70 Perso - janvier 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 20 janvier 2016

Spirale


Rien à raconter parce que je ne peux rien écouter, rien voir, rien lire, rien dire, même pas regarder les mouches voler. D'abord à cette époque il n'y a pas de mouches, ensuite je reste dans le noir les yeux fermés. La fièvre ne baisse pas. J'ai réussi à avaler une tranche de jambon blanc. J'ai annulé mes rendez-vous. Ulysse est probablement trop jeune pour comprendre qu'il devrait venir me câliner en s'allongeant sur la couette. Pris d'une quinte de toux toutes les demi-heures il m'est impossible de dormir. Je ne m'ennuie même pas. Si je n'avais le soupçon que les végétaux sont aussi vivants que les animaux je dirais que je suis un légume. Les végétariens manquent d'imagination, ils ignorent le cri de la carotte qu'on arrache de la terre. Je suis un légume pris dans une spirale bouillante avec au-dessus un couvercle qui maintient la pression.

Le troisième jour je remonte doucement à la surface. Le mal s'est déplacé vers le ventre, le dos et la gorge. Grosse fatigue. Je vois le bout du tunnel. Il n'y a pas de lézards, mais un vilain virus qui mord ma barbaque et en a déjà avalé quatre kilos. J'espère inverser la spirale comme on retourne un gant ou une chaussette. On peut remplacer l'un par l'autre, mais pas le contraire. Lorsque je ne marinerai plus dans la chaleur de la maladie j'enfilerai ma nouvelle doudoune à damier multicolore pour affronter le froid. Pour l'instant je m'éteins dans le noir...

Illustration de Jean Bruller dit Vercors

mardi 19 janvier 2016

Grippal ?


Je suis rarement malade, mais alors là c'est le pompon. J'ai une enclume à la place du crâne, mal aux oreilles, de la fièvre, la toux me casse le dos, je ne tiens pas sur mes jambes et la position couchée me fait tousser. Je vois les lettres que je tape danser devant mes yeux fatigués, je n'ai plus de souffle et mon nez coule. Comme si toutes mes défenses immunitaires lâchaient en même temps ! J'espère que mon état va s'améliorer, parce qu'à cette heure c'est à peine supportable. J'identifie très bien les raisons du moment et les causes, mais cela me fait une belle jambe.
J'adorerais utiliser une ou plusieurs enclumes dans ma musique, mais pas aujourd'hui. La première utilisation remonterait à l'opéra d'Auber, Le maçon, en 1825, suivi par Hector Berlioz dans Benvenuto Cellini en 1838. Giuseppe Verdi en a deux dans Le trouvère en 1853, Richard Wagner monte à dix-huit pour L'or du Rhin en 1869, mais une seule dans Siegfried en 1876. C'est évidemment toujours justifié par les situations dramatiques. Carl Orff, Benjamin Britten, Gustav Holst, Aaron Copland et tant d'autres s'en empareront au risque de se coltiner un lumbago ! La première fois que j'en ai entendu une c'était dans Ionisation d'Edgard Varèse dans la version Robert Craft.
La mienne est nulle, elle ne fait aucun bruit, et pourtant ça cogne.

mercredi 6 janvier 2016

Zone de travail


Les journées d'hiver sont bien courtes. Cette première semaine de l'année commence mollement. Les administrations marchent au ralenti. Leurs sites Internet sont en maintenance. Raison de plus pour investir très tôt le studio, avant que le téléphone ait commencé à sonner et d'avoir l'esprit pollué par quoi que ce soit ; tout frais, j'attaque un grand projet personnel entamé il y a une dizaine d'années et les mots de la première chanson me viennent aisément. Les rimes coulent de source. L'après-déjeuner suggère des travaux plus mécaniques comme copier des reportages sonores que j'ai enregistrés sur cassette il y a trente ans ; la corbeille de la Bourse est facilement datable puisqu'elle a été remplacée par des traders devant leurs écrans d'ordinateur en 1987. J'utilise des bandes encore plus anciennes comme la roulette du Casino de Deauville que les élèves croupiers avaient fait tourner pour nous et un soir de 14 juillet qui, associé aux cris du Palais Brongniart, sonne comme une charge de CRS. J'avais déjà calé les voix de mon père et de ma petite sœur rescapées des années 50. Au fur et à mesure de la journée j'avance doucement sur les pièces suivantes, mais quand tombe la nuit je bifurque vers des travaux manuels pour lesquels je n'ai a priori aucune appétence.


Les ouvriers nous faisant poireauter depuis des mois, je passe au bricolage sauvage. Ayant réussi à faire tenir le nouveau radiateur électrique du studio en équilibre sur les anciens supports, je recolle le miroir des toilettes et fabrique un système de fortune pour avoir une lampe agréable derrière soi lorsque l'on souhaite y avoir de saines lectures comme la revue Schnock ou le Manuel de survie. Pendant qu'Armagan et Christophe nous racontent leur séjour en Géorgie je fixe des petits miroirs sur la porte du réfrigérateur avec du ruban adhésif double face très costaud, histoire de pouvoir jeter un coup d'œil à sa silhouette avant d'entamer le repas. Mais est-ce bien raisonnable, alors que je ne le suis pas ?