Il était 7h39 ce matin lorsque j'ai retrouvé ma dent. J'avais très mal dormi, enchaînant les cauchemars où elle tenait le premier rôle. Je l'avais cassée en quatre morceaux en marchant dessus, je l'avais retrouvée dans un trou ovale parfait, je l'avais encore perdue... La sublime litanie des objets perdus de Bang on a Can tournait en boucle dans ma tête. Je l'avais utilisée lors de circonstances plus dramatiques au Théâtre Antique d'Arles où nous avions projetées les images des inondations de décembre 2003 réalisées par les habitants. "I lost my tooth...".


Avant d'aller me coucher j'avais scruté le jardin avec une lampe torche, fouillé la poubelle, repellé toute la maison jusqu'à la cave où j'étais descendu chercher du vin, accusé les chats, retourné mes poches, regardé sous les divans, une fois, deux fois, trois fois, rien, un mystère ! J'étais persuadé avoir retiré mon appareil pour manger et l'avoir mis dans la poche gauche de mon pantalon. Je suis condamné à cette gymnastique depuis l'automne où j'ai subi une intervention chirurgicale pour poser un implant remplaçant mon incisive supérieure cassée dans mon enfance et mal traitée par un dentiste qui n'avait plus envie d'exercer. La greffe osseuse prend six mois, la pose du pivot en exige encore six, ce qui m'entraîne jusqu'à septembre où ma dentiste sera revenue de Saint-Pierre et Miquelon et moi des Pyrénées. En attendant je porte un petit bouche-trou pour faire bonne figure en société et pour bavarder. La fuite d'air est épuisante lorsque je parle, mais je dois retirer l'appareil pour manger. Donc ce matin j'ai pris le temps de balayer les feuilles mortes, de regarder si les chats n'avaient pas emporté ma dent dans les buissons et j'ai encore fait un tour de la maison, cherchant même dans le réfrigérateur et les tiroirs de la cuisine si jamais mon inconscient m'avait conduit à un geste absurde. Palpant les vêtements que je portais la veille pour la sixième fois, je n'ai rien trouvé, mais en glissant un doigt dans la doublure de la veste que j'avais renfilée avec l'air frais de la nuit je suis tombé sur l'objet perdu, un petit palais rose avec deux crochets. Depuis le début j'étais persuadé que ma dent était dans ma poche, ou du moins dans l'une de mon costume qui en accumule une quantité cachée, mais j'étais chaque fois passé à côté. J'avais beau ressassé ma théorie qui veut que l'objet perdu soit toujours à l'endroit où il devrait être et qu'il est donc en fait le plus souvent non égaré, mais simplement pas vu, ma fébrilité face à la béance vertigineuse occasionnée m'empêchait de le trouver.
Le premier film de fiction que je réalisai à l'Idhec lors de ma première année d'études s'intitulait L'objet perdu !