70 Perso - octobre 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 28 octobre 2008

Repeindre la ville


Il y a huit ans, tout le monde m'avait dissuadé de peindre le mur d'enceinte du jardin en orange, sous prétexte que cela ferait cirque. Je m'étais laissé convaincre, mais je ne me suis jamais habitué au rose vomi derrière les barreaux. Pour gagner de la place en agrandissant le jardin, nous avons récemment remplacé les grilles en fer forgé par un petit mur et je suis revenu à la charge avec mon orange barnum. Françoise était évidemment enchantée de l'idée. J'ai fait attention que mes oranges bleues tintinesques s'accordent avec le jaune et turquoise de la maison d'à côté. Tandis que nous peignons la façade, presque tous les passants, jeunes et vieux, s'arrêtant pour commenter, louent le rayon de soleil que ma lubie jette sur le quartier. Il y a toujours quelques grincheux pour se plaindre, mais je suis content d'avoir tenu bon. Le gris de nos cités me déprime et j'espère bien donner ainsi l'exemple et voir fleurir bientôt dans la rue des fleurs immobilières ou automobiles de toutes les couleurs.

vendredi 24 octobre 2008

Angoisses au tamis du rêve


Je me suis réveillé au milieu de la nuit parce que "mon problème était d'être à l'heure". Pour ne pas arriver en retard à l'école, je courrais tous les jours avec mon cartable qui pesait une tonne. Je n'ai pas manqué un cours. Plus tard, je faisais le tour du pâté de maisons pour ne pas être en avance à mes rendez-vous. Je refusais d'entrer au cinéma si la séance était commencée. Pourquoi Françoise s'arrange-t-elle toujours pour que nous arrivions au dernier moment à la gare, quitte à rater le train ? Poussée d'adrénaline et de sueur au compteur ! À notre première sortie, elle est d'ailleurs arrivée dix minutes après que La symphonie du hanneton soit commencée. J'ai compris que cela ne serait pas facile, ni pour l'un ni pour l'autre.
Car la phrase de mon rêve cachait un autre sens. Il apparut comme je la répétais à voix basse en allant chercher un verre d'eau dans la salle de bain. "Mon problème était d'être râleur". Celles et ceux qui me connaissent savent que mon ton cache parfois mes intentions. Ma voix haut perchée peut devenir très désagréable si je m'emporte. Entendre là : lorsque la passion me fait m'envoler vers de hautes sphères jusqu'à dévaler la pente comme des boules de bowling sur des montagnes russes, la démonstration du tribun produisant une excitation à flanquer le vertige à mes interlocuteurs jusqu'à les rendre sourds. On peut me croire agressif, alors que ce n'est nullement mon propos. Quand il le faut, je sais aussi me défendre sans ambiguïté et j'ai vu des cheveux se dresser à l'horizontal devant ma réelle colère. Il ne s'agit pas de cela, mais d'un quiproquo généré par mes angoisses et celles de mes victimes. Je le suis aussi, bien évidemment, les miennes s'exprimant par le hiatus, les leurs par le motus.
Nous voilà bien ! Comprenez que dès lors il me soit impossible de me rendormir...

mardi 21 octobre 2008

Prix de Camaraderie


Lorsque j'étais enfant, l'école communale distribuait des Prix en fin d'année à tous les bons élèves. S'il en est un que je n'ai jamais eu et ne pourrais jamais obtenir, malgré tout l'amour du monde que j'aurais pu offrir, c'était celui de camaraderie pour lequel mes condisciples votaient "démocratiquement". Pour y avoir droit, j'avais déjà remarqué qu'il ne fallait pas trop se faire remarquer. Le premier ou le dernier de la classe n'avaient donc aucune chance de se le voir attribuer, trop jalousés par le reste des petits garçons, que ce soit à cause du succès scolaire de l'un ou du vent de liberté insouciante qui soufflait sur l'autre. Cela peut paraître invraisemblable, comme venu d'un autre âge, mais toute ma scolarité, de l'école maternelle à la terminale, s'est exercée sans aucune mixité. École de garçons, en blouse grise et porte-plume, et lycée de garçons, t'ar ta gueule à la récré ! À l'école Théodore Deck rue Saint Lambert, ils avaient tous des noms assez marrants, je me souviens de Brisebras, Condevaux, Greilsamer, Fructus, Tempez... Sur toutes les photos de classe que j'ai pieusement conservées, je constate un truc étrange, Paul était absent.
En 9ème (l'équivalent du CE2), isolés par nos résultats extrêmes, Paul et moi devinrent amis. Sa maman était concierge et son père d'origine antillaise le faisait assimiler à un "sale bougnoule". Issu d'une famille où la politique était l'une des principales préoccupations, je pris illico sa défense tant sur le plan social que racial. De son côté, Paul (photo ci-dessus), qui était haut comme trois pommes, était nettement plus costaud que moi et, ne tolérant aucune agression verbale ou physique à mon égard, assumait le rôle de garde du corps. Ensemble, nous avons rêver de chasse au trésor, d'histoires de détectives et nous sommes allés aux louveteaux, dépendant des Éclaireurs de France, organisation scout laïque, où nous avons appris des milliards de choses pendant trois ans et bien rigolé. C'était mon meilleur copain. Lorsque je suis entré au lycée, je l'ai perdu de vue. Paul s'était engagé pour cinq ans dans l'armée, il avait ensuite été gardien de prison, vigile, légionnaire, pompier, il avait changé de nom, l'avait retrouvé, et lorsque j'entends sa voix au téléphone je nous revois faisant voguer des bateaux en papier dans le caniveau de la rue de la Croix Nivert. Aujourd'hui il est gardien dans un grand ensemble en province. Je ne l'ai pas revu depuis des décennies, mais je sais que j'aurai encore de ses nouvelles lorsqu'arrivera le mois de nos anniversaires, cette année ou une autre...
Si je devais voter un jour pour le meilleur camarade, Paul est certainement celui qui le mériterait.

mercredi 8 octobre 2008

Petits ours jaloux et sombres crapules


Nous ne cessons de recevoir des plaintes d'amateurs de civets qui n'ont pu assister samedi soir à Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants. Ceux qui ont eu la chance de voir de quoi il retourne nous envoient des témoignages de gratitude et non des moindres... Nous ne pouvons pas encore tout dévoiler, mais je vous livre aujourd'hui une exquise miniature reçue ce matin par la poste. Maguy Siegel, qui fut la monteuse de plusieurs films de Françoise, intitule le tableau que j'expose avec gourmandise dans la salle à manger "Petits ours jaloux des petits lapins". Miam !
Quant à l'écrivaine publique Dominique Giudicelli, "biographe familiale agréée", elle nous envoie un des rares clichés où Antoine et moi apparaissons sur la photo de famille avec toute la marmaille.


Ces délicates attentions soulagent mon fardeau. Ce devait être un billet léger. Hélas, les pensées sombres me rattrapent. Ceux qui se fichent du krach boursier parce qu'ils pensent ne rien avoir à perdre se trompent. Ce sont ceux qui n'ont rien qui vont en pâtir le plus. Les prix vont monter, le chômage s'amplifier, les fins de mois seront plus pénibles. Les autres s'empiffreront ou se serreront un peu la ceinture sur leurs à-valoir. La bourgeoisie joue à fais-moi peur, mais la Bourse n'est qu'une énorme machination des puissants pour piller les petits porteurs et se refaire une santé après avoir tiré sur la corde.
Ce soir, les facéties de nos petites bêtes ne me font pas rire. Peut-être parce que j'ai regardé un film triste, Boy A, de John Crowley, l'histoire d'un jeune Anglais qui essaie de refaire sa vie mais dont le passé le poursuit par l'entremise de la connerie humaine. Jacques Brel disait qu'il n'y a pas de gens méchants, mais seulement des imbéciles. Elsa me demande pourquoi il fut traité de boy-scout ? Je ne savais pas, mais c'est ainsi que les humanistes sont perçus, naïfs hypersensibles et volontaristes...