On ne peut pas toujours faire semblant. Ma compagne me dit que j'ai l'air triste. Si l'on me demande ce que je fais en ce moment je prends un petit temps avant de répondre. Je ne sais plus. Je me disperse.

S'il faut faire bonne figure j'évoque La chambre de Swedenborg, excitant projet avec Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö qui sera créé au Musée d'Art Moderne de Strasbourg le 26 janvier, ou la récente publication de mon roman La corde à linge, en numérique avec images et sons. Les beaux projets mettent un temps fou à démarrer : design sonore des nouveaux objets Internet Readiymate avec le papa du lapin Nabaztag, Olivier Mevel, ou des jeux/jouets iPad/papier des Éditions Volumiques avec Sacha Gattino pour Étienne Mineur, participation à une équipe finaliste pour le concours du Mucem, voyage en Asie avec les petits rongeurs, sans compter mon second roman pour lequel j'accumule du matériel, idem pour mon hypothétique disque chez Signatures et une adaptation de L'astre en web-fiction. Je patiente en numérisant mes archives sonores (mise en ligne des meilleures sur drame.org, deux nouveaux albums inédits cette semaine !) et iconographiques (scan diapos), et je ponds un article par jour, sans compter mes commentaires passé ces frontières. Pas de quoi se plaindre a priori. Une vie bien chargée. Françoise est en résidence à Tourcoing / Le Fresnoy pour quatre mois où elle présente son travail et envisage un nouveau film, Elsa cherche à faire tourner Odeia dans lequel elle chante avec un trio à cordes (premier concert hier soir avec succès), plus un projet avec Linda et sa mère et plein d'autres trucs. Pourquoi s'inquiéter ?

Paragraphe pour le verre à moitié vide. Les beaux projets mettent un temps fou à démarrer. 2011 fut financièrement catastrophique. Si j'étais un cas isolé, je m'en moquerais, je saurais que ce sera bientôt mon tour, mais trop de camarades tirent le diable par la queue. Les festivals à qui je propose le trio El Strøm avec Birgitte et Sacha ne répondent pas ; ou bien pour annoncer leur suppression en 2012, ou encore me demandent de rappeler en juin 2012 pour juin 2013. J'ai l'impression que rien ne bouge, je dois supporter les mêmes revers qu'il y a quarante ans lorsque je débutai. Mes derniers albums n'ont pas généré les ventes escomptées, ni la réédition magnifique de Trop d'adrénaline nuit, le premier disque d'Un Drame Musical Instantané en 1976, ni mon duo avec Michel Houellebecq, Établissement d'un ciel d'alternance, enregistré vingt ans plus tard. Aucun journaliste n'a relaté l'énorme travail que j'ai réalisé avec la mise en ligne de 33 albums inédits sur le site du Drame, même les copains font la sourde oreille, pas même une petite news (sauf Dominique Meens sur assezvu.com), alors qu'ils m'apparaissent comme une aventure incroyable, et qu'individuellement ils recèlent plus de merveilles que les sempiternelles scies musicales encensées par les journaux spécialisés. Je suis mal placé pour m'extasier, avec le risque de passer pour un mégalo ou un parano. Il faut bien que je justifie ma dépression molle. Le film de Pierre Oscar Lévy, dont nous avons fait la musique avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang, sera-t-il diffusé par Arte ou les pressions politiques le rangeront-elles au placard ? Et puis Bernard, mon acolyte du Drame, trente-deux ans de collaboration quotidienne, est en très mauvaise santé et déprime sec. Il a du mal à manger et n'est pas bien gros. Ma maman continue de critiquer tout et n'importe quoi sans n'être plus capable d'en discuter calmement, un mal courant chez les débatteurs.

Le monde part en gidouille. La planète est piétinée. L'indignation est-elle un premier pas vers la révolte ? Les inégalités de classe sont accompagnées d'une telle arrogance. La colonisation se perpétue. L'exploitation est plus monstrueuse que jamais. Qu'ils soient de notre monde repu ou les laissés pour compte du tiers les pauvres ne se laisseront pas berner éternellement. L'inquiétude réside dans les choix politiques que feront les révoltés. Les extrémismes sont toujours bien placés dans les périodes de dépression. La peur et la misère sont mauvaises conseillères. Nous vivons une époque transitoire où le pire devient probable, sans abandonner définitivement l'espoir, mais aujourd'hui j'ai le moral gris. Est-ce plus banalement le spectre de la mort qui rôde sous le fallacieux prétexte que j'aurai 59 ans demain ? Il y a mille explications. Aucune n'est juste. Un rien peut me faire basculer d'un paragraphe à l'autre, bilan pipeauté par un simple coup de téléphone, un sourire dans la rue, un rayon de soleil, la caresse d'un chat, tes baisers...