Voyant certains vieux se figer dans le temps, j'avais demandé à ma fille de me prévenir si elle me sentait glisser vers le gâtisme. Il faut dire que ma propre mère tourne en boucle depuis quelques années. Elle ne s'intéresse plus à grand chose, regarde les jeux télévisés et les infos, ne lis plus de livres et m'appelle tous les jours à la même heure en me posant les trois mêmes questions : "Quoi de neuf ? Tu as du travail ? As-tu des nouvelles de ta fille ?". Comment aurons-nous évolué dans vingt ans ? De quoi s'interroger, voire s'inquiéter de l'avenir !
Elsa lance donc une alerte qu'il me faut bien entendre et assimiler. Deux points la préoccupent particulièrement, le fait que je me plaigne systématiquement et notre surinvestissement pour notre jeune chatte Oulala. J'ai maladroitement pris l'habitude de répondre sincèrement à la question "comment ça va ?" sans pour autant entrer dans des détails scatologiques. Ma vie ayant globalement été jusqu'ici une partie de plaisir, j'en ai probablement honte vis à vis des camarades qui galèrent et je crois de bon ton de placer quelques bémols à ma partition en mode majeur. C'est stupide à plus d'un titre. Connaître mes petits bobos n'intéressent pas grand monde, personne n'a envie de savoir, c'est barbant, et les plus flippés ne sont pas dupes du grand écart avec ce qu'ils ont à subir. J'ai donc décidé de faire des efforts pour voir la vie en rose, de l'exprimer publiquement, sauf les jours les plus fastes qui s'écriront soit en rouge et noir, soit en se fondant dans l'arc-en-ciel. Je pourrais aussi apprendre la discrétion, mais je crains que ce ne soit incompatible avec le fait de tenir un journal extime, ceci en lien direct avec mon caractère public qui s'épanouit dans le partage et la transmission.
Deuxième point (dans ma gueule !), notre investissement disproportionné pour Oulala s'explique certainement par l'absence d'enfants à la maison. Je pense sincèrement que c'est un passage relatif aux récentes de Scotch et Ulysse et à la jeunesse de la demoiselle. Ça y est, je glisse illico vers un anthropomorphisme qui fait rigoler les amis ou qui s'inquiètent pour notre sénilité précoce. Il va donc falloir que je m'oblige à lâcher du mou et à laisser la chatte vivre sa vie sans que nous nous croyons obligés d'être sur le qui-vive à chacune de ses disparitions.
Rien de trop grave, les autres voyants d'alerte semblant éteints, pour l'instant. Nous continuons à nous exploser dans nos créations et nous apprenons à prendre le temps de vivre, ce qui, d'une certaine manière, est aussi un travail. Nous sommes aussi très entourés, partageant des moments merveilleux avec les amis. J'ai chaque jour l'impression de mieux profiter de la vie et de réduire les moments désagréables au strict minimum. Il paraît que cela ne suffit pas. Mais est-ce jamais suffisant ? Quant aux bonnes intentions, ce n'est pas gagné. L'analyse n'est qu'un premier pas qui ne préjuge en rien de la résolution des faits.