Je n'ai jamais entendu ce que mon père avait enregistré à la fin des années 40 sur un magnétophone à fil. Sans l'appareil il est évidemment impossible d'écouter ce qu'il y a sur la bobine de fil magnétique retrouvée à sa mort. Tout s'est probablement effacé avec le temps, mais je la garde précieusement et la regarde encore souvent, là où elle est posée, devant mes livres de musique. Les fils avaient été vite remplacés par des bandes qui à leur tour disparaitront à l'ère du numérique. Lorsque le fil cassait on faisait un nœud. J'en ai trouvé quelques uns en déroulant le fil de ma mémoire. Prennent alors forme les sons de mon enfance, bien que ceux-ci l'aient anticipée. La voix de papa et ses pleurs de rire, le bruit des automobiles de l'époque, le bulldog factice du passage des Panoramas qui terrorisait ma petite sœur, les jeux d'arcade à monnayeur des grands boulevards, en particulier un ours sur lequel il fallait tirer avec une carabine et qui s'animait en grondant. Sur les flancs de la pesante bobine de métal est inscrit en relief " Gilby Wire S.A. - Topphet M ", mais la machine que je découvre derrière les grilles de l'exposition sur la Beat Generation au Centre Pompidou est une Webster-Chicago "portable" de 1945. C'était donc à cela que ressemblait l'appareil susceptible de m'extraire du labyrinthe familial ou de faire revivre les disparus. Il ne me reste qu'une drôle de bobine. La mienne, béate, forte d'imaginer ce que l'aimant eut pu révéler.

→ Exposition Beat Generation, Centre Pompidou, jusqu'au 3 octobre 2016