70 Perso - avril 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 25 avril 2011

Dents de lait


La petite souris remplaçait la dent placée sous l'oreiller par une pièce de vingt centimes. Elle passait pendant notre sommeil sans ne jamais se faire remarquer. Ma mère conservait en secret nos dents de lait dans une boîte remplie de coton hydrophile. Chacun la sienne. Celle de ma sœur Agnès était-elle rose ? Au dos est spécifiée la date de chaque incisive, canine ou molaire, 8 janvier 1959, 11 janvier 1959, etc. Certains trouvent cela mignon, pour moi c'est un peu morbide, mais je n'ai pas jeté la boîte, pas plus que les appareils dentaires qui plus tard m'empoisonneraient la vie. Chaque semaine je prenais le métro pour aller faire ajuster les prothèses chez un dentiste de la galerie Colbert, près de la Bibliothèque Nationale et du Palais Royal. Pour m'occuper pendant l'interminable trajet de la Porte de Saint-Cloud à la Bourse j'achetais des petits bouquins de bande dessinée chez le marchand de journaux du métro, des fascicules épais sur un mauvais papier. J'empruntais la rue Vivienne où j'avais habité dans mes premières années et où j'allais seul à l'école maternelle. Fouiller dans les tiroirs nous fait parfois faire d'étranges retours en arrière. Je fais claquer mes dents pour apprécier les sacrifices, parce que cela devait coûter une fortune à mes parents et que j'ai vécu ces trajets comme un pensum. Beaucoup plus tard le docteur Lessault remplacerait ma dent cassée que j'arborai jusqu'à mes vingt ans et en 1975 je fondai le label GRRR.

vendredi 22 avril 2011

Riens du tout


Mon horizon est un peu bouché ces jours-ci. J'ai peu le loisir d'écrire.
Mon camarade Bernard Vitet, hospitalisé depuis deux semaines pour une très sérieuse infection pulmonaire, devrait rentrer chez lui aujourd'hui, déguisé en pompe à essence. Ça tombe bien, je souhaite prendre une leçon de trompette et de respiration, il serait temps ! C'est tout de même idiot de ne jamais l'avoir sollicité alors qu'il est un maître en la matière.
L'Urssaf a fini par rappeler très aimablement, nous permettant de compléter le dossier de contrôle dont l'association est l'objet. Jean a pris la chambre de Cécile, Kay est dans la rose. Dimanche j'ai retrouvé la patine bleue du mur en arrachant la vigne morte. Ça repoussera, mais le fuchsia est perdu. Ces petits riens sont si prenants que nous avons eu l'idée de regarder Riens du tout, formidable premier long métrage de Cédric Klapisch, comédie nettement plus corrosive que ses films plus récents. Il faudrait que je revois Un air de famille qui m'avait emballé à sa sortie. Nous avons pris des billets pour Prague. Travailler 7 jours sur 7 finit par porter sur le système et prendre des vacances est toujours un sujet épineux. J'hésite à offrir mes cactus aux amis d'en face qui en ont une sublime collection. Je m'y frotte régulièrement depuis douze ans sans y penser et m'y pique donc. J'entretiens mieux le jardin que les plantes d'intérieur que j'oublie trop souvent d'arroser. Les boules d'algues qui ressemblent à des crottes d'âne ont été ramassées en Sardaigne en 1966. Le beau cadre d'Aldo ne donne rien à contre-jour. Derrière la vitre le broc n'a plus de fond. Un oiseau monotone siffle comme un portable. Les bûches sont sèches et archi-sèches. Moi aussi. À lundi !

mercredi 20 avril 2011

La ruche à tous les rayons


J'envie Simon et sa nouvelle auto dont la couleur est exactement la nôtre. J'aurais fait de sacrées économies si j'étais tombé sur un engin comme celui-là, vive les travaux publics ! Ni le bleu gendarme de l'Espace partie à la casse ni le bleu clair de la Pépite flambant neuve n'arrivent aux jantes de cette Express (Orange was the color of her dress).
Simon, Caroline, Thibault passent de temps en temps assister Françoise comme jadis Julien, Olivier, Annabelle, Igor, Lucie, Pauline et bien d'autres. La maison ressemble alors à une ruche. Le studio accueille souvent les musiciens avec qui je travaille, et les amis. Comme la maison est grande, nous avons deux chambres qui leur sont consacrées, rose ou bleue. Le registre affiche souvent complet. Nous entretenons ainsi une plus forte intimité avec les provinciaux, les étrangers ou les lointains banlieusards qu'avec les Parisiens. Les heures tardives de la nuit et celles de l'aube poussent aux confidences, quand on ne pense plus au dernier métro ou que l'on envisage ce que la journée nous réserve. Certains font un passage éclair, d'autres restent un mois. Je retrouve les accents des débuts de mon indépendance lorsque nous vivions en communauté, ce que l'on appellerait aujourd'hui la coloc. Un grand appartement et chacun sa chambre pour un loyer plus acceptable. Depuis qu'Elsa est partie vivre de ses propres ailes la maison est trop calme. Faire hurler les haut-parleurs me ramène à mon adolescence plutôt qu'à la sienne. Partager le quotidien avec d'autres nous sort du monde exigu du couple. On est d'ailleurs souvent plus dignes en présence de tiers que confinés dans la névrose qui risque de s'installer avec le temps et les habitudes.
J'imagine quitter Paris un jour, mais je sais que notre nouvelle maison devra être encore plus accueillante si nous ne voulons pas nous cloîtrer dans un splendide isolement. Lorsque nous nous en allons nous préférons la confier, avec le chat en prime, plutôt que la laisser vide.
J'aime partager, la vie, la musique, les émotions, la cuisine, le temps qui s'en trouve décuplé, comme si l'on vivait plus longtemps et plusieurs fois dans le même, un vie quantique. Dimanche nous étions dix à table dans le jardin et je pensais aux abeilles qui passaient de temps en temps humer le menu concocté par Benoît avec le soutien de sa Françoise et de leurs enfants. Ève avait apporté le fromage, Antonin un dessert, les conjoints papillonnaient autour, leurs yeux plissés par le soleil. J'ai photographié le sourire des amants. Il y a longtemps dans cette colonne j'avais décidé de tirer le portrait de tous les amis de passage, mais j'oublie presque chaque fois. Dans dix ans, dans vingt ans, si je suis encore là, je regarderai comme ils sont restés jeunes et beaux, parce que le bonheur conserve lorsqu'il est constitué d'un appétit de vivre, d'une résistance militante et de la générosité du partage. Mes amis apportent leur miel à l'existence.
Avec les beaux jours, entendre seulement une météo plus clémente élargissant notre espace au plein air, nous espérons beaucoup de monde. La plupart s'invite d'eux-mêmes. Nous les y exhortons, car nous ignorons les usages de l'invitation formelle. Que notre indisponibilité passagère ne les empêche pas de rappeler une prochaine fois ! À brûle-pourpoint. Les réponses sont franches. De cette promiscuité j'apprends beaucoup. J'adopte l'ailleurs ou l'autrement. Il m'arrive même de me taire.

jeudi 14 avril 2011

Scooter, toujours près !


Nous acceptons souvent de la réalité ce qui nous paraîtrait incroyable dans une fiction.
La sonnette de la porte retentit à l'heure où les enfants partent à l'école. Notre voisine est énervée par le vol de son scooter qui a eu lieu cette nuit. Le parking à deux roues, exclusivement motorisées, a été implanté devant chez nous par la mairie, avec notre accord car il n'y avait nulle part où attacher les bécanes à proximité. L'espace étant trop exigu pour une automobile, nous avions suggéré des bacs à fleurs mais leur entretien encombre la ville. Notre voisine s'est souvent fait barboter sa jupe, entendre la partie du véhicule qui protège les jambes. Aucun autre scooter n'étant présent à cette heure matinale, il semble que l'affaire se confonde avec une razzia. On aurait sectionné l'énorme chaîne, cassé le Neiman, etc.
En fin d'après-midi son compagnon reconnaît leur propriété garée devant l'agence Pôle-Emploi à quelques mètres de chez nous ! Le conducteur, la trentaine, explique qu'un petit jeune a aperçu les clefs oubliées sur l'engin, est rentré le soir à la cité et lui a "prêté" le lendemain. Et d'ajouter "dorénavant évitez de laisser vos clefs sur votre scooter !". Le type ignorait évidemment où il avait été "emprunté". Sur le chemin de retour de l'école, notre voisin chanceux est tombé juste au bon moment sur le "nouveau propriétaire", chômeur, qui ignorait la proximité des lieux ! L'histoire est exemplaire. On dirait pourtant le scénario poussif d'un mauvais film français, les personnages y occupant les places assignées par les préjugés : le couple bobo avec l'épouse tête-en-l'air et le mari perspicace, leur gamine à l'école, le petit voleur de la cité et le grand frère chômeur... J'oubliais le concierge qui relate les anecdotes du quartier sur son blog !

mercredi 6 avril 2011

Couleur du printemps


J'ai hésité entre peinture et plomberie.
Évoquerai-je le bois des fenêtres dévoré par la pluie ou la nuit de poussière obscurcissant la cuisine au passage de la disqueuse pour encastrer le nouvel évier ?
La couleur du printemps fait une meilleure enseigne à mon billet. Le vert du jardin grimpant le long de la façade nous laisse croire que nous saurions marcher sur les murs au milieu de bassins renvoyant l'image des nuages. Alors soyons sauriens ! On dit que le noir va avec tout, mais l'absence de risques en termes de façade donne un goût encore plus maussade à la crise. Rien d'étonnant à ce que la mode s'empare des tons vifs pour faire passer l'amère pilule. Le vert fonctionne à chaque étage, avec le rose fuchsia ou le bleu ciel des chambres patinées comme avec le blanc immaculé du salon et le bleu nuit des volets. Le kitsch de la salle de bain laquée de rouge au gazon vert était déjà dans le ton, il suffisait de déplacer un palmier pour que la jungle y retrouve ses marques.
Si le coloris est affaire de culot, éviers et robinets design sont hors de prix. Apprécions la modestie du granit noir qui a remplacé la céramique fêlée en fredonnant le refrain de Duvernois et Simons rendu célèbre par Pauline Carton et André Berley. Les palétuviers s'y marient si bien avec l'évier !


Ah ! Viens sous les pa..
Je viens sous les pa..., je te suis pas à pas
Ah ! Suis-moi veux-tu !
Je n'suis pas vêtue sous les grands palétus
Viens sans sourciller,
Allons gazouiller sous les palétuviers
Ah oui ! Sous les pa pa pa pa, les pa pa les tu tu,
Sous les palétuviers
Ah ! Je te veux sous les pas, je te veux sous les lé,
Les palétuviers roses
Aimons-nous sous les patus, prends-moi sous
Les laitues, aimons-nous sous l'évier