Papa est mort il y a 25 ans. Le 2 janvier 1988. Il avait 70 ans. Ces chiffres sont flous. Ils possèdent l'élasticité du cœur. Le sien lâcha en fin d'après-midi. Pour moi c'est à la fois hier et dans une autre vie. Difficile de se souvenir entre la réalité et l'histoire qu'on s'est inventée. À chaque moment important de ma vie j'ai senti sa présence au-dessus de mon épaule, légèrement en arrière, comme un spot éclairant mon coude et mon bras droit, un Jiminy le criquet muet mais qui n'en penserait pas moins. Je fais ce qu'il faut pour ne pas le contrarier. Il a l'air amusé, attendri ou ému selon les circonstances. C'est une image que j'ai construite inconsciemment. La photo que m'a envoyée ma sœur date probablement de son anniversaire de 65 ans. Je venais de me faire couper les cheveux que j'avais laissés pousser depuis 1968 et j'avais rasé ma barbe. C'est bizarre, j'étais réapparu frisé. Mon père me manque. Je voudrais pouvoir échanger avec lui sur l'avenir du monde à la lumière de celui qu'il a traversé. Le jour de sa naissance, le 23 octobre 1917, le comité central bolchevik vota qu'une « une insurrection armée était inévitable et que l'époque était mûre ». J'aimerais tant lui présenter celles et ceux que j'aime aujourd'hui.