Ulysse découvre la tête qu'il a, affublé de la collerette qui l'empêche de se gratter l'œil. Il a pris un coup de griffe, à moins que ce ne soit une brindille. Toujours aussi téméraire, il grimpe à toute vitesse en haut des arbres, sur les branches les plus fines, mais l'églantier est plein d'épines et le yucca fabrique des piques acérées. Comme si cela ne suffisait pas, question congénitale ou résultat d'une infection, il manque de larmes. Notre jeune chat ne pleure pas, même lorsqu'il se fait mal. Conclusion, nous devons lui mettre des gouttes pour humecter sa cornée. Depuis hier il rigole pourtant un peu moins. Il marche à reculons, rase les murs et fait des bonds comme s'il avançait sur des braises. Interdit de sortie il tourne en rond ou s'affale les pattes pendantes au bord du lit, lui dont les fugues quotidiennes sont légendaires dans le quartier, je devrais dire les visites tant il a annexé nombreuses demeures de notre rue, y compris le squat des Baras chassés de Lybie par l'intervention armée de la France et toujours sous la menace d'une expulsion. Hier matin j'ai heureusement été réveillé par ses cabrioles : il avait réussi, mauvaise idée, à retirer partiellement son corset de plastique, se coinçant douloureusement la mâchoire. Il est pourtant indispensable de l'empêcher de se gratter l'œil. Nous lui faisons maintes caresses et gratouillis, le brossons et le câlinons en comptant les jours qui le séparent de la libération. En attendant il se regarde dans la glace, offusqué par ce que l'ophtalmologue l'oblige à porter. Mais ce qu'il voit dépasse l'artifice et le laisse perplexe.