J'ai coupé un arbre. Cela me rend tout chose. Chaque arbre a son histoire. Le photunia était de la première plante, à la création du jardin il y a dix ans. Ses feuilles persistantes nous protégeaient d'un vis à vis quasi inexistant lorsque l'automne dépouillait l'orme devant le mur du fond. Ses fleurs blanches avaient une drôle d'odeur de sperme pas vraiment agréable. Tombées, elles formaient un tapis brun pénible à balayer. J'appréciais qu'il cache la végétation derrière l'allée de cailloux, entretenant le mystère sur la profondeur de la petite jungle. Les bambous ont eu raison de sa vigueur. Ils l'ont étouffé, épargnant pour l'instant le palmier qui s'est épanoui d'un coup, en quelques secondes, et le bouleau pleureur qui n'a jamais grandi d'un pouce, probablement une greffe, je ne décolère pas. Il faudrait que j'aille acheter quelques fleurs, histoire de varier les couleurs, et des tomates pour l'été s'il n'est pas trop tard. La mort du photunia est une page qui se tourne. Depuis l'endroit d'où je tape le plus souvent mes billets, la vue n'est plus la même. Les fougères n'ont pas bougé, un petit buisson rachitique marque la place où l'arbre avait poussé. Le ciel se réfléchit dans la table en verre avec la cîme des bambous qui oscille dans le vent. Chaque plante occupe sa nouvelle place, ouvrant une perspective inédite. Pourtant je suis triste. Le photunia a disparu.
Je reprends ma lecture et tombe sur un article remarquable de Yildune Lévy dans Le Monde. La fiancée de Tarnac a plus d'instruction que toute la ribambelle de juges qui en ont le nom. Un arbre meurt, le paysage se transforme et une jeune pousse fleurit, semant à tous vents ses paroles de révolte et de tendresse...