yvon Pennec dans le rôle de Sača et Môh Aroussi dans celui de Mona), clowns, acrobates, magicien et vodka ! Plus le bal de DJ Tagagda en after. C'est à 20h45 et il est prudent de réserver ses places à la Fnac ou sur digitick.com car le spectacle se joue régulièrement à guichets fermés.
À New York nous avions été surpris du nombre de gens qui s'étaient mis au trapèze depuis que la série Sex and the City avait montré la Trapeze School avec le personnage de Carrie comme adepte. Enfant, pendant les grandes vacances sur la plage de La Baule, j'adorais grimper sur celui du Gymnic Club, mais je n'aurais jamais imaginer avoir une fille trapéziste. Au cirque, c'était l'attraction qui m'intéressait le moins, je trouvais que c'était pour les filles et préférais les clowns. Je me souviens très bien d'Albert Fratellini, mon préféré, j'avais cinq ans. J'ai retrouvé une photo avec le Drame où je joue de la flûte contrebasse la tête en bas les pieds en l'air. Elsa ignorait tout cela lorsqu'elle est entrée à l'École du Cirque un peu avant d'avoir huit ans. Elle parle merveilleusement du travail social réalisé par Annie Fratellini avec les jeunes en difficulté. Elsa a fui les prouesses acrobatiques du cirque pour un numéro tout en émotion. Je suis curieux de savoir vers quels prochains cieux elle se tournera.

© Photo d'Elsa Birgé : L. Alexandre