70 Perso - novembre 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 12 novembre 2014

Peine d'oreillers


Pas de jour férié. Pas de dimanche non plus lorsque le travail se confond avec la passion. Après le concert d'hier soir où j'ai perdu un kilo sans m'en rendre compte et que je risque de reprendre de la même manière, j'ai testé les appareils qui m'avaient fait des misères. Tout était en ordre. Mystère. Je suis allé essayé mes prochaines lunettes, des Clic que je garderai presque tout le temps autour du cou. Le magasin longeant le marché de Romainville, j'ai acheté deux bars sauvages et un beau poulpe. C'est la première fois que j'en cuisine un. Après le massage tui na, le mien, pas celui du poulpe, j'étais définitivement lessivé, mais il fallait que j'envoie encore le mailing pour le concert de samedi prochain à l'Atelier du Plateau. Et ainsi de suite. Le 11 novembre m'apparaît aujourd'hui comme une journée honteuse. Comment peut-on fêter la victoire contre l'Allemagne près d'un siècle après, une guerre économique fondamentalement immorale qui permit de se débarrasser de la paysannerie en Europe, et en France en particulier, et de "mater les ambitions séditieuses de la classe ouvrière" (comme Hélène Collon me suggère de l'ajouter) ? Le Traité de Versailles fut de plus à l'origine de la montée de Hitler. Il n'y a même plus de survivant de 1918. Quand on pense à tous les pauvres gars qui sont allés au casse-pipe pour contenter les capitalistes d'alors... Ne pourrait-on pas remplacer cette commémoration par une autre, autrement plus juste ? Tout cela m'achève. Je devrais dormir, mais mon sommeil est découpé en tranches de saucisson et je ne sauve que ma peau. J'ai pensé aux oreillers de la plasticienne Safâa Erruas exposés à l'Institut du Monde Arabe pour Le Maroc contemporain, mais ils racontent quantité d'autres histoires, plus mouvementées que la mienne... Avant de monter nous coucher je m'aperçois que la chaudière s'est encore arrêtée, mais cette fois je suis incapable de la relancer. Plus d'autre choix que de me glisser sous la couette en espérant que le chauffagiste me réveillera aux aurores !

mercredi 5 novembre 2014

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Ces dernières années j'ai pris l'habitude de fêter les anniversaires de mes amis en leur rappelant que chaque année est une victoire. Car avec le temps les disparitions s'accélèrent, plus fréquentes que les apparitions. Après dix ans de blog quotidien, la rubrique nécrologique s'est allongée. Mais en attendant son tour, qu'il est doux de vieillir ! On n'est pas obligé de refaire les mêmes bêtises, on peut en choisir d'inédites. Évidemment il faut avoir bien vécu pour ne rien regretter. Donc jeunes gens, n'attendez pas demain pour vous épanouir ! Il faut apprendre à jouir de chaque jour qui passe. Même si la santé, sujet d'inquiétude des anciens, est toujours aussi fragile. Les vieux s'en plaignent souvent pour avoir oublié les douleurs passées. Ils associent machinalement la maladie ou les handicaps physiques à leur âge, comme si les accidents n'avaient jamais entravé leur route. Ce ne sont simplement pas les mêmes. Les emmerdements ont la faculté de se réinventer. Leur liste est infinie. La vie est pourtant une fabuleuse course d'obstacles. Il faut en sauter un pour affronter le suivant. Il y a déjà vingt ans j'avais remarqué que les bonnes et les mauvaises nouvelles alternent en suivant un cycle, heureusement irrégulier. Irrégulier, parce que si l'on ne peut intervenir sur leur fréquence on peut toujours en influencer l'amplitude. Soixante-deux anniversaires, ça commence à faire un bail. Les plus vieux souriront, les plus jeunes s'inclineront. Sur la photo photo j'ai 3½ ans. C'est loin, mais il ne me semble pas avoir beaucoup changé. Les anniversaires sont une des rares fêtes auxquelles je tiens. Si je crains les grandes commémorations universelles, j'apprécie ce jour dont chacun est le héros. Comme face à la mort tous et toutes sont égaux. Ce n'est pas le quart d'heure de célébrité cité par Andy Warhol, mais 24 heures de la vie d'un homme, ou d'une femme, un peu spéciales. Avec une pensée émue pour les mamans qui ont fait tout le boulot.

mardi 4 novembre 2014

Dans les cordes


Il pleut des cordes. Pizzicati des graines à l'intérieur d'un long cylindre en bois hérissé de chicanes tournées vers l'interieur façon vierge de fer. Cette analogie m'est soufflée par le souvenir d'une projection au Napoléon, avenue de la Grande Armée, lorsque j'avais 15 ans. C'était la première fois que mon père m'emmenait voir un film d'épouvante malgré l'interdiction aux mineurs. J'étais fasciné par la salle qui lançait des quolibets, faisait des bruits obscènes et riait à gorge déployée, et tout de même terrorisé par La chambre des tortures (The Pit and the Pendulum) de Roger Corman quand le sarcophage avec les pointes tournées vers l'intérieur se refermait sur la belle jeune fille. Nous y sommes souvent retournés le samedi à minuit. Accompagner mon père me faisait plus plaisir que les films eux-mêmes, même si j'étais parfois gêné lorsqu'il tenait à me présenter à Jeanne Moreau ou d'autres personnalités du monde du spectacle qu'il avait quitté depuis des années... Mon bâton de pluie n'en finit pas de pétiller. Comme si j'étais immergé dans la Salle des Reflets Infinis (emplie de l’Éclat de la Vie) de Yayoi Kusama. Un ring. Dehors ce sont des hallebardes. Coupez. Opération indispensable pour remplacer le tuyau dont la soudure à l'étain a lâché au plafond dans une maison à côté. Inondation. À cette collection de tubes j'ajouterais les chansons mixées hier pour et avec Elsa et Linda qui seront bientôt en ligne, promettent-elles.

lundi 3 novembre 2014

Un vieux chat indigne


Clin d'œil à René Allio pour son merveilleux film de 1965 où Sylvie jouait le rôle d'une "vieille dame indigne" qui réalisait ses rêves à la mort de son mari, mon titre évoque la récente fugue de notre chat âgé de plus de 13 ans. Tout est question d'habitudes. Scotch, casanier de naissance, dort toute la journée et ne sort que très peu dans la rue. Craignant la circulation il file plutôt la nuit, mais de là à en passer deux dehors il y a des limites. Je me suis évidemment inquiété. La disparition sans que l'on sache ce qui est arrivé à une personne aimée ou à un animal est une épreuve terrible qui fait marcher le ciboulot en roue libre. Le retour n'en est pas moins énigmatique. Les chats ont coutume de garder pour eux le secret de leurs escapades. J'ai beau l'interroger pour savoir ce qu'il a fait, comment il s'est sustenté, où il a dormi, Scotch ne pipe pas un mot, se contentant de miauler et ronronner, le regard perdu sur la ligne bleue de Bagnolet. Il n'empêche que j'étais rassuré qu'il me réveille à 5h45 du matin pour m'annoncer la bonne nouvelle de son retour. Crapule !
Mes autres chats étaient des voyageurs indépendants qui m'avaient habitué à leurs sorties prolongées. Lupin partait très loin, mais il m'entendait l'appeler à des distances incroyables. J'adorais le voir remonter à toutes pattes la rue de la Butte aux Cailles comme dans un documentaire animalier signé Walt Disney. Scat était systématiquement absent le samedi soir. Il partait en week-end le vendredi soir et ne revenait jamais avant le lundi matin. Nous n'avons jamais su si c'était l'absence ou la présence (mais de qui ?) qui justifiait ses villégiatures. J'avais tenté de le suivre, mais il m'avait semé en traversant des grilles humainement infranchissables. Tout cela ne nous empêchait pas de nous angoisser. Lupin est un jour revenu en sang après s'être fait écrasé par une automobile ; il avait réussi à grimper jusqu'à ma chambre par l'échelle de meunier escarpée et s'était posé exténué sur l'oreiller ; sauvé par les urgences de nuit, il conserva toute sa vie un nez de boxeur, s'éteignant à l`âge de 18 ans suite à des problèmes rénaux. La fin de Scat fut beaucoup plus douloureuse ; il revint mourir à la maison après avoir avalé quelque poison, anti-limaces ou je ne sais quoi ; il n'avait que 4 ans. Avec les animaux domestiques, domestiqués comme les chiens, domestiqueurs pour les chats, cela finit toujours par une crise de larmes. Notre rôle est de repousser au plus tard la triste nouvelle. Ce genre de question ne se pose pas avec les tortues terrestres censées vivre un peu plus longtemps que nous, mais à quel rythme ? L'hibernation du chat se passe en général au coin du feu, ce qui va devenir illégal en région parisienne, les cheminées à foyer ouvert étant devenues interdites pour cause de pollution. Cela laisse Scotch de marbre qui semble se satisfaire de toutes les situations.