70 Perso - mars 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 23 mars 2007

Énigme


Parfois Scotch ne me comprend pas. Pourquoi je bosse sans répit depuis tôt le matin jusqu'à ne prendre mon bain qu'au moment d'aller préparer le dîner pour filer regarder un navet sur Canal. Scotch y perd son latin, mais du moment qu'il mange à l'heure tout va bien. Deux repas par jour, un tiers de boîte chaque fois, mais j'évite de lui donner dès que je me lève, sinon il s'impatiente et nous réveille. Parfois Françoise lui achète du poisson frais tandis que je lui fais toujours goûter ce que je mange, mais il est habitué à ses boîtes. Il n'est pas facile de m'arrêter lorsque je rédige le premier jet d'un texte. L'article s'intitule pour l'instant "Dessins animés et films d'animation", c'est pour le n°19 des Allumés. Le sujet colle bien avec la nouvelle manière de faire illustrer le Journal par des dessinateurs. Mais l'ordinateur s'est mis à faire tourner sa roue arc-en-ciel chaque fois que je faisais un geste. Redémarrages, gravure d'un dvd de sécurité, une légère sueur froide, je ne suis pas certain d'avoir réparer quoi que ce soit, quelqu'un a une idée ? Scotch n'en revient pas. Tant de temps passé devant l'ordi... Il croit peut-être que c'est pour la chaleur qu'il dégage. Mais il voit aussi mes doigts qui s'animent frénétiquement. Ça ne colle pas.
J'appelle Bernard pour discuter de la musique du film dont nous devrions composer la musique. L'éternelle question de l'orchestre se pose, enregistrer dans un pays de l'Est ou habiller un clone des habits d'une petite formation ? Celle du studio lui succède : ici ou ailleurs ? Nous construisons peu à peu un plan possible. Les contraintes et les désirs définissent le cadre : verse-A-B-A, comme une chanson. Le film est court, un tract, une idée, mais énormément d'éléments. L'obscurité menaçante doit être suivie d'une gloire précédant la plénitude du pluralisme et de l'union. Des cordes certainement, mais orchestre ou quatuor ? Une valse, suggère Bernard. Ajouter la percussion et les solistes. Nous envisageons un accordéon, une guitare (manouche puis électrique) et une anche irlandaise style Uilleann Pipes, mais je ne suis pas sûr de comprendre de quel instrument parle Bernard, je crois que c'est ça mais sans le bourdon. Il parle d'un régulateur ! Les documents d'archives seront ajoutés dans le rythme, comme un montage radiophonique, des bribes zappées style Crimes parfaits ou Des haricots la fin. Comment conserver l'émotion en ciselant le sens ? Les poils sont censés se dresser sur les bras, mais ça parle à l'intellect, gageure intéressante. Scotch s'en fiche. Ses poils sont doux. Il voudrait bien comprendre qu'est ce que je fabrique au lieu de m'occuper de lui.
Après des journées si remplies, j'ai du mal à déconnecter. Regarder un film ou sortir. Scotch préfère le film. Mais nous ne connaissons rien de sa vie lorsque nous sommes absents et nous ne comprenons jamais à quoi il pense. Les autres chats sont souvent plus clairs dans leurs intentions. Mes inquiétudes, le plaisir de faire, mes rêves (j'aime faire bouillir mon cerveau), rien de bien mystérieux. L'énigme, c'est Scotch.

jeudi 22 mars 2007

Pic et Pic et Tea Time


En sortant de la formidable installation d'Agnès Varda au Panthéon le 21 janvier 2007, nous passons faire une visite surprise à Francis et Ge. Christine et Dominique qui arrivent du XVe ont la même idée. Cela fait des mois, voire des années pour Christine, que nous ne nous sommes pas vus les uns et les autres. Geneviève immortalise nos retrouvailles et Francis m'envoie aujourd'hui la scène retravaillée comme si c'était la case d'une bande dessinée. De gauche à droite : Francis Gorgé, mon copain de lycée avec qui j'ai fait mon premier concert à Claude B. et partagé Un Drame Musical Instantané jusqu'en 1992 ; de dos, Christine Éon, qui a un poste de responsabilité à l'agence de pub Saatchi & Saatchi ; ma chemise allemande dissymétrique achetée à Sitges au sud de Barcelone ; Dominique Meens qui fit travailler le Drame dans la banlieue rouge à la fin des années 70 et devenu depuis un écrivain prisé pour ses créations littéraires, en particulier autour des oiseaux. Sur les murs, des tableaux récents de Francis qui s'est remis à la peinture, sur les traces de ses parents. Le piano rappelle que nous sommes chez des musiciens. Geneviève Cabannes, que j'ai connue dans le groupe Lô et fit partie du grand orchestre du Drame puis du trio féminin Pied de Poule pendant dix ans, joue de la contrebasse avec Elisabeth Wiener et Castafiore Bazooka, le quintette à cordes Alhambra, Joseph Racaille... Francis et Dominique ont un site commun, assezvu.com où l'on trouve leurs disques réalisés ensemble, des vidéos avec Meens, des photos inédites de Birgé Gorgé Shiroc, des extraits sonores du Drame... Pour ne pas être en reste, voici deux extraits d'une création radiophonique inédite que j'ai composée sur un texte de Dominique Meens, Le pic, enregistré il y a vingt ans, le 16 janvier 1987, au Studio GRRR... Dominique est le narrateur ; je joue du piano sur Couper court (3'30"), des synthétiseurs DX7 et PPG, échantillonneur, appeaux et percussions sur Issues (33').

Couper court :
Extrait d'Issues :

jeudi 15 mars 2007

Atom à Bagnollywood


Au dernier passage d'Atom, nous avions regardé Citadel, son film tourné à Beyrouth en dv qu'il présentera début mai au Centre Pompidou. C'est l'histoire du retour de sa compagne Arsinee dans son pays natal après vingt-huit ans d'absence et de ce qui ne devait pas être vu. De retour avec elle, cette fois à Bagnolet, il choisit un film de Jacques Tati pour montrer notre salle de projection à leur fils Arshile. Comme Atom me demande quel film je projette lorsque je veux faire une démo, je choisis Kaipochee, une scène de Hum Dil De Chuke Sanam, film de Bollywood réalisé par Sanjay Leela Bhansali avec Salman Khan. Écran large, son 5.1 particulièrement enveloppant et rebondissant, musique jubilatoire d'Ismail Darbar... La chorégraphie exceptionnelle emballe Atom qui découvre ici le cinéma populaire hindi contemporain. Les dizaines de cerfs-volants qui se croisent dans le ciel répondent au formidable ballet se déroulant sur les terrasses d'un inimaginable palais de rêve. Chaque fois que je repasse cette séquence, je suis aussi excité que pour Les demoiselles de Rochefort...


À table, nous comparons les mœurs françaises et canadiennes, les fractures libanaises et les réflexes arméniens. Comme Atom nous raconte sa merveilleuse installation sur la mémoire avec la participation des collectionneurs de bandes et de magnétophones (nous avons emprunté le dvd à la Médiathèque), je lui montre la bobine de fil magnétique qui appartenait à mon père. C'est ce qui a précédé le ruban 6,35. Arsinee évoque les passages couverts parisiens. Arshile espère que Nabaztag est branchable à Toronto (il faut que je me renseigne demain auprès de Maÿlis... Après Agnès Varda, j'ai appris aujourd'hui que François Rabbath possédait un de nos lapins communicants !) et s'étonne que les réseaux wi-fi à Paris soient presque tous protégés par des mots de passe alors qu'en Amérique du Nord on trouve à se connecter un peu partout grâce aux bornes personnelles. C'est une autre mentalité. Françoise, qui a cuisiné une délicieuse joue de bœuf (!), a beau avoir réussi la création de son Ciné-Romand samedi dernier reste tendue devant la perspective de sa reprise samedi prochain. Si elle ne fait que quelques petites inversions de projections dans l'appartement principal, elle renouvelle complètement les participations du voisinage. La régie reste copieuse pour mettre en place le dispositif complet et la réception des invités exige de nombreux guides. De mon côté, je prépare la soirée exceptionnelle au Triton pour laquelle Jean-Pierre m'a demandé de jouer Monsieur Loyal...

mercredi 14 mars 2007

Bifurcations


Aux feux rouges, les cyclistes qui traversent la capitale s'échangent des remarques printanières sur la beauté des choses. Arrivé à Radio France, Bruno Letort m'interroge pour Tapage nocturne au sujet de mon nouveau cd avec Houellebecq (diffusion sur France Musiques jeudi soir à minuit). Je profite du soleil pour aller faire des emplettes. Françoise m'emmène au Mouton à cinq pattes acheter des pantalons aux couleurs vives comme de jolis fruits pour trois francs six sous : orange, vert pomme, jaune citron. Je trouve l'intégrale d'Edith Piaf en 20 cd pour un prix ridicule, mais je suis stupéfait qu'aucun nom d'auteur ne figure nulle part sur le coffret édité par EMI. Par contre les galettes sont superbes, noires comme les anciens disques en bakélite ou en vinyle...
Le soir, nous sommes invités chez Chantal et Bruno Latour "à partager nos expériences d'artistes et de chercheurs autour d'un plateau de fromages et de vins". Olivier Vallet présente le travail de la compagnie des Rémouleurs (image ci-dessus), marionnettistes et montreurs d'ombres. Chacun raconte ses prochains spectacles et ses projets. Tout ouïe, nous échangeons quelques vues. Il est question de l'effacement du cadre. L'ambiance est sympathique, nous faisons des découvertes. Après Iconoclash et Making Things Public au ZKM, Bruno aborde le sujet de sa prochaine exposition intitulée Bifurcation. De son côté, Chantal Latour anime aussi avec Omer Corlaix les soirées de l'Appart, un club de rencontres entre compositeurs et interprètes. Ces salons semblent d'un autre siècle, mais est-ce le XIXème ou le XXIIème ?
Tard dans la nuit, nous grimpons vers chez nous en passant par notre itinéraire préféré à bicyclette. Nous évitons la montée Père Lachaise Gambetta en empruntant la rue Oberkampf, puis à droite et à gauche en baïonnette vers la rue des Panoyaux que nous suivons jusqu'à l'escalier qui mène rue Sorbier pour déboucher Place Martin Nadeau. Il suffit de pousser le vélo le long des marches et le tour est joué. À Pelleport, nous roulons sur le trottoir pour prendre la rue du Surmelin, qui est dans le mauvais sens, jusqu'à la Porte de Ménilmontant ; nous sommes presque arrivés.

vendredi 9 mars 2007

Le coin de l'obsessionnel (3)


Pas d'eau chaude. On est peu de chose. J'ai oublié de remplir la cuve à mazout. La température chute très vite. Le prix du fuel, lui, se maintient, tout en haut. Mais il reste des à-pics avant les cimes. Le prix du baril fait froid dans le dos. Les compagnies pétrolières et l'État se sucrent au passage, main dans la main. Normal que cela ne marche pas, le sucre et le pétrole ne feront jamais bon ménage. Tous n'ont pas été convoqués par le juge. On en a sacrifié quelques uns sur l'autel de la respectabilité, épargné d'autres au nom de la raison d'état. Mais 2000 euros pour 5 mois de chauffage, c'est costaud. Combien faut-il que je produise de bruits bizarres pour faire marcher la chaudière ? Combien de morceaux ? De musique, pas du sucre !
Je peux tenter de panacher. Pour le concert du 3 mai avec Étienne Brunet, Éric Échampard et Nicolas Clauss au Triton, 9 jours au chaud. Pour une conférence sur le rapport du son et de l'image à la Sorbonne, seulement une semaine. L'enregistrement de la voix italienne de Nabaztag, je suis couvert. Diriger l'atelier Jazz Électro avec les élèves des conservatoires, presque autant. Je fais des comptes absurdes. Il faut bien 400 fichiers son pour combler le vide ou 5 pièces faciles. De musique, pas d'habitation ! Il faudra que je refasse tous les calculs après être allé faire les courses et lorsque les factures tomberont dans la boîte aux lettres. Elle ne se remplit pas aussi vite que la poubelle, mais si l'on ne relève pas le courrier elle déborde. Ce n'est pas comme la cuve à mazout qui se vide toute seule...

jeudi 1 mars 2007

Notre petite cuisine


Les blogs ont une fin. Le graphiste Paul Cox a tenu le sien à l'occasion de l'exposition Jeu de construction, à la Galerie des enfants du Centre Pompidou, du 16 février au 9 mai 2005. Mais son blog semble n'avoir duré que seulement quelques jours, quelques jours bien remplis.

J'ai déjeuné hier avec Bernard (Vitet) au New Nïoulaville à Belleville. Ça n'a pas trop changé, sauf qu'il n'y a plus un chat, un poisson-chat peut-être, c'est sinistre. Nous avons commandé ce que nous prenions lorsque c'était notre cantine, il y a plus de dix ans maintenant. Bernard a craqué pour sa salade de méduse pimentée, j'ai jeté mon dévolu sur la soupe de poisson cambodgienne au lait de coco et nous avons partagé des tripes aux haricots noirs et des pattes de poulet, le tout cuit à la vapeur. Nous pensions aller nous repaître d'un Phô', mais Dong Huong (14 rue Louis Bonnet, une des meilleures soupes Phô' à Paris) était en congés.
Bernard n'a pas arrêté de me contredire, mais avec tant de gentillesse et de délicatesse que c'en est un plaisir. Si jamais je suis d'accord avec lui, il semble contrarié. Il use très bien du paradoxe et nous ne cessons d'argumenter. La discussion porte sur l'humanisme, sorte de struggle for life originelle, donc sur la mégalanthropie envers les animaux (je ne vous ai pas conté un récent dîner où étaient également conviés Virginie Rochetti et Jacques Rebotier ; Bernard avait enfin trouvé des amis, des bêtes, des amis des bêtes) ou sur les élections pièges à cons ("Votez dur, votez mou, mais votez dans le trou !" Tiens c'est le second en deux jours à me rappeler ce slogan de 69). Il souhaiterait savoir comment j'imagine l'avenir, mais je ne peux qu'esquisser un "Pas différent du passé". Je fais toujours les mêmes rêves auxquels répondent toujours les mêmes cauchemars. Mes rêves me sont propres, mais j'ai la tristesse de partager mes cauchemars avec le reste de l'humanité. Les choses n'ont aucune raison de s'arranger. Il faudra attendre une grosse catastrophe. L'histoire se répète sans que l'on en tire les leçons. Dommage ! J'explique à mon ami que le confort dans lequel nous vivons est resté fragile. Je ne travaille ni plus ni moins qu'avant, c'est beaucoup, certes, certainement trop, mais j'aime ça. Et puis je ne crois pas avoir le choix.
Sur le chemin du retour, j'achète du riz : du thaï, du gluant et du rond japonais. Françoise a amélioré la recette de Donghee et mélange les trois pour trouver la consistance parfaite. Rappel du billet du 10 août 2005 (Paul Cox avait déjà arrêté son blog) : "... On peut mélanger 2/3 de riz rond japonais (Shinode chez Tang par exemple) et 1/3 de riz gluant. Le laver trois ou quatre fois. Rajouter de l'eau jusqu'à un peu moins d'une phalange au-dessus du riz. À feu vif jusqu'à ce que la vapeur s'échappe des bords du couvercle, puis 10 minutes à feu très doux. Laisser reposer. Texture parfaite !"