J'envie Simon et sa nouvelle auto dont la couleur est exactement la nôtre. J'aurais fait de sacrées économies si j'étais tombé sur un engin comme celui-là, vive les travaux publics ! Ni le bleu gendarme de l'Espace partie à la casse ni le bleu clair de la Pépite flambant neuve n'arrivent aux jantes de cette Express (Orange was the color of her dress).
Simon, Caroline, Thibault passent de temps en temps assister Françoise comme jadis Julien, Olivier, Annabelle, Igor, Lucie, Pauline et bien d'autres. La maison ressemble alors à une ruche. Le studio accueille souvent les musiciens avec qui je travaille, et les amis. Comme la maison est grande, nous avons deux chambres qui leur sont consacrées, rose ou bleue. Le registre affiche souvent complet. Nous entretenons ainsi une plus forte intimité avec les provinciaux, les étrangers ou les lointains banlieusards qu'avec les Parisiens. Les heures tardives de la nuit et celles de l'aube poussent aux confidences, quand on ne pense plus au dernier métro ou que l'on envisage ce que la journée nous réserve. Certains font un passage éclair, d'autres restent un mois. Je retrouve les accents des débuts de mon indépendance lorsque nous vivions en communauté, ce que l'on appellerait aujourd'hui la coloc. Un grand appartement et chacun sa chambre pour un loyer plus acceptable. Depuis qu'Elsa est partie vivre de ses propres ailes la maison est trop calme. Faire hurler les haut-parleurs me ramène à mon adolescence plutôt qu'à la sienne. Partager le quotidien avec d'autres nous sort du monde exigu du couple. On est d'ailleurs souvent plus dignes en présence de tiers que confinés dans la névrose qui risque de s'installer avec le temps et les habitudes.
J'imagine quitter Paris un jour, mais je sais que notre nouvelle maison devra être encore plus accueillante si nous ne voulons pas nous cloîtrer dans un splendide isolement. Lorsque nous nous en allons nous préférons la confier, avec le chat en prime, plutôt que la laisser vide.
J'aime partager, la vie, la musique, les émotions, la cuisine, le temps qui s'en trouve décuplé, comme si l'on vivait plus longtemps et plusieurs fois dans le même, un vie quantique. Dimanche nous étions dix à table dans le jardin et je pensais aux abeilles qui passaient de temps en temps humer le menu concocté par Benoît avec le soutien de sa Françoise et de leurs enfants. Ève avait apporté le fromage, Antonin un dessert, les conjoints papillonnaient autour, leurs yeux plissés par le soleil. J'ai photographié le sourire des amants. Il y a longtemps dans cette colonne j'avais décidé de tirer le portrait de tous les amis de passage, mais j'oublie presque chaque fois. Dans dix ans, dans vingt ans, si je suis encore là, je regarderai comme ils sont restés jeunes et beaux, parce que le bonheur conserve lorsqu'il est constitué d'un appétit de vivre, d'une résistance militante et de la générosité du partage. Mes amis apportent leur miel à l'existence.
Avec les beaux jours, entendre seulement une météo plus clémente élargissant notre espace au plein air, nous espérons beaucoup de monde. La plupart s'invite d'eux-mêmes. Nous les y exhortons, car nous ignorons les usages de l'invitation formelle. Que notre indisponibilité passagère ne les empêche pas de rappeler une prochaine fois ! À brûle-pourpoint. Les réponses sont franches. De cette promiscuité j'apprends beaucoup. J'adopte l'ailleurs ou l'autrement. Il m'arrive même de me taire.