J'ai trouvé une place très bon marché en première dans le TGV qui me ramène à Paris, avec une prise de courant pour brancher mon ordi. Je suis déjà impatient de mordre dans les sandwiches que j'ai réussi à me faire confectionner dans une charcuterie de la rue du Chapeau Rouge alors qu'à midi nous nous sommes régalés de sushis de poisson frais dans une petite gargote sous la Halle. J'ai oublié le nom japonais des petits desserts succulents que Karine nous a offerts, purée de haricot rouge enrobée de pâte de riz au sésame, et je me trouve monstrueux de rêver aux macarons que je rapporte dans ma musette. C'est trop bon de pouvoir manger du poisson frais en Bretagne ; après avoir voyagé, malgré les conditions de transport et la rapidité avec laquelle on le retrouve sur les marchés de la capitale, il n'a absolument pas le même goût. Je n'ai jamais su pourquoi. C'est comme les langoustines que Joëlle et Étienne avaient préparées lors du dîner avec Lors, cela faisait dix ans que je n'avais pas goûté ce parfum que l'on ne peut savourer ailleurs que sur la côte bretonne, et particulièrement autour du pays bigouden. La gastronomie fait partie des voyages. Mardi soir, la galette complète était un délice, celle aux algues wakamé et à la crème une surprise et j'ai fortement apprécié de pouvoir terminer avec une au chocolat et miel qui soit aussi au blé noir plutôt qu'à l'éternel froment qui m'a toujours un peu déçu.
Je m'accroche à des histoires de bouffe parce que je dors debout, assis à ma place. Trois jours durant, j'ai tenu le crachoir, concluant le workshop avec des projections de films où l'utilisation du son est exemplaire. J'attaque avec les premières mesures du Testament du Docteur Mabuse, chaque image, chaque mouvement, chaque son relèvent d'un langage des signes que Fritz Lang maîtrise remarquablement en expérimentant pour la première fois les possibilités du cinéma parlant. La presse à billets reprend le rythme de l'orchestre où les enclumes annoncent l'opéra de Wagner sifflé par le Commissaire Lohmann et couvrent l'action, permettant aux acteurs de jouer comme au temps récent du muet. Les gestes, encore expressionnistes, sont d'ailleurs ceux des muets. Les oreilles se tendent vers le moindre bruit que l'on devine, bien qu'il reste inaudible. Lohmann marche sur la pointe des pieds... Le silence qui a suivi le chahut n'a été brisé que par une tuile tombée du toit, un bidon qui roule et explose... J'enchaîne avec le début gore de Lancelot, fracas d'armures, sabots, flammes, oiseaux de malheur et le sang qui gicle comme une fontaine... Je ne résiste pas à passer intégralement Voisins de Norman McLaren après Synchromie et Blinkity Blank, sons synthétiques peints sur la piste optique. Je fais astucieusement suivre le ''John Cage'' de Peter Greenaway par le Mouvement 1A des Histoire(s) du cinéma. Les étudiants en prennent pour leur grade, plein les mirettes et les oreilles, nous aussi. K.O. technique ! Je rêve d'un bon lit, m'allonger auprès de ma mie. Je sais pourtant qu'aujourd'hui est une nouvelle journée bien chargée. Il faut que je tienne jusqu'au 15, après le bouclage du n°21 des Allumés, le trio avec Donkey Monkey (jeudi 13) et le duo avec Nicolas (vendredi 14). Cette addition de chiffres me berce comme le ronron des roues du wagon tandis que le soir tombe sur la campagne en soulignant de rouge les ombres qui ont poussé sur les collines.